Société

De l’encerclement des manifestations

Philosophe

Dans la nouvelle version du « Schéma national du maintien de l’ordre », publiée en décembre 2021, la technique qui consiste à encercler des manifestants pour les retenir dans un périmètre donné peut être utilisée si elle permet « d’éviter le recours à des techniques de maintien de l’ordre pouvant présenter des risques supérieurs d’atteinte aux personnes ». Cette technique d’encadrement vide pourtant la manifestation de son essence et la prive de sa dimension subjectivante, puisque les manifestants sont dépossédés d’un événement qui devient une démonstration de force policière.

À partir de sa création en 2019, l’Observatoire parisien des libertés publiques[1] remarque que les forces de l’ordre (FDO)[2] ont de plus en plus souvent recours à l’encerclement total des cortèges. Les agents forment alors des lignes qui ouvrent et ferment les cortèges, et des colonnes qui en serrent les flancs. En décembre 2021, la deuxième version du « Schéma national du maintien de l’ordre », publiée par le ministère de l’Intérieur, donne aux FDO la possibilité d’encercler les manifestations dès que cela pourrait « prévenir » des violences[3] : autrement dit, même lorsqu’aucune infraction n’aurait été commise, donc n’importe quand.

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Ces dispositifs, désormais familiers des manifestants à Paris, se transforment parfois, au gré des décisions hiérarchiques et de manière imprévisible, en « nasses[4] » interdisant aux personnes de s’extraire d’un périmètre dessiné par les FDO. Mais même lorsque lorsqu’il ne s’agit pas d’enfermer les personnes, l’encerclement des cortèges constitue une atteinte au droit de manifester, retirant à la manifestation ce qui lui donne son sens et sa raison d’être.

En effet, ces dispositifs portent toujours une logique de répression des manifestations. Nous allons essayer de la mettre au jour, en montrant comment elle réprime certaines des caractéristiques essentielles de la manifestation. L’analyse prendra pour objet ces dispositifs dans leur forme la plus souple, étant entendu que si elle vaut pour ceux-ci, elle vaudra a fortiori pour les encerclements plus fermés, comme la « nasse ».

Si les manifestants peuvent encore se reconnaître comme un « nous », ce n’est plus qu’à partir de leur commune dépossession.

La manifestation de rue est une technique d’expression démocratique découlant du droit de manifester, corollaire de la liberté d’expression, consacrée par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et la Convention Européenne des Droits de l’Homme[5]. Elle peut se définir comme « occupation momentanée par plusieurs per


[1] Observatoire parisien des libertés publiques – LDH Paris. Pour une première version plus étayée de cette analyse, voire le rapport « Nasses et dispositifs d’encerclement » (2020), partie II.

[2] La Police nationale et la Gendarmerie nationale constituent les deux forces de police qui assurent les missions de maintien de l’ordre en France. Nous parlerons indistinctement de « FDO » ou de « police » pour les désigner.

[3] « Schéma national du maintien de l’ordre », Ministère de l’Intérieur.

[4] La « nasse » retient des personnes en leur interdisant toute sortie du périmètre dessiné par les FDO. Pour une typologie imagée de ces dispositifs, voir « Contrôler, réprimer, intimider. Nasses et autres dispositifs d’encerclement policier lors des manifestations parisiennes, Printemps 2019 – Automne 2020. Partie I : Typologie des dispositifs observés en manifestation », Observatoire parisien des libertés publiques – LDH Paris. Pour une analyse des atteintes aux droits résultant spécifiquement des dispositifs de nasse, voir « Contrôler, réprimer, intimider. Nasses et autres dispositifs d’encerclement policier lors des manifestations parisiennes, Printemps 2019 – Automne 2020. Partie II : La nasse, une pratique attentatoire aux libertés publiques ».

[5] Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, art. 11 (interprété par le Conseil constitutionnel : « liberté d’expression collective des idées et opinions ») ; Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, art. 11 (Liberté de réunion pacifique ; appliqué par la Cour européenne des droits de l’Homme avec l’article 10 protégeant la liberté d’expression).

[6] Olivier Fillieule, Stratégies de rue, Paris, Presses de la FNSP, 1997, p. 44.

[7] Tous les dispositifs d’encerclement peuvent se fermer en un instant, et finissent souvent par se changer en nasses. Voir par exemple « Note d’observation de la manifestation parisienne du 16 octobre 2021 », Observatoire parisien des libertés publiques

Lucas Lévy-Lajeunesse

Philosophe, professeur de philosophie en Seine-Saint-Denis, membre de l’Observatoire parisien des libertés publiques

Notes

[1] Observatoire parisien des libertés publiques – LDH Paris. Pour une première version plus étayée de cette analyse, voire le rapport « Nasses et dispositifs d’encerclement » (2020), partie II.

[2] La Police nationale et la Gendarmerie nationale constituent les deux forces de police qui assurent les missions de maintien de l’ordre en France. Nous parlerons indistinctement de « FDO » ou de « police » pour les désigner.

[3] « Schéma national du maintien de l’ordre », Ministère de l’Intérieur.

[4] La « nasse » retient des personnes en leur interdisant toute sortie du périmètre dessiné par les FDO. Pour une typologie imagée de ces dispositifs, voir « Contrôler, réprimer, intimider. Nasses et autres dispositifs d’encerclement policier lors des manifestations parisiennes, Printemps 2019 – Automne 2020. Partie I : Typologie des dispositifs observés en manifestation », Observatoire parisien des libertés publiques – LDH Paris. Pour une analyse des atteintes aux droits résultant spécifiquement des dispositifs de nasse, voir « Contrôler, réprimer, intimider. Nasses et autres dispositifs d’encerclement policier lors des manifestations parisiennes, Printemps 2019 – Automne 2020. Partie II : La nasse, une pratique attentatoire aux libertés publiques ».

[5] Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, art. 11 (interprété par le Conseil constitutionnel : « liberté d’expression collective des idées et opinions ») ; Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, art. 11 (Liberté de réunion pacifique ; appliqué par la Cour européenne des droits de l’Homme avec l’article 10 protégeant la liberté d’expression).

[6] Olivier Fillieule, Stratégies de rue, Paris, Presses de la FNSP, 1997, p. 44.

[7] Tous les dispositifs d’encerclement peuvent se fermer en un instant, et finissent souvent par se changer en nasses. Voir par exemple « Note d’observation de la manifestation parisienne du 16 octobre 2021 », Observatoire parisien des libertés publiques