Politique

La voie anarchiste est la seule qui reste encore ouverte

Philosophe

Alors même que l’anarchisme semble aujourd’hui très vif dans les pratiques militantes, mais aussi dans la réalité dérégulée de l’économie ultra-libérale, la langue désormais hégémonique de l’anarcho-capitalisme échoue à comprendre ce qui fait le prix et la ressource de l’anarchisme, comme ont tenté de le faire des philosophes tels Foucault, Rancière ou Agamben. Il importe aujourd’hui d’explorer à fond la voie anarchiste, à partir de son histoire débutée dans les années 1870, pour retrouver le vrai goût de la liberté.

Force est de le constater, aucun philosophe politique contemporain n’a proposé d’interprétation nouvelle des anarchistes classiques – Proudhon, Kropotkine ou Bakounine – ou de leurs descendants plus actuels, comme Bookchin, Chomsky ou Graeber. Les ont-ils même lus ?

Or, le moment est venu de repenser philosophiquement l’anarchisme. Pourquoi ? Parce que l’horizontalité, c’est-à-dire l’absence de centralisation pyramidale, est aujourd’hui en crise.

Cette crise très particulière tient à la coexistence mondiale d’un anarchisme de fait et d’un anarchisme d’éveil. Une coexistence qui rend difficile une distinction rigoureuse entre la résignation et l’initiative.

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Un anarchisme de fait

Anarchisme de fait. Aujourd’hui, l’État a déjà dépéri, qui n’est plus que l’enveloppe de protection des diverses oligarchies qui se partagent le monde. Partout, le monde social est condamné à une horizontalité d’abandon. En France, la fermeture des lits dans les hôpitaux, la réduction des classes dans les écoles, la privatisation et sous-traitance des services postaux, la généralisation de la flexibilité du travail, qui s’accompagne de la suppression des statuts, la multiplication des contrats à durée déterminée dans la fonction publique, notamment dans l’enseignement supérieur, la réduction du personnel des ministères, l’inégalité toujours plus grande dans l’accès aux soins, la protection judiciaire, l’éducation… en sont les symptômes les plus manifestes.

Dans les pays dits démocratiques, économiquement privilégiés, l’effondrement de l’État-Providence, bien que déjà ancien, continue d’imposer indéfiniment ses effets. Aucune institution étatique ni aucune organisation parlementaire commune – le fonctionnement de Union Européenne en est le triste exemple – ne peuvent réagir aux défis de la pauvreté, des migrations ou de la crise écologique et sanitaire autrement que par de dérisoires mesures d’urgence.

Un anarchisme d’éveil

Anarchisme d’éveil. Cette chute factuelle du sens social de


[1] Karel Yon, « Les grèves et la contestation syndicale sont de plus en plus politiques », Entretien avec Marina Garrisi, RP Dimanche, 9/02/2020.

[2] Cf. par exemple l’article très intéressant de Melissa Lane, « Why Donald Trump was the ultimate anarchist ? », New State Man, 08/02/2021.

[3] Alain Damasio, « Internet est tellement vaste et polymorphe que l’anarchisme y reste possible », entretien avec Mathieu Dejean, Les Inrockuptibles , 22 juin 2015.

[4] « L’anarcho-capitalisme est-il un type d’anarchisme ? », La FAQ anarchiste, Section F.

[5] César de Paeppe, « De l’organisation des services publics dans la société future », Daniel Guérin, Ni Dieu ni Maître, Anthologie de l’anarchisme, vol. 1, p. 279.

[6] Jeremy Riffkin, La nouvelle Société du coût marginal zéro, L’Internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, trad. Françoise et Paul Chemla, Paris, Les Liens qui libèrent, 2014.

[7] Mikhail Bakounine, La Liberté, Choix de textes, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1969, p. 42-43.

[8] Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Gallimard-Seuil, 2004.

[9] Ibid. p. 301.

[10] Ibid., p. 299.

Catherine Malabou

Philosophe, Professeure à l'Université de Kingston et à l'Université de Californie

Notes

[1] Karel Yon, « Les grèves et la contestation syndicale sont de plus en plus politiques », Entretien avec Marina Garrisi, RP Dimanche, 9/02/2020.

[2] Cf. par exemple l’article très intéressant de Melissa Lane, « Why Donald Trump was the ultimate anarchist ? », New State Man, 08/02/2021.

[3] Alain Damasio, « Internet est tellement vaste et polymorphe que l’anarchisme y reste possible », entretien avec Mathieu Dejean, Les Inrockuptibles , 22 juin 2015.

[4] « L’anarcho-capitalisme est-il un type d’anarchisme ? », La FAQ anarchiste, Section F.

[5] César de Paeppe, « De l’organisation des services publics dans la société future », Daniel Guérin, Ni Dieu ni Maître, Anthologie de l’anarchisme, vol. 1, p. 279.

[6] Jeremy Riffkin, La nouvelle Société du coût marginal zéro, L’Internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, trad. Françoise et Paul Chemla, Paris, Les Liens qui libèrent, 2014.

[7] Mikhail Bakounine, La Liberté, Choix de textes, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1969, p. 42-43.

[8] Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Gallimard-Seuil, 2004.

[9] Ibid. p. 301.

[10] Ibid., p. 299.