Hommage

On est toujours libre d’avoir un regard politique sur le game – hommage à Omar de The Wire

Enseignant

Michael K. Williams s’est éteint le 6 septembre. Il laisse en héritage le personnage emblématique de la série The Wire qu’il incarnait, Omar. Mythe dans le mythe, Omar était un héros libre et anticonformiste, un braqueur à l’homosexualité affichée qui laisse une empreinte éminemment politique sur une série phénomène – en France encore plus qu’aux États-Unis.

Michael K. Williams, l’acteur qui interprétait Omar dans la mythique série The Wire (David Simon et Ed Burns, HBO, 2002-2008) est décédé le 6 septembre dernier. Pour le public de The Wire, qui court maintenant sur plusieurs générations, cette annonce fait l’effet d’une perte immense. Mais cette œuvre ethnographique et politique avait poussé si loin l’identification de ses comédiens à leurs personnages que d’une certaine manière, nous avions déjà « pleuré » Omar, tué dans la dernière saison de la série. Tristesse nouvelle, et nécessité d’un retour sur ce personnage qui continuera de longues années son travail d’éducation populaire.

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« Omar Comin’ ! ». Ce cri effrayé, c’est celui des guetteurs qui annoncent l’arrivée d’Omar sur un point de vente de stupéfiants : voyou anticonformiste, ce dernier se déplace uniquement pour braquer les dealeurs, leur subtilisant leur drogue et leur liquide dont il a méticuleusement repéré l’emplacement. Chasseur solitaire, il se fait progressivement – et logiquement – l’ennemi des gangs dominants dans la rue : d’abord le clan Barksdale dans les premières saisons (contre lequel il témoigne au tribunal, dans une scène d’anthologie sur laquelle nous reviendrons), puis celui de Marlo Stanfield, jusqu’à l’ultime saison. Sa présence évaporée, la menace singulière et permanente qu’il représente font de lui une obsession pour ses ennemis par ailleurs tout puissants dans la rue : son homosexualité affichée rajoute à son caractère à la fois « monstrueux » (les désignations homophobes fusent notamment dans la bouche de Stringer Bell et Avon Barksdale) et fascinant, y compris pour ceux qui l’affrontent. On peut dire qu’Omar est un mythe dans le mythe : d’ailleurs, c’est son personnage que s’attribuent à tour de rôle les enfants qui jouent à la guerre des gangs avec des bâtons sur une scène de crime, dans la saison 4.

Cette solitude radicale nous conduit en tant que spectateur à partager une grande intimité avec le personnage, isolé dans se


[1] Michael K. Williams a révélé avoir été victime enfant d’une agression sexuelle dont le traumatisme l’avait marqué toute sa jeunesse, sur le plan de la sociabilité mais aussi sur celui de sa sexualité. Voir notamment : « Michael K. Williams Is More Than Omar From “The Wire” », New York Times, 30/06/2017

[2] Voir à ce titre l’excellent livre d’Ariane Hudelet, The Wire, les règles du jeu, Paris, Presses Universitaires de France, 2016.

[3] Jacques Bouveresse, Daniel Roche, La Liberté par la connaissance, Pierre Bourdieu (1930-2002), Paris, Odile Jacob, 2004

[4] Gradur, Stringer Bell (2015) ; Jul lance son Inspi d’ailleurs (2018) par le refrain : « Marseille, c’est The Wire ».

[5] « On s’est cru dans The Wire avec Booba », entretien pour Les Inrockuptibles, 27/11/2012

[6] Dans de rares morceaux, Omar est accusé d’être une « snitch », une « balance » qui en acceptant de travailler avec la police trahit le code établi de la rue.

[7] Phénomène qui n’a pas échappé aux observateurs avertis en France. Voir notamment « Ces clips de rap qui invitent les acteurs de The Wire », Booska, 21/04/2015

[8] Nous renvoyons par l’usage de ce terme aux passionnants travaux de Sami Zegnani sur « le rap comme activité scripturale » : le travail de description de la réalité par l’écriture, précédé par l’expérience, s’inscrit dans un processus réflexif et d’engagement. Voir Zegnani, Sami, « Le rap comme activité scripturale : un groupe illégitime de lettrés ? », Langage et Société, n°110, décembre 2004.

[9] Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, Genève, Droz, 1972, p.179.

[10] Voir à ce titre l’ouvrage majeur de Jeff Chang : Can’t stop Won’t stop, A History of the Hip-Hop Generation, New York, St. Martin’s Press, 2005

[11] Voir notamment : « What “The Wire” got right, and wrong, about Baltimore (and How “charm city” fills in the rest) », PBS, 16/04/2019. Pour une interprétation positive de ce parti-pris, voir : Julien Talpin, « Dépolitiser les ghettos pour inciter à l’actio

Ulysse Rabaté

Enseignant, Président de l'association Quidam pour l'enseignement populaire, Ex-Conseiller municipal de Corbeil-Essonnes

Notes

[1] Michael K. Williams a révélé avoir été victime enfant d’une agression sexuelle dont le traumatisme l’avait marqué toute sa jeunesse, sur le plan de la sociabilité mais aussi sur celui de sa sexualité. Voir notamment : « Michael K. Williams Is More Than Omar From “The Wire” », New York Times, 30/06/2017

[2] Voir à ce titre l’excellent livre d’Ariane Hudelet, The Wire, les règles du jeu, Paris, Presses Universitaires de France, 2016.

[3] Jacques Bouveresse, Daniel Roche, La Liberté par la connaissance, Pierre Bourdieu (1930-2002), Paris, Odile Jacob, 2004

[4] Gradur, Stringer Bell (2015) ; Jul lance son Inspi d’ailleurs (2018) par le refrain : « Marseille, c’est The Wire ».

[5] « On s’est cru dans The Wire avec Booba », entretien pour Les Inrockuptibles, 27/11/2012

[6] Dans de rares morceaux, Omar est accusé d’être une « snitch », une « balance » qui en acceptant de travailler avec la police trahit le code établi de la rue.

[7] Phénomène qui n’a pas échappé aux observateurs avertis en France. Voir notamment « Ces clips de rap qui invitent les acteurs de The Wire », Booska, 21/04/2015

[8] Nous renvoyons par l’usage de ce terme aux passionnants travaux de Sami Zegnani sur « le rap comme activité scripturale » : le travail de description de la réalité par l’écriture, précédé par l’expérience, s’inscrit dans un processus réflexif et d’engagement. Voir Zegnani, Sami, « Le rap comme activité scripturale : un groupe illégitime de lettrés ? », Langage et Société, n°110, décembre 2004.

[9] Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, Genève, Droz, 1972, p.179.

[10] Voir à ce titre l’ouvrage majeur de Jeff Chang : Can’t stop Won’t stop, A History of the Hip-Hop Generation, New York, St. Martin’s Press, 2005

[11] Voir notamment : « What “The Wire” got right, and wrong, about Baltimore (and How “charm city” fills in the rest) », PBS, 16/04/2019. Pour une interprétation positive de ce parti-pris, voir : Julien Talpin, « Dépolitiser les ghettos pour inciter à l’actio