Écologie

La nature entre animisme et fiction ?

Économiste

Derrière le scénario proposé récemment par Camille de Toledo dans AOC, qui imagine une nature que l’on doterait d’une personnalité juridique et qui pourrait par conséquent être rémunérée pour son travail, Jean-Marie Harribey voit resurgir les impasses de la doctrine économique néoclassique, qui naturalise le travail et la valeur au lieu de les penser comme des phénomènes inséparables de rapports sociaux.

« Le resplendissant jardin des muses où s’épanouissent en tumulte et en foule à toutes les branches ces divines éclosions de l’esprit que les Grecs appelaient Tropes, partout l’image idée, partout la pensée fleur. »
Victor Hugo, William Shakespeare

La crise que le monde traverse fait perdre tout repère conceptuel. Cette crise, qui va de l’économie au social, à l’écologie, à la démocratie et au symbolique, atteint même la culture et la pratique scientifiques. L’irruption de la pandémie de Covid-19 n’a pas arrangé les choses, puisque beaucoup de doutes se sont exprimés et s’expriment encore au sujet de la science, coupable aux yeux de certains d’avancer des thèses trop incertaines, de proposer des vaccins trop peu éprouvés, et de toujours se soumettre aux pressions d’industries avides de profits.

L’affaire se corse avec le constat accablant de l’impuissance des COP annuelles de l’ONU à entraîner les principaux États vers une cessation des activités destructrices, polluantes et réchauffeuses du climat. L’omniprésence des lobbys à Glasgow qui a freiné des quatre fers n’y est pas pour rien. Au total, déroute politique devant les changements stratégiques à opérer et déroute intellectuelle devant la difficulté à séparer le vrai du faux, ou tout au moins le potentiellement vrai du radicalement faux.

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Devant une telle impuissance des institutions politiques et une aussi grande capacité des forces capitalistes à imposer leur agenda business is usual, la proposition d’instituer la nature et ses éléments animaux, végétaux, minéraux, etc., en sujets de droits rencontre de plus en plus d’adeptes. Au nom de la protection de la nature, mais plus profondément encore, au nom de la fin de la séparation entre nature et culture, ou entre nature et humanité, voire au nom de l’anti-spécisme.

La contestation de cette séparation connaît un élan important depuis les travaux de l’anthropologue Philippe Descola[1]. Au-delà de la discussion qui traverse à ce propos l’anthropologi


[1] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005. Voir le dossier que j’ai coordonné « Vers la fin de la séparation société-nature ? » dans Les Possibles, n° 26, Hiver 2021-2021, avec les contributions notamment de Geneviève Azam, Alain Caillé, Fabrice Flipo, Catherine Larrère, François Ost.

[2] Jean-Marie Harribey, En finir avec le capitalovirus, L’alternative est possible, Paris, Dunod, 2021, p. 108.

[3] Manuella éditions et Les Liens qui libèrent, 2021.

[4] Sur le site des LLL.

[5] Karl Marx, Le Capital, Livre I, 1867, Paris Gallimard, La Pléiade, 1965, tome I, p. 998-999.

[6] Présentation de la fonction Cobb-Douglas dans Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Paris, Les Liens qui libèrent, 2013, épuisé mais en ligne sur mon site.

[7] Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet, Le capital vert, Une nouvelle perspective de croissance, Paris, Odile Jacob, 2013, p. 196 et aussi p. 10.

[8] J’avais présenté cette réfutation dans Le trou noir du capitalisme, Pour ne pas y être aspiré, réhabiliter le travail, instituer les communs et socialiser la monnaie, Lormont, Le Bord de l’eau, 2020, p. 103, ainsi qu’à plusieurs reprises sur ce blog.

[9] Voir sur ce blog, « Le discours sur la valeur de l’eau ne vaut pas grand-chose », 7 avril 2021.

[10] Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, op.cit, p. 447, sur le site p. 273.

[11] Voir sur ce blog les textes précédents consacrés au travail : « Le travail et le rapport de classes dans l’économie politique », 8 octobre 2021 ; « Le travail au prisme de l’écologie politique », 27 octobre 2021.

Jean-Marie Harribey

Économiste, Université de Bordeaux, directeur de la revue Les Possibles

Notes

[1] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005. Voir le dossier que j’ai coordonné « Vers la fin de la séparation société-nature ? » dans Les Possibles, n° 26, Hiver 2021-2021, avec les contributions notamment de Geneviève Azam, Alain Caillé, Fabrice Flipo, Catherine Larrère, François Ost.

[2] Jean-Marie Harribey, En finir avec le capitalovirus, L’alternative est possible, Paris, Dunod, 2021, p. 108.

[3] Manuella éditions et Les Liens qui libèrent, 2021.

[4] Sur le site des LLL.

[5] Karl Marx, Le Capital, Livre I, 1867, Paris Gallimard, La Pléiade, 1965, tome I, p. 998-999.

[6] Présentation de la fonction Cobb-Douglas dans Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Paris, Les Liens qui libèrent, 2013, épuisé mais en ligne sur mon site.

[7] Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet, Le capital vert, Une nouvelle perspective de croissance, Paris, Odile Jacob, 2013, p. 196 et aussi p. 10.

[8] J’avais présenté cette réfutation dans Le trou noir du capitalisme, Pour ne pas y être aspiré, réhabiliter le travail, instituer les communs et socialiser la monnaie, Lormont, Le Bord de l’eau, 2020, p. 103, ainsi qu’à plusieurs reprises sur ce blog.

[9] Voir sur ce blog, « Le discours sur la valeur de l’eau ne vaut pas grand-chose », 7 avril 2021.

[10] Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, op.cit, p. 447, sur le site p. 273.

[11] Voir sur ce blog les textes précédents consacrés au travail : « Le travail et le rapport de classes dans l’économie politique », 8 octobre 2021 ; « Le travail au prisme de l’écologie politique », 27 octobre 2021.