Sport

De Pékin à Doha, le sport sur une pente glissante

Journaliste

La Chine accueille à partir de ce vendredi les XXIVe Jeux Olympiques d’hiver avec en écho l’appel au secours des Ouïghours. Funeste année sportive qui verra dans neuf mois une Coupe du Monde de football se disputer dans des nécropoles d’ouvriers réduits en servitude. Pourtant, aucun boycott digne de ce nom à l’horizon. « Le sport doit être préservé au maximum des interférences avec la politique », plaide Jean-Michel Blanquer. Mais alors pourquoi le mettre régulièrement au service des pires régimes ?

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En 2022 sur des crimes odieux le sport fermera encore une fois les yeux. La diplomatie française n’aime pas s’encombrer de détours de l’âme. Comme elle a réhabilité sur la scène internationale un prince héritier qui n’a pas hésité à découper un journaliste façon Félix dans Le Père Noël est une ordure, elle n’a pas imaginé un instant boycotter les Jeux Olympiques d’hiver de Pékin et se sera même faite chantre du Mondial de football au Qatar, Nicolas Sarkozy et Michel Platini ayant joué un rôle non négligeable dans la désignation de l’émirat en tant que pays organisateur. Voyez avec quel entrain Marcel Desailly, il est vrai consultant pour la chaîne qatarienne beIN Sports, encourage le supporter à se rendre à Doha en fin d’année : « Vous pourrez assister à plusieurs matches dans la même journée ! » Oui un peu comme on fait la tournée des cimetières à la Toussaint.

Mais comme le dit Jean-Yves Le Drian  : « Cela ne nous empêche pas d’avoir à l’égard de la question des droits de l’homme une position très exigeante ». L’Assemblée nationale a ainsi voté en janvier une résolution reconnaissant le « caractère génocidaire » des violences commises par le pouvoir chinois à l’égard des Ouïghours. L’exigence dont parle le ministre des Affaires étrangères est bien sûr mesurée à l’aune d’enjeux économiques et financiers « de haut niveau » : la Chine est le deuxième fournisseur de la France et son septième client. Pour le plus grand malheur des Ouïghours, l’Hexagone a fait du rééquilibrage de cette balance un objectif prioritaire. Alors plutôt que du Xinjiang parlons donc si vous le voulez bien de la qualité de la neige sur les pistes de Zhangjiakou.

Nonobstant son jeu bipolaire en coulisse des réseaux du terrorisme, le Qatar, pour sa part, nous vend son gaz, achète nos Airbus et nos armes, et investit massivement à Paris. En échange, Vinci est dans ses babouches à Doha. Alors plutôt que de remuer les gravats de ses chantiers parlons donc si vous le voulez bien de l’effectif « cinq étoiles » du PSG à l’approche de sa confrontation avec le Real Madrid.

C’est la même logique qui a prévalu lors de la visite rendue par Emmanuel Macron à Mohammed Ben Salman, « MBS » pour les intimes. Le chef de l’État considère qu’il est nécessaire de parler à l’Arabie Saoudite, « premier pays du Golfe en termes de taille », pour pouvoir « œuvrer à la stabilité de la région ». Mais cela « ne veut pas dire qu’on est complaisant », prend-il le soin de préciser, une main sur le cœur, l’autre sur la bouche comme pour s’excuser auprès des proches de feu Jamal Khashoggi. Et roule le Dakar et les contrats pour Veolia ! Lorsqu’on en maîtrise le pas la valse du « en même temps » présente l’avantage de pouvoir danser aux soirées de l’ambassadeur sans risquer à aucun moment d’écraser le pied de quiconque, pas même celui du très maladroit Viktor Orban, certes « adversaire politique » mais également « partenaire ». Saisissez-vous la subtilité ?

