Politique

Les candidats à l’élection présidentielle ne sont pas la nation

Politiste

Les dirigeants politiques – et a fortiori les candidats à l’élection présidentielle – pensent disposer d’une légitimité à incarner la voix de la nation et à en délimiter les frontières. Mais dans nombre de leurs discours s’impose une conception exclusive de l’identité nationale, articulée à des critères ethniques plutôt que politiques. Cette posture nie l’idée de nation telle qu’elle s’est historiquement construite.

Qu’est-ce que signifie appartenir à une nation ? Dans un récent ouvrage – La nation inachevée – j’ai essayé d’analyser les processus concrets de sa fabrication continue, et revenir sur les concepts de nation, d’État, et de peuple d’État qui méritent d’être distingués pour voir clair dans la manière dont la nation est pensée pendