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Jair Bolsonaro : le dédain écologique

Sociologue

Jair Bolsonaro vient une nouvelle fois de s’illustrer en accusant l’acteur Leonardo DiCaprio d’avoir financé les incendies en Amazonie. Alors que le Brésil dispose de ressources naturelles extrêmement importantes, les décisions et les déclarations du très climatosceptique président brésilien l’éloignent chaque jour un peu plus du statut de puissance environnementale qu’il a un jour caressé.

En théorie politique, choisir de catégoriser un gouvernement comme étant d’extrême droite nécessite qu’il réponde à trois exigences, à savoir : un discours ultra-nationaliste avec une forte militarisation (dans le cas de Bolsonaro : implication directe avec ses milices, y compris un trafic de drogues dans un avion présidentiel et une forte suspicion dans la participation à l’assassinat de Marielle Franco, activiste féministe) ; un mépris total et récurrent à l’encontre des intellectuels, artistes et étudiants ; une hostilité grandissante et délibérée à l’encontre des minorités vulnérables (féministes, indigènes, LGBT, etc.).

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Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro se caractérise aussi par un anti-écologisme radical sans précédents. C’est, en grande partie (mais pas seulement), ce qui a donné lieu à de vives réactions d’activistes et de pays sensibles à son attitude plus que négligente à l’égard de l’Amazonie, comme aux désastres environnementaux causés par les barrages, etc.

Depuis son arrivée au pouvoir, Bolsonaro a tout mis en œuvre pour anéantir le ministère de l’Environnement. Ses diffamations à l’encontre du travail des environnementalistes, tout comme face à tout ce qui relève de l’existence et de la pérennité des réserves naturelles et indigènes – qu’il considère comme des entraves au développement économique du pays – sont récurrentes. Il fait intrusion dans les travaux scientifiques de collectes et d’analyses de données sur les incendies menés par l’INPE (Institut national de recherches spatiales), allant jusqu’à en congédier le président dont les analyses vont à l’encontre de ses projets et propos.

En août 2019, le dédain avec lequel il a traité les financeurs internationaux du fonds de préservation de la forêt amazonienne a entraîné la pire crise jamais connue dans l’histoire de l’Amazonie et une perte totale de contrôle des incendies de la zone – certains de ces incendies étant clairement d’origine criminelle (dont le fameux Dia de fogo – “jour du feu”, action ouvertement orchestrée par des fazendeiros, propriétaires des grandes exploitations agricoles, sur les réseaux sociaux). Le scénario est plus qu’alarmant, réduisant à néant toute vie dans les communautés indigènes touchées. Des rapports font état de zones brûlées dans lesquelles vivaient plus de 1 000 indiens directement affectés.

Le Brésil s’éloigne des grands chemins enviés de puissance climatique au regard de la transition énergétique.

Contrairement à une grande partie de la presse brésilienne, la presse internationale s’est rapidement saisie de cette actualité du gouvernement Bolsonaro et dès l’alerte de ces incendies en Amazonie, les pays voisins et l’Union européenne en ont fait un sujet d’intérêt mondial. Les positions de la Finlande, de l’Irlande, du Royaume Uni, de l’Allemagne et de la France ont pesé, suffisamment pour faire changer le discours et les décisions du gouvernement brésilien.

Le chef de l’État passe néanmoins pour un personnage menteur, arnaqueur et sans scrupules, méprisant le dialogue et infligeant des postures irrespectueuses aux représentants diplomatiques (notamment l’ambassadeur de France au Brésil) comme aux leaders des pays voisins (Cuba et le Venezuela) et plus récemment à l’encontre d’Emmanuel Macron et Angela Merkel dont les représailles n’ont pas manqué en retour.

Qu’est-ce qui change dans l’agenda environnemental global depuis cette prise de position internationale du gouvernement de Bolsonaro et depuis les incendies en Amazonie ?

Tout ! ça change tout. Le pays s’éloigne des grands chemins enviés de puissance climatique au regard de la transition énergétique. Tout comme l’ont éprouvé les États-Unis qui jouissaient, à l’époque d’Obama, de ce statut de puissance technologique prompte à mettre en place des énergies renouvelables, investis dans la Convention du Climat et signataires des Accords de Paris en 2015… et qui ont tout perdu dès l’arrivée de Trump, le Brésil, tout en ayant avancé dans l’utilisation des énergies renouvelables, notamment éoliennes et solaires, perd du terrain dans son ambition d’assurer au monde qu’il détient la plus grande source de biomasse.

Après des mesures de réduction de la déforestation de 80 % (dès les années 2005) jusqu’à la fin du gouvernement de Dilma Roussef (2015), le Brésil a enregistré en 2019 le plus grand pic de déforestation de toute son histoire. De ce gouvernement actuel, le pays ne montre plus de signes clairs et engageants permettant de répondre en toute confiance aux critères diplomatiques d’une culture énergétique – ou comportement énergétique – de transition.

Il apparaît au contraire évident que ces augmentations d’actions pyromanes et ces déforestations visent à promouvoir les exploitations agricoles et bovines. Le discours même de Bolsonaro laisse peu de doutes quant à son intention d’en finir avec les réserves indigènes et autres réserves naturelles pour s’ouvrir à d’intenses activités d’extraction de minerais dans ces régions connues pour leur grande richesse.