Il y a un an, l’ancien ambassadeur de France en Russie et en Chine Jean-Maurice Ripert expliquait pourtant au micro de France Culture : « Il faut à la fois respecter le pays, sa culture, son histoire, ce qu’il a de vénérable, ce qu’il a réussi, son partenariat avec nous quand il y en a un, et rester ferme sur les valeurs. Ne jamais se taire. Si vous ne vous respectez pas vous-même, vous ne serez jamais respecté. (Ces pays) comptent sur le fait qu’on leur concède la puissance. Il faut donc en permanence, poliment, diplomatiquement mais fermement, leur fixer les limites, les lignes bleues, celles où l’on veut aller, et les lignes rouges, celles au-delà desquelles nous n’irons pas. » En d’autres termes, il y a des limites à l’acceptable. A priori, un génocide ne l’est pas, pas plus que la traite d’êtres humains. Participer à des Jeux Olympiques et à une Coupe du Monde organisés par deux pays tenus pour coupables de tels actes – bien que ceux-ci crient au dénigrement – reviendrait donc à effacer les lignes rouges.

Reconnaissons au moins à notre diplomatie une vraie colonne vertébrale : le boycott n’est pas dans ses gènes. L’idée a pu parfois s’inviter dans le débat, comme avant le Mundial argentin de 1978, orchestré par la dictature du sanguinaire général Videla. Aragon et Sartre s’en mêlèrent en personne. Mais la France de Giscard ne voulait pas compromettre ses intérêts à Buenos Aires alors Platini et les siens allèrent jouer comme si de rien n’était au stade Monumental, à porter de ballon de l’École mécanique de la Marine, transformée en centre de torture par la junte militaire. Comme tout le monde, nous direz-vous. Toutefois, deux ans plus tard, la France nagera carrément à contre-courant en ne suivant pas le boycott massif (plus de cinquante nations) des Jeux Olympiques de Moscou suite à l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. Comble de l’hypocrisie, nos athlètes concourront sous bannière olympique, histoire de ménager la chèvre et le… gaz soviétique.

C’est un euphémisme de dire que la « patrie des droits de l’homme » n’apprécie pas exagérément les mélanger au sport.

Le malentendu de « l’apolitisme du sport » remonte à Pierre de Coubertin. Lorsqu’il ressuscita les Jeux Olympiques, le Baron mit l’accent sur l’internationalisme des champions et le caractère pacifique de leurs affrontements, mais également – on l’oublie trop souvent – sur les forces vitales patriotiques. L’équivoque conduira l’Assemblée nationale du Front populaire à voter les crédits de la participation française aux Jeux de Berlin. Et le rugby tricolore à servir de sparring-partner aux Springboks de l’Apartheid sud-africain.

C’est un euphémisme de dire que la « patrie des droits de l’homme » n’apprécie pas exagérément les mélanger au sport. Le tapis rouge déroulé au Qatar en constitue la preuve la plus accablante. Alors lorsqu’il y a controverse le mieux est encore de ne pas mouiller, un débat éthique pouvant provoquer des éclaboussures. « Le sport est un monde en soi qui doit être préservé au maximum des interférences politiques, sinon ça peut partir dans n’importe quelle direction et on finira par tuer l’ensemble des compétitions, justifie le ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et des sports Jean-Michel Blanquer. Il faut condamner les violations des droits de l’homme (…). Mais il faut savoir, s’agissant des compétitions sportives, avoir l’attitude adéquate et adaptée. »

Mais quelle est-elle au juste cette attitude ? Le boycott diplomatique est à la mode depuis que les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie, suivis depuis par quelques autres, ont annoncé qu’ils n’enverront pas d’officiels dans les tribunes des JO d’hiver de Pékin. Et il est bien pratique dans la mesure où il permet de faire montre à moindre coût de sa mauvaise humeur – ne parlons pas encore de guerre froide, les pistolets à eau sont à peine de sortie – sans pour autant pénaliser des athlètes qui se sont préparés depuis quatre ans pour la compétition.

