Les Russes et Poutine, entre critique intellectualiste et critique populaire
Le peuple russe serait autoritaire, séduit par les sirènes populistes et par le discours nationaliste. À de rares exceptions près (ceux qui soit croupissent en prison comme Alexeï Navalny, opposant désormais mondialement connu, soit sont exilés dans les pays occidentaux « libres », où ils enseignent ou font du business), ce serait ça, les Russes, des pro-Poutine au cerveau ramolli par la propagande.
Il y a quelques années, j’ai voulu prendre cette image d’Épinal au pied de la lettre et aller voir ce qui se passait vraiment du côté de ces « pro-Poutine » lobotomisés. J’ai eu la chance, avec mes collègues de l’université de Saint-Pétersbourg, de pouvoir mener une enquête assez exceptionnelle, allant à la rencontre de plusieurs dizaines de personnes, de milieux sociaux divers, dans six régions de Russie.
Que cherchait-on ? Cette majorité pro-Poutine loyaliste et nationaliste. Comment ? En faisant parler les gens sur leur vie quotidienne, en les suivant sur des scènes de cette même vie quotidienne. Et qu’a-t-on trouvé ? Des points de vue sur Poutine pas si élogieux que prévu, un nationalisme pas si chauviniste qu’annoncé et surtout un loyalisme bien incertain.

En premier lieu, nous avons découvert un foisonnement de critiques sociales ordinaires, qui prouvent non seulement la renaissance en Russie d’un certain mode de faire société (remarquable après l’écroulement consécutif à la dislocation de l’Union soviétique et à l’effondrement du communisme « réel »), mais aussi la vivacité de la contestation sociale à bas bruit, qui ne s’affiche pas forcément dans les rues et sur les pancartes, mais qui irrigue néanmoins fortement les expériences de vie.
On me rétorquera que les gens en entretien se présentent sous leur meilleur jour, que nous n’avons pas rencontré suffisamment de personnes, que nous avons surinterprété, etc. C’est possible. Mais une chose me réconforte : nous n’avons pas trouvé une seule mais des catégories différentes, voire antagonistes, de critiques