Méditations saturniennes
La planète est entrée dans un moment d’exception. En quelques semaines, la forme de vie la plus archaïque qui soit a mis à l’arrêt l’économie globalisée, en paralysant tour à tour la production industrielle à flux tendus, le tourisme de masse, le trafic aérien, puis automobile. Les métropoles se sont figées pendant que le printemps jubile.

Une à une, les nations ont été mises à l’épreuve et le résultat est rarement à l’honneur de leurs dirigeants. Après quelques moments d’hésitations, plus ou moins longs selon leur degré d’intoxication à la doctrine économique, presque tous en sont venus à placer la sauvegarde de la vie humaine au-dessus de toute autre considération. L’expression « quoi qu’il en coûte » a pris une tonalité nouvelle. Il ne s’agit plus, comme en 2012, de sauver le système bancaire à n’importe quel prix, mais d’énoncer un principe bien différent : l’économie doit être temporairement subordonnée à une finalité plus élevée.
Le choix du confinement pour endiguer la pandémie a pu sembler excessif, eu égard au faible taux de létalité du Covid-19. Des fléaux bien plus meurtriers sont tolérés comme des fatalités inévitables. Il en va ainsi de la faim ou du paludisme en Afrique et en Asie du Sud, de la pollution atmosphérique, des accidents de la route ou des suicides, pour ne rien dire de l’érosion de la biodiversité et du changement climatique. La démesure des précautions prises tient à une raison évidente : l’infection a d’abord frappé des pays riches qui croyaient en avoir fini avec la visibilité de la mort. À la mi-avril, la cartographie des décès déclarés recouvrait encore celle de la richesse financière ; son expansion en Europe le long de la diagonale qui mène de Milan à Londres est particulièrement frappante.
La contagion d’un mal qui requiert des hospitalisations lourdes a ébranlé la promesse de protection que les États font à leurs populations. En France ou au Royaume-Uni, le délabrement de l’hôpital public causé par la recherche du profit et de l’