Politique culturelle

Le mécénat de compétence détruit le tissu professionnel du design graphique en France

La loi sur le mécénat de compétences était censée alléger les caisses des musées publics et leur permettre de faire des économies. Mais, ce faisant, elle a aussi fait sombrer dans la crise les graphistes indépendants et les petits groupes de créateurs, acteurs historiques du marché du design graphique qui subissent désormais la concurrence déloyale des agences de publicité aux projets à bas coût (et souvent médiocres). Par ce texte, les plus grands noms du design graphique en France demande à ce que la loi soit mieux encadrée.

Historiquement, le marché du design graphique et de l’identité visuelle des institutions culturelles était principalement dévolu aux petites et moyennes structures hautement qualifiées et créatives du design graphique. Le rayonnement du Louvre, du Centre Pompidou, du Musée d’Orsay, pour ne citer que quelques institutions muséales, ne procède pas seulement de leur activité muséographique et de leurs remarquables expositions, mais également de leur identité visuelle, conçue par des créateurs internationalement reconnus.

publicité

Ces identités sont devenues des classiques de l’histoire du design graphique et se sont inscrites dans la mémoire collective en France comme à l’étranger. Pour chacun de ces musées, l’identité visuelle est la carte de visite de l’institution. Dans le paysage des grandes institutions internationales, les identités visuelles des institutions françaises sont parmi les plus iconiques, les plus singulières et les plus remarquables.

Les agences de publicité étaient jusqu’à il y a quelques années presque absentes de ce marché. On peut les comprendre, ce domaine fait l’objet d’appels d’offres aux budgets très serrés et, il faut le dire, très modestes. En outre, la mise en concurrence était également hautement compétitive, tant sur le plan de la création que sur celui de la stratégie. Rares étaient les agences de publicité tentant leur chance dans ces appels d’offres et, encore plus rares celles qui l’emportaient.

La loi sur le mécénat de compétences portée par Jean-Jacques Aillagon était censée alléger les caisses des établissements publics et leur permettre de faire des économies. Les commandes passées dans le cadre de conventions de mécénat de compétences n’apparaissent donc plus dans les marchés publics – un instrument légal fondamental censé maintenir ouverte la compétition entre les acteurs, retenir le prestataire le « mieux disant » et la proposition la plus créative et la mieux adaptée aux besoins dans le cadre d’un budget donné.

Le mécénat de compétences fait disparaître cette obligation : les commandes sont attribuées sans contrôle et sans compétition, tant sur le plan de la créativité que sur celui du budget. Cette loi a ainsi permis à certaines agences de publicité d’entrer dans ce secteur au détriment des acteurs historiques qui avaient toujours été soumis aux règles de la concurrence. Sans concurrence les agences peuvent se positionner avec des solutions médiocres mais qui, ne coûtant rien à l’institution, auraient eu peu de chance d’être recevables auparavant. Incidemment, l’économie réalisée par l’institution est indirectement financée par le contribuable grâce au crédit d’impôt octroyé au mécène.

Les conséquences sont graves : les graphistes indépendants, les petites structures ou groupements de créateurs n’ont plus accès aux commandes des grandes institutions culturelles.

Pour leur part, les petites et moyennes structures du design graphique n’ont ni la volonté ni l’avance de trésorerie qui permet d’amortir l’investissement pour entrer dans ce mécanisme de dégrèvement fiscal. Les conséquences sont graves : les graphistes indépendants, les petites structures ou groupements de créateurs n’ont plus accès aux commandes des grandes institutions culturelles. Celles-ci reçoivent les propositions d’un seul acteur sans faire jouer la concurrence. Avec ce qu’elles économisent au détriment du contribuable, elles perdent le plus souvent en qualité de représentation.

Financièrement, les prix proposés par les agences et sur lesquels elles défiscalisent ne sont pas publics et peuvent être fixés librement pour optimiser la défiscalisation. Fort heureusement, certaines institutions culturelles ont réalisé que les résultats obtenus par le mécénat de compétences en matière de graphisme ne répondaient pas à leurs exigences et sont revenues à l’attribution des commandes par appels d’offres.

De son côté, le ministère de la culture a vu la nécessité de mieux encadrer le mécénat de compétences. Le 28 août 2020, il a adressé une note aux institutions publiques culturelles apportant des précisions sur certaines pratiques du mécénat de compétences. Les bonnes pratiques énumérées dans cette note signalent aux institutions culturelles que ce dispositif ne doit pas empêcher de faire appel à des graphistes indépendants dans le cadre de commandes pour de nouvelles identités visuelles. Toutefois, ces recommandations sont non contraignantes et donc insuffisantes.

Face à ces multiples constats, nous demandons à ce que la loi soit mieux encadrée et prenne en compte sans tarder les spécificités de ce secteur de l’économie de la culture. La crise est grave et a un double effet : elle prive de travail de nombreux individus et structures et favorise un appauvrissement des propositions créatives.

 

Alliance graphique internationale groupe France : Erik Adigard, José Albergaria, Philippe Apeloig, Antoine Audiau, André Baldinger, Ruedi Baur, Rik Bas Backer, Dirk Behage, Evelyn ter Bekke, Benoit Bonnemaison-Fitte, Michel Bouvet, Paul Cox, Alexandre Dimos, Pierre di Sciullo, Thomas Huot-Marchand, Alexander Jordan, Peter Knapp, Anette Lenz, Michel Lepetitdidier, Alain Le Quernec, Laurence Madrelle, Fanette Mellier, Rudi Meyer, Etienne Robial, Edo Smitshuizen, Toan Vu-Huu, Jean Widmer, Catherine Zask.