Mais Emmanuel Macron y voit une mesure « toute petite et symbolique ». Rappelons au passage que le président de la République n’est pas lui non plus d’humeur à plaisanter après le coup bas de la signature de l’accord AUKUS prévoyant l’équipement de l’Australie en sous-marins à propulsion nucléaire dans le cadre d’une alliance avec les États-Unis et le Royaume-Uni. « Il faut être clair », coupe le locataire de l’Élysée, qui arrivé en fin de bail aurait apprécié une position européenne commune, « soit on fait un boycott complet, on n’envoie pas d’athlètes, soit on essaie de réengager les choses et d’avoir une action utile à l’international. » Difficile de lui donner tort : ce n’est pas ce boycott sans sucre qui va lézarder les murs de la Cité interdite. Mais l’Histoire nous apprend – hélas ! – que l’essentiel n’est pas toujours de participer et que l’utilité de l’action selon Macron s’est rarement vérifiée, à l’exception peut-être du Mundial 78, qui ne parvint pas, en dépit de la victoire de l’Albiceleste, à éteindre la colère du peuple argentin, mieux, sensibilisa le monde entier à son calvaire.

Posons donc le problème en termes différents : si le sport doit être apolitique, voire sanctuarisé comme l’appelle de ses vœux Blanquer, pourquoi le livrer régulièrement aux mains de régimes s’asseyant sur les valeurs démocratiques et les conventions internationales, au risque de les légitimer ?

Petite liste non exhaustive des grandes compétitions du genre : Jeux Olympiques 1904 organisés à Saint-Louis, Missouri, dans une Amérique ségrégationniste et ponctués de « journées anthropologiques » pour démontrer les désavantages athlétiques des races considérées comme inférieures ; Coupe du Monde 1934 récupérée par l’Italie fasciste et transformée par Mussolini en formidable outil de propagande ; Jeux de Berlin en 1936 instrumentalisés par Hitler (et sans la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, Tokyo aurait complété le triptyque en 1940) ; Mundial 1978 ; Jeux de Moscou en 1980 ; Jeux de Pékin en 2008 ; Championnats du Monde d’athlétisme à Moscou en 2013 ; Jeux d’hiver de Sotchi en 2014 ; Championnats du monde d’athlétisme à Pékin en 2015 ; Coupe du Monde 2018 en Russie en pleine guerre du Donbass ; Championnats du monde d’athlétisme à Doha en 2019 ; Jeux d’hiver de Pékin et Coupe du Monde au Qatar cette année ; Championnats du monde d’athlétisme à Budapest en 2023… Remarquez que la fréquence a tendance à s’accélérer au rythme des scandales en série qui simultanément n’en finissent plus de gangréner les instances internationales du sport. On se croirait dans Tosca, où le piège se referme de façon inéluctable sur l’ensemble des protagonistes.

Dans cet irrépressible appel du vide, qui est Cavaradossi ? Qui est Scarpia ? Qui est fréquentable ? Qui ne l’est pas ? Aux yeux de qui ? « En tant que journaliste et fan de football, je dois avouer que le débat éthique et moral que je mène en interne depuis un certain temps est très complexe, déclarait récemment le très populaire YouTubeur et animateur de Radio Marca Miguel Quintana. Que devons-nous faire ? Ne pas regarder les matches ? Ne pas les couvrir ? Où fixer la limite ? » Il réagissait aux propos très inconfortables tenus par Nasser Al-Khater, le directeur général du comité d’organisation de la Coupe du Monde 2022, interrogé par CNN sur la question de l’homosexualité, illégale au Qatar : en substance, tout le monde sera le bienvenu sous condition de discrétion, respectez notre culture comme nous respectons la vôtre.

C’est sûr qu’il est bien temps de se préoccuper des droits humains une fois qu’on a refilé les clés à qui les piétine ! D’ailleurs, selon toute vraisemblance, rien ne viendra perturber cette année sportive 2022 qui sera in fine consommée toute honte bue, représentations diplomatiques ou pas dans les loges pékinoises. L’absence de dirigeants occidentaux au Qatar, selon le principe de la tache d’huile, aurait en revanche le mérite d’entraîner une faillite du protocole, or les princes du Golfe ont un impératif besoin d’apparaître sur la photo aux côtés des grands de ce monde afin de gagner en respectabilité. Xi Jinping, lui, s’en moque comme de sa première carte du Parti.


Nicolas Guillon

Journaliste

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