On tue en Haïti dans l’indifférence générale
Dans les médias occidentaux, on parle peu d’Haïti. La mort au quotidien est moins spectaculaire qu’une catastrophe naturelle. Et la légende d’un pays maudit dont l’histoire est constituée d’une succession de petits et de grands malheurs s’est subtilement infiltrée même chez des esprits savants qui ont, sur d’autres sujets, fait métier de comprendre et de penser.
Haïti pose une difficulté à la conscience et à la pensée occidentales. La colonie française de Saint-Domingue fut un temps le grenier de la France et c’est une guerre d’extermination que l’armée expéditionnaire levée par Napoléon Bonaparte était venue livrer aux esclaves révoltés au début du XIXe siècle. Une guerre perdue. L’indépendance d’Haïti, conquise par les armes, constitue la plus révolutionnaire des entrées dans la modernité (anti-coloniale, anti-esclavagiste, anti-raciste). Elle confronte la pensée des Lumières à ses propres limites.
L’existence de l’État d’Haïti sera niée par les puissances occidentales pendant plus d’une vingtaine d’années, et la politique de ces puissances visera à faire échouer l’entreprise nationale haïtienne. Ces puissances trouveront en Haïti deux alliées : l’oligarchie traditionnelle, descendants de colons spécialisés dans l’import-export, et l’oligarchie des dirigeants politiques. La masse des descendants d’anciens captifs constituant la paysannerie et le petit peuple des villes sera abandonnée à elle-même, la principale relation de l’État avec la nation étant cette complicité entre une bourgeoisie d’affaires et un pouvoir politique ne servant qu’à l’enrichissement personnel, loin de tout projet d’établissement d’une sphère commune de citoyenneté.
Il y aura quelques soubresauts de nature populiste, les présidences de Salnave, Duvalier, Aristide, mais aucune ne parviendra à changer les rapports sociaux de production. La chute de la dictature de Duvalier en 1986, plutôt que de répondre à la quête exprimée par le peuple haïtien d’une démocratie réelle et de plus d’é