Covid et vaccination : au-delà des sciences et croyances, la réalité des faits
Lors de ma contre-visite vendredi dernier, je m’arrêtais un instant pour discuter avec les infirmières de la salle d’hospitalisation. Je m’enquérais de leur position quant à la vaccination contre le coronavirus. Je fus tout de même un peu surpris de découvrir qu’aucune des quatre présentes n’avait souhaité être vaccinée.
Pourtant, trois d’entre elles approchaient de l’âge de la retraite, si bien que le bénéfice individuel ne faisait aucun doute, et à plus forte raison pour l’une d’elles, qui présentait des facteurs de risques prédisposant aux formes graves de Covid.
Pourtant, lors de la première vague, la plus jeune avait contracté la maladie au cours de sa mobilisation dans le service des urgences. Elle n’avait pas récupéré de son anosmie-agueusie, et elle témoignait à quel point il était pénible de vivre avec cette séquelle.
J’engageais la discussion plus avant, afin d’essayer de comprendre. Elles avançaient l’argumentaire habituel des milieux complotistes, argumentaire que je connaissais d’autant mieux que j’avais eu un débat similaire la semaine précédente avec le père d’une jeune patiente vue en consultation. Bien plus que sur des raisonnements, le discours s’articulait essentiellement sur des questions :
« Pourquoi le vaccin a-t-il pu être développé en quelques mois seulement ? »
« Pourquoi n’a-t-on pas accès à sa composition ? »
« Pourquoi voit-on des gens qui tombent malade juste après avoir été vaccinés ? »
Je m’appliquai alors à faire preuve de pédagogie pour leur transmettre ce que j’avais pu comprendre de mon côté, à partir de mes connaissances acquises lors de mes lointaines études de médecine et de mes lectures récentes de la littérature scientifique et journalistique.
On me répondit que ces données étaient peut-être fausses, que certaines choses auraient pu être cachées.
J’expliquai que le vaccin avait été mis au point très vite car le « logiciel » du virus était très simple et que les chercheurs avaient, au cours des vingt dernières années, progressivement résolu les deux étapes technologiques-clés pour parvenir à rendre efficace un vaccin ARN : l’enrobement des brins d’ARN dans une capsule à base de lipides et de nanoparticules et l’ajout d’un brin d’ARN d’un autre virus, jouant un rôle d’amplificateur de la traduction de l’ARN viral, en sorte qu’une quantité suffisante de copies de la protéine spike soit produite et que la réaction immunitaire puisse s’enclencher. J’expliquai que les industries pharmaceutiques, excitées par des gains financiers potentiellement considérables, n’avaient pas hésité à investir massivement pour mettre en place les premiers essais cliniques à très large effectif dès février 2020.
Puis je démontrai sur un petit schéma les résultats d’une de ces études. 30 000 patients inclus, 15 000 tirés au sort dans le bras expérimental « vaccination », 15 000 dans le bras placebo « pas de vaccination ». Sur une période d’environ 3 mois, 11 cas de Covid dans le bras expérimental (dont 0 grave), 185 cas dans le bras placebo (dont 30 graves, avec un décès).
J’expliquai également que les effets indésirables très rares ne peuvent pas être détectés sur une cohorte de 30 000 individus. Si le risque de décès causé par la vaccination est de 1 sur 1 million (ce qui est l’ordre de grandeur du chiffre rapporté par exemple pour le risque de décès par thrombose veineuse induite par le vaccin AstraZeneca), la probabilité d’observer cet effet sur un échantillon de 30 000 sujets est très faible. En revanche, sur 1 million de vaccinés, il faut mettre en balance un décès imputable au vaccin avec les 67 décès par Covid évités grâce à la vaccination. Sans compter les 2 010 formes graves évitées, celles-là même qui nécessitent un passage en réanimation, discipline médicale dont les capacités nécessairement limitées (par manque de ressources bien plus humaines que matérielles d’ailleurs) sont à l’origine des mesures de confinement.
On me répondit que ces données étaient peut-être fausses, que certaines choses auraient pu être cachées. Je ne pouvais pas leur donner entièrement tort, dans la mesure où toutes ces grandes études, publiées dans le journal médical le plus prestigieux, sont intégralement écrites par des salariés des industries pharmaceutiques qui produisent ces vaccins. Et je sais à quel point il peut être tentant de pécher par omission dans l’écriture d’un article. Je ne m’aventurai donc pas sur ce terrain, et optai pour une approche plus pragmatique.
