Politique

Des propositions ineptes contre la Cour européenne des droits de l’homme

Juriste

Les cinq candidats à la primaire de la droite se retrouveront mardi pour un ultime débat. Toute et tous partagent une posture souverainiste, y compris l’ex-commissaire européen Michel Barnier, qui les conduit à accuser de tous les maux la Cour européenne des droits de l’homme. Ces critiques sont aussi inquiétantes que totalement infondées.

Depuis quelque temps, le trait est systématique : dès qu’une élection approche, la Cour européenne des droits de l’homme s’invite bien malgré elle dans le débat politique. Les attaques frontales à son endroit se répètent et gagnent en intensité. Elles s’inscrivent dans un contexte général de remise en cause des droits de l’homme.

Les discours critiques à l’égard des droits de l’homme ont le vent en poupe. Il suffit de consulter les essais parus récemment sur la question[1]. À en croire leurs auteurs, les droits de l’homme seraient responsables des maux français : immigration massive ; montée du terrorisme ; dilution du politique ; hypertrophie des droits subjectifs au détriment de l’intérêt général… Mais, comme l’a montré un récent colloque organisé à l’Université Panthéon-Assas par Édouard Dubout et Sébastien Touzé[2], ces critiques ne visent pas tant l’idée de droits de l’homme que leur usage, leur mise en œuvre et les solutions dégagées par les différents juges.

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La Cour européenne des droits de l’homme, juridiction supranationale protectrice des droits de l’homme, fait figure d’accusé idéal : « tout semble fonctionner comme si la jurisprudence de la Cour est devenue le catalyseur des anti-lumières et des mouvements apparentés, réactionnaires, nationalistes, identitaires, traditionalistes et autres conservateurs… En effet, la Cour cumule à elle seule deux handicaps majeurs. Premièrement, elle protège les droits de l’homme jugés obsolètes. Deuxièmement, elle est européenne c’est-à-dire supranationale. Dans les deux cas, le désamour qui frappe le système conventionnel est révélateur de maux plus profonds, le recul de l’État de droit d’une part, celui de l’ouverture et du cosmopolitisme d’autre part »[3].

L’expression Cour européenne des droits de l’homme serait-elle devenue obscène ? À la faveur d’un regain du souverainisme, voire même d’un certain nationalisme juridique, l’on voit donc fleurir régulièrement des propositions visant à sortir de la Conventio


[1] Voir, parmi d’autres, Pierre Manent, La loi naturelle et les droits de l’homme, PUF, 2018 ; Bertrand Mathieu, Le droit contre la démocratie, LGDJ, 2017 ; Gregor Puppinck, Les droits de l’homme dénaturé, Cerf, 2018.

[2] Édouard Dubout et Sébastien Touzé (dir.), Refonder les droits de l’homme. Des critiques aux pratiques, Pedone, coll. « Publications du Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire Université Panthéon-Assas (Paris 2) », 2019.

[3] Yannick Lécuyer, « Les critiques ataviques à l’encontre de la Cour européenne des droits de l’homme », Revue des droits et libertés fondamentaux (RDLF), 2019, n° 53.

[4] Jean-Yves Pranchère et Justine Lacroix, Les droits de l’homme rendent-ils idiots ?, Seuil, 2019, p. 13.

[5] Sarah Lambrech, « Criticism of the European Convention on Human Rights system : tracing its origins, contents and degrees », dans Refonder les droits de l’homme. Des critiques aux pratiques, op. cit., p. 46.

[6] Stéphanie Hennette-Vauchez, « Un “Frexit” des droits de l’homme ? », Délibérée, 2017, n°1, p. 59-63.

[7] Au moment où l’on fête d’ailleurs le 40e anniversaire de la reconnaissance par la France du droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme.

[8] Le nombre d’arrêts s’est plutôt stabilisé ces dernières années : seize arrêts en 2020, dix-neuf en 2019, seize en 2018… On se situe à un niveau un peu plus élevé que la moyenne des démocraties occidentales mais bien en deçà des mauvais élèves comme la Turquie, l’Ukraine, la Roumanie et la Russie.

[9] Voir Laurence Burgorgue-Larsen, « La Cour EDH ne mérite pas le bouc émissaire du réductionnisme de la pensée », RDLF, 2020, n° 73.

[10] Ghislain Benhessa, Le totem de l’État de droit. Concept flou, conséquences claires, Éditions de l’Artilleur, 2021.

[11] Discours du 26 juillet 2016.

[12] Carl Schmitt, Les trois types de pensée juridique, traduction de Mira Köller, PUF, 1995(1934), p. 67. Sur cette théorie, voy. Renaud Baumert, « Carl Schmitt contre

Mustapha Afroukh

Juriste, Maître de conférences HDR en droit public à l'Université de Montpellier

Notes

[1] Voir, parmi d’autres, Pierre Manent, La loi naturelle et les droits de l’homme, PUF, 2018 ; Bertrand Mathieu, Le droit contre la démocratie, LGDJ, 2017 ; Gregor Puppinck, Les droits de l’homme dénaturé, Cerf, 2018.

[2] Édouard Dubout et Sébastien Touzé (dir.), Refonder les droits de l’homme. Des critiques aux pratiques, Pedone, coll. « Publications du Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire Université Panthéon-Assas (Paris 2) », 2019.

[3] Yannick Lécuyer, « Les critiques ataviques à l’encontre de la Cour européenne des droits de l’homme », Revue des droits et libertés fondamentaux (RDLF), 2019, n° 53.

[4] Jean-Yves Pranchère et Justine Lacroix, Les droits de l’homme rendent-ils idiots ?, Seuil, 2019, p. 13.

[5] Sarah Lambrech, « Criticism of the European Convention on Human Rights system : tracing its origins, contents and degrees », dans Refonder les droits de l’homme. Des critiques aux pratiques, op. cit., p. 46.

[6] Stéphanie Hennette-Vauchez, « Un “Frexit” des droits de l’homme ? », Délibérée, 2017, n°1, p. 59-63.

[7] Au moment où l’on fête d’ailleurs le 40e anniversaire de la reconnaissance par la France du droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme.

[8] Le nombre d’arrêts s’est plutôt stabilisé ces dernières années : seize arrêts en 2020, dix-neuf en 2019, seize en 2018… On se situe à un niveau un peu plus élevé que la moyenne des démocraties occidentales mais bien en deçà des mauvais élèves comme la Turquie, l’Ukraine, la Roumanie et la Russie.

[9] Voir Laurence Burgorgue-Larsen, « La Cour EDH ne mérite pas le bouc émissaire du réductionnisme de la pensée », RDLF, 2020, n° 73.

[10] Ghislain Benhessa, Le totem de l’État de droit. Concept flou, conséquences claires, Éditions de l’Artilleur, 2021.

[11] Discours du 26 juillet 2016.

[12] Carl Schmitt, Les trois types de pensée juridique, traduction de Mira Köller, PUF, 1995(1934), p. 67. Sur cette théorie, voy. Renaud Baumert, « Carl Schmitt contre