L’héroïsation des soignants – réflexions sur une entourloupe
On a beaucoup parlé de l’héroïsation dont les « soignants », cette catégorie aux contours flous, feraient l’objet depuis le début de la crise. Et il est vrai que les banderoles, les applaudissements, les mails volontiers épiques de certains directeurs d’hôpital, les textes, chansons, vidéos d’hommage sur les réseaux sociaux fournissent des signes probants de cette héroïsation.
S’il est pourtant un leitmotiv que nous retenons de nos échanges téléphoniques[1] avec les soignants, c’est bien le rejet de cette intronisation en place publique. Toutes les personnes que nous avons interrogées, ou presque, disent en être irritées, gênées, frustrées, parfois intimement affectées. La plupart y voient une entourloupe, un stratagème social ou encore ce que nous proposons de nommer une pseudo-héroïsation, une héroïsation qui n’en est pas vraiment une.
La pseudo-héroïsation peut désigner une héroïsation en trompe-l’œil. On voudrait faire croire qu’on érige les soignants en héros mais, en réalité, on ne leur réserve pas le traitement habituellement dévolu aux héros. Grosso modo, quand ils critiquent ainsi l’héroïsation, les soignants nous disent implicitement : « Oui, nous sommes des héros mais ne sommes pas traités comme tels ».
Toutefois, la critique de la pseudo-héroïsation peut être aussi celle du principe même de l’héroïsation. On voudrait que les soignants soient des héros alors que ce sont des professionnels dont l’activité est encadrée par un contrat de travail qu’ils ont accepté. Les discours pseudo-héroïsant visent à faire accepter aux soignants les entorses continuelles qui leur sont infligées, les efforts qui leur sont indûment demandés et qu’ils préféreraient ne pas accomplir. Le discours implicite serait alors celui-ci : « Non, nous ne sommes pas des héros et ne devrions ni agir en héros ni être traités comme tels ».
Ces deux critiques antithétiques s’entendent dans les discours des « soignants » et parfois, curieusement, dans les propos d’une seule et même