La semaine précédente, j’avais croisé à la cafétéria le chef de service de la réanimation médicale qui m’avait confirmé qu’ils ne voyaient aucun patient vacciné en réanimation. Je pensais tenir là un argument qui mettrait les complotistes K.O. Malheureusement non. Ma caution n’avait pas de valeur : mon collègue apparaissant régulièrement sur les écrans de télévision, il faisait nécessairement partie du système. Je me rabattis sur un autre collègue, moins en vue, et je les enjoignis à l’interroger directement.
J’avais indiscutablement fini par marquer un point, et la discussion s’orienta non plus sur l’efficacité du vaccin, mais sur la question de la pertinence d’étendre la vaccination aux personnes non à risque de formes graves. Pour un jeune adulte sans pathologie connue, le bénéfice individuel immédiat est en effet douteux, la maladie étant elle-même très peu dangereuse dans cette sous-population (encore que l’anosmie soit tout de même un handicap loin d’être négligeable…).
Et j’expliquai qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, on ne savait pas estimer la balance bénéfices/risques à long terme : il faudrait comparer un risque inconnu – celui de faire une complication tardive grave des années après avoir contracté le Covid – à un autre risque inconnu – celui de faire une complication tardive grave des années après avoir été vacciné contre le Covid. Seul l’avenir pourrait répondre. Mais en attendant, les conséquences économiques, sociales et psychologiques des confinements justifiaient probablement une couverture vaccinale suffisamment large pour que l’immunité collective puisse être atteinte. En tout cas, il y avait là matière à un vrai débat démocratique.
À partir des faits, tout individu est capable de prendre une décision, que l’on qualifiera alors d’« éclairée ».
Au terme d’une heure de discussion interactive, il me sembla que mes interlocutrices avaient sensiblement modifié leurs positions sur la vaccination Covid. Je tirais de cet échange quelques conclusions, hâtives certes, mais m’apparaissant suffisamment importantes pour écrire ce papier.
J’avais lu quelques jours auparavant l’article de Patrick Gaboriau et Christian Ghasarian dans AOC, « Sciences et croyances autour d’un vaccin ». Et, de prime abord, cet épisode ressemblait à une illustration parfaite de leur propos. Point de dualisme entre les croyances des infirmières et mon savoir, dans lequel s’immisçait quelques croyances (par exemple, que les données des papiers du New England Journal of Medicine sont fiables, bien qu’écrites par des employés de Pfizer ou de Moderna ; ou encore que mes collègues de réanimation me transmettent ce qu’ils observent, sans falsifier les faits).
Cependant, il me semblait qu’il y avait une notion essentielle totalement mise de côté par les auteurs : il y a une réalité, et une seule. Il y a des patients vaccinés en réanimation, ou il n’y en a pas. La réalité des faits existe. Et il ne s’agit ni de savoirs scientifiques ni de croyances. Et au fond, le cœur du débat est de trouver comment faire pour approcher au plus près cette réalité. Car à partir des faits, tout individu est capable de prendre une décision, que l’on qualifiera alors d’« éclairée ». C’est là une capacité cognitive humaine fascinante que de pouvoir intégrer de nombreuses données et, par un mécanisme en partie inconscient (dont les substrats neurobiologiques sont d’ailleurs de mieux en mieux connus), de peser le pour et le contre, pour aboutir à la prise de décision.
La quête de l’établissement de la réalité des faits est le b.a.-ba des journalistes : remonter les sources au plus près, les multiplier, les recouper. C’était bien la démarche que j’avais suivie (lire directement l’article du New England, interroger directement le réanimateur). Et il me semblait que, plutôt que de choisir le camp des pro-vaccins et d’utiliser des méthodes de propagande, plutôt que de rendre la vaccination quasi-obligatoire par la mise en place sans aucun débat démocratique du certificat sanitaire, porte ouverte à tous les excès d’un contrôle de la circulation des individus sur des critères normalisés de leur état de santé, le rôle de l’État aurait dû être d’inciter ses citoyens à se battre pour accéder à la réalité des faits.
Les infirmières n’auraient-elles pas pu interroger elles-mêmes leurs collègues de réanimation ? N’auraient-elles pas pu demander à ce que des médecins de l’hôpital organisent des exposés pour expliquer les résultats des grandes études sur la vaccination ? D’ailleurs, beaucoup de patients prennent l’avis de leur médecin traitant, précisément dans l’espoir de s’approcher de cette réalité des faits qui, en raison de la profusion des informations et de la trop grande facilité pour les obtenir, devient paradoxalement inaccessible au citoyen.
La réalité se mérite. Et libre à ceux qui ne veulent pas la connaître de vivre dans les croyances !
NDLR : Cet article est une réponse à celui de Patrick Gaboriau et Christian Ghasarian, « Sciences et croyances autour d’un vaccin« , paru dans AOC le 25 mai.