En termes plus conceptuels et de manière plus théorique quant à la transition vers une économie respectant la faible teneur en carbone, on reconnaît trois catégories de pays : les pays conservateurs modérés, les conservateurs et les réformistes. Suite aux Accords de Paris en 2015, le Brésil était dans une position de conservateur modéré, aux côtés des États-Unis, du Canada, de la Colombie, de l’Afrique du Sud, de la Malaisie, du Mexique, de la Turquie, d’Israël, de l’Australie, du Bangladesh et des Philippines.

Les pays conservateurs sont l’Inde, la Russie, l’Argentine, les Émirats Arabes Unis, l’Indonésie, l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Égypte, le Nigeria, le Pakistan, la Thaïlande, l’Ukraine, le Venezuela et le Vietnam. Enfin, on retrouve dans les pays et blocs considérés réformistes la Norvège, Taiwan, la Suisse, Singapour, l’Union européenne, la Corée du Sud et le Japon. Bien que ces pays dits “réformistes” soient aussi importateurs de CO2, donc proches des pays conservateurs modérés et conservateurs, ils agissent néanmoins localement pour un changement global.

Le Brésil dispose des matrices hydrauliques renouvelables et d’une biomasse incomparable, et bien que cela lui confère un grand avantage comparatif, il se désavoue sur la scène internationale.

Un concept clé s’ajoute ici : celui de puissance climatique [1]; c’est-à-dire que ces pays contrôlent le volume et la trajectoire des émissions de polluants dans l’atmosphère ; mais aussi une économie de faible teneur en carbone ; enfin, la relation entre les ressources et la culture énergétique – que nous abordons en termes de comportement énergétique. C’est de ce point de vue qu’ils sont appréhendés comme pays réformistes – là où les États-Unis et le Brésil, bien qu’ayant des statuts de puissance climatique, sont dans la catégorie des conservateurs modérés.

Le Brésil dispose des matrices hydrauliques renouvelables et d’une biomasse incomparable, et bien que cela lui confère un grand avantage comparatif, il se désavoue sur la scène internationale. Les pays aux critiques les plus acerbes à l’égard du Brésil – comme l’Allemagne et la France – peuvent être considérés dans une certaine mesure comme des pays amenés à devenir des puissances climatiques au sens strict. Même s’ils dépendent encore fortement de matrices énergétiques provenant d’usines nucléaires et qu’ils sont – historiquement – des pays industriels polluants, les mesures prises à moyen terme devraient leur permettre d’accéder potentiellement à ce statut d’ici 2025-2030.

Enfin, il est aussi fondamental de prendre en compte le fait que le concept d’économie de faible émission de carbone renvoie non seulement à un état de développement soutenable par l’adoption des énergies renouvelables mais aussi par l’adoption de mesures atténuant et/ou réduisant les émissions de CO2. De ce point de vue, le Brésil – avec ses difficultés à réduire ses productions de viande et ses émissions énergétiques polluantes – est loin d’avancer dans le sens d’une politique de réduction de la déforestation.

Dans ce scénario, l’agenda environnemental global devant mener à la transition énergétique penche plutôt vers l’effondrement. Il se heurte d’abord à des difficultés de légitimité si, sous les pressions des pays conservateurs modérés, les pays conservateurs atteignent les buts préalablement fixés. Si les mesures ambitionnées entraînent un inconfort, on peut aussi envisager des effets de non respect des mesures de la part des pays conservateurs et conservateurs modérés, là où le Brésil devait apparaître comme le modèle à suivre en termes de puissance climatique. Pour les pays réformistes, quant à eux, une bonne part de la politique intérieure en matière de transition énergétique devra être soutenue par la pression des citoyens eux-mêmes, tout en étant conscients des difficultés à imposer des restrictions aux pays conservateurs. Les règles à suivre pour cette transition énergétique tendent partout à se relâcher, malgré les données alarmantes sur l’irréversibilité des changements climatiques qui s’annoncent.

Un autre scénario est encore possible – celui où la pression internationale contre le Brésil se durcit… mais ce changement de cap, déjà entamé, risque de prendre du temps, ce qui serait catastrophique pour la Planète.

Parlant d’urgence, je propose deux options – aux effets concrets et à court terme. D’abord le retour à l’initiative du projet de loi populaire « Déforestation zéro » sur lequel a travaillé Greenpeace jusqu’en 2015 pour orienter le parlement brésilien. J’inviterai à ce que Greenpeace reprenne sa campagne, soutenue cette fois par la communauté internationale et non seulement sur le territoire brésilien. Il faut ensuite mettre en place d’autres initiatives de désobéissance civile pour boycotter la consommation de viande, avec des attaques systématiques des abattoirs et des zones d’exportation.

 

Traduit du portugais par Sylvie Chiousse.

 


[1] Matthew Paterson, Understanding global environmental politics : domination, accumulation, resistance. Ottawa, Macmillan, 2000, pp.16-27

Agripa Faria Alexandre

Sociologue, Professeur à l'Université fédérale de l'État de Rio de Janeiro

Mots-clés

Climat

Vers une écologie existentielle

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Notes

[1] Matthew Paterson, Understanding global environmental politics : domination, accumulation, resistance. Ottawa, Macmillan, 2000, pp.16-27