Neutriser la langue, démasculiniser le neutre
Cet automne, l’introduction du pronom iel dans le Robert a déchaîné l’ire des polémistes et politiques de tous bords. Les trois petites lettres de la discorde ont volé la vedette à bien d’autres sujets qui mériteraient pourtant d’inquiéter ministres, parlementaires et éditorialistes : entre autres, le déferlement ininterrompu de violences sexistes et sexuelles jusque dans les rangs de l’Assemblée nationale, la persistance du harcèlement scolaire qui mène des élèves de collège au suicide, ou encore, l’épuisement généralisé des personnels de santé et d’éducation.
Au lieu de cela, c’est l’ajout dans un dictionnaire, initiative privée qui regroupe plus de cinq cent mille mots, d’un néologisme introduisant en langue française un pronom personnel neutre de la troisième personne du singulier et du pluriel qui a déclenché la polémique. Dictionnaire qui, rappelons-le, n’a pas vocation à dicter la norme linguistique mais se contente de recenser les usages de la langue en constante évolution.

On a donc dénoncé au nom du bon sens et de la beauté du français ces minorités qui veulent triturer la langue et modeler la société à leur image. Mais quel est donc vraiment ce scandale auquel on a entendu crier ? Était-ce la plainte des gardien·nes de la langue française et de ses règles ancestrales ? Des nouveaux mots font pourtant leur entrée dans les dictionnaires tous les ans sans donner lieu à des tribunes, des émissions télévisuelles ou radiophoniques, et autres déferlantes de tweets. Serait-ce la litanie des champion·nes de la liberté d’expression contre les censures du politiquement correcte et la tyrannie des minorités ? On ne voit toutefois pas bien la censure et la tyrannie dans le recensement par une entreprise privée d’un usage de la langue.
Et si le scandale de iel n’était pas plutôt, avant tout, d’introduire un trouble dans ce qui semble être la perpétuelle routine binaire du genre ?
Cette polémique suggère, une fois de plus, combien la dualité des sexes est un s