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La Constituante chilienne : une refondation en acte de la démocratie

Philosophe

Depuis le début de ce mois de juillet, l’Assemblée constituante chilienne élue en mai dernier, plurinationale et paritaire, a commencé son long travail d’écriture d’une nouvelle Constitution. Malgré les premières dissensions, les tentatives de délégitimation de la part de la droite et l’hostilité du gouvernement, la Convention marque définitivement la rupture avec l’État-nation centralisé hérité de Pinochet et, surtout, ouvre la voie de la démocratie comme manière d’être et pratique de participation.

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Le 4 juillet 2021 s’ouvrit dans l’enceinte du palais Pereira la Convention constituante issue des élections de délégués des 15 et 16 mai. Le premier acte de cette Convention fut d’élire le président de l’Assemblée. La présidente élue au deuxième tour avec 96 voix sur 155 fut Elisa Loncón, féministe mapuche, professeure de linguistique à l’Université de Santiago.

Son discours inaugural eût une grande force symbolique. D’abord, parce que ses premiers mots furent en mapudungun (langue mapuche). Ensuite, parce qu’en sa double qualité de femme et de mapuche, elle incarne la diversité de la société chilienne férocement réprimée des décennies durant par la dictature de Pinochet à travers le familialisme et le racisme d’État envers les peuples autochtones [1].

Enfin, et peut-être surtout, parce qu’elle a affirmé haut et fort que la refondation du Chili, loin d’être renvoyée à l’après-Convention, commençait dès aujourd’hui : « Aujourd’hui nous fondons un nouveau Chili pluriel, multilingue, avec toutes les cultures, avec tous les peuples, avec les femmes et avec les territoires… » Quelle portée faut-il donner à cette affirmation ?

La composition politique de la Convention

L’Assemblée qui a porté Elisa Loncón à la présidence et Jaime Bassa, avocat et constitutionnaliste, à la vice-présidence est inédite à plus d’un titre. Elle est la première du genre à observer un strict respect du principe de la parité (77 femmes, 78 hommes) et à réserver d’office 17 sièges aux délégués des peuples autochtones, ce nombre étant censé correspondre au pourcentage de ces peuples dans la population du Chili (8 %).

La durée de la session est fixée à neuf mois, plus trois au maximum si le besoin s’en fait sentir (elle peut donc être prolongée jusqu’en juin 2022). Sa composition en termes de répartition des forces politiques est inédite dans l’histoire constituante du Chili : la liste unique qui regroupe la droite et l’extrême droite obtient 20 % des voix, soit 37 sièges ; elle est la prin


[1] On aura une idée de ce racisme en considérant la manière dont la droite a aussitôt reproché à la présidente sa prononciation mapuche du mot « Chile » (laquelle ne marque pas de « t » devant le « ch », contrairement au castillan), certains allant jusqu’à se demander si elle savait lire et écrire. Toutes les informations données ici ont été puisées dans la presse chilienne en ligne, notamment sur le site CIPER Chile, ou communiquées directement par Esteban Radiszcz, psychanalyste et professeur de sciences sociales à l’Université du Chili à Santiago.

[2] Voir à ce sujet Pierre Dardot, Haud Guéguen, Christian Laval, Pierre Sauvêtre, Le choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme, Lux éditeur, 2021, p. 39-40.

Pierre Dardot

Philosophe, Chercheur au Sophiapol, Université Paris Nanterre, Co-animateur du Groupe d’études sur le néolibéralisme et les alternatives (GENA)

Notes

[1] On aura une idée de ce racisme en considérant la manière dont la droite a aussitôt reproché à la présidente sa prononciation mapuche du mot « Chile » (laquelle ne marque pas de « t » devant le « ch », contrairement au castillan), certains allant jusqu’à se demander si elle savait lire et écrire. Toutes les informations données ici ont été puisées dans la presse chilienne en ligne, notamment sur le site CIPER Chile, ou communiquées directement par Esteban Radiszcz, psychanalyste et professeur de sciences sociales à l’Université du Chili à Santiago.

[2] Voir à ce sujet Pierre Dardot, Haud Guéguen, Christian Laval, Pierre Sauvêtre, Le choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme, Lux éditeur, 2021, p. 39-40.