Rediffusion

Vaccins anti-Covid : lever les brevets est nécessaire, mais insuffisant

Sociologue

L’histoire semble se répéter. Comme il y a exactement 20 ans à propos des traitements contre le sida, la question des brevets sur les produits pharmaceutiques soulève de fortes tensions au sein de l’Organisation mondiale du commerce. Mais, si la nécessité immédiate pour les États est de s’entendre – ou pas – sur une dérogation à la propriété intellectuelle sur les technologies anti-Covid, les questions politiques que l’accès aux vaccins fait surgir dépassent de loin le contexte particulier de cette pandémie.

En 2001, le monde était confronté à une épidémie de sida hors de contrôle. Lorsque des traitements à même de stopper la propagation du virus dans l’organisme et de maintenir les personnes atteintes en bonne santé sont apparus, il est devenu évident que leur prix (plus de 10 000 € par patient par an) en interdisait l’accès pour la majorité de la population qui en avait besoin et vivait dans des pays dit « en développement ».

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Les firmes pharmaceutiques pouvaient se permettre d’imposer ces prix parce qu’elles détenaient les brevets sur ces traitements, et donc un monopole de production et de vente qui les plaçaient en situation de force dans un contexte d’épidémie et d’urgence. En novembre 2001, la pression sociale mobilisée par les patients et les professionnels de santé, mais aussi une préoccupation sécuritaire portée par certains pays du Nord inquiets des risques de propagation du virus à partir des pays les plus touchés au Sud, ont conduit l’OMC à adopter une déclaration sur la santé et l’accès aux médicaments.

Dans ce texte, l’organisation insistait sur « le droit des Membres de l’OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments » et la nécessité d’interpréter les textes pour satisfaire ces objectifs. Ainsi, l’OMC énonçait pour chaque État membre « le droit d’accorder des licences obligatoires et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont accordées » : c’est-à-dire le droit et la liberté de lever des brevets lorsque cela leur semblait nécessaire.

La déclaration a eu une forte portée symbolique. Cependant, l’ordre des priorités qu’elle posait n’a jamais vraiment existé que sur le papier. Dans les faits, de plus en plus de brevets ont été attribués sur les médicaments, et en dépit des barrières qu’ils représentaient pour l’accès aux produits récents, très peu ont été levés [1]. Depuis 2001, la pression politique (diplomatique et économique) suscitée par les firmes est restée


[1] L’essentiel des antiviraux contre le sida qui ont été produits et vendus par les firmes indiennes ont pu l’être parce qu’il s’agissait des premières générations d’antirétroviraux contre le VIH et qu’ils n’étaient pas protégés par des brevets en Inde. Ce pays, comme d’autres pays dits « en développement », avait en effet un délai jusqu’en 2005 pour appliquer les nouvelles règles de l’OMC en matière de propriété intellectuelle.

[2] Intervention d’Antonio Guterres, Secrétaire general aux Nations Unies durant le lancement du COVID-19 ACT Accelerator, la 24 avril 2020.

[3] En 1994, l’OMC a instauré un nouveau standard international de protection par les brevets d’une durée de 20 ans. Plusieurs types de mesures introduites depuis dans de nombreux pays permettent de rallonger cette durée.

[4] Peter Drahos et John Braithwaite, « Une hégémonie de la connaissance. Les enjeux des débats sur la propriété intellectuelle », Actes de la recherche en sciences sociales, 2004/1-2, n°151-152, pp. 68-79.

[5] Yann Moulier Boutang, Le capitalisme cognitif ou la nouvelle grande transformation, éditions Amsterdam, 2008.

[6] Le National Institutes of Health (NIH), le Centers for Disease Control and Prevention (CDC), ou encore le Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA).

Gaëlle Krikorian

Sociologue

Notes

[1] L’essentiel des antiviraux contre le sida qui ont été produits et vendus par les firmes indiennes ont pu l’être parce qu’il s’agissait des premières générations d’antirétroviraux contre le VIH et qu’ils n’étaient pas protégés par des brevets en Inde. Ce pays, comme d’autres pays dits « en développement », avait en effet un délai jusqu’en 2005 pour appliquer les nouvelles règles de l’OMC en matière de propriété intellectuelle.

[2] Intervention d’Antonio Guterres, Secrétaire general aux Nations Unies durant le lancement du COVID-19 ACT Accelerator, la 24 avril 2020.

[3] En 1994, l’OMC a instauré un nouveau standard international de protection par les brevets d’une durée de 20 ans. Plusieurs types de mesures introduites depuis dans de nombreux pays permettent de rallonger cette durée.

[4] Peter Drahos et John Braithwaite, « Une hégémonie de la connaissance. Les enjeux des débats sur la propriété intellectuelle », Actes de la recherche en sciences sociales, 2004/1-2, n°151-152, pp. 68-79.

[5] Yann Moulier Boutang, Le capitalisme cognitif ou la nouvelle grande transformation, éditions Amsterdam, 2008.

[6] Le National Institutes of Health (NIH), le Centers for Disease Control and Prevention (CDC), ou encore le Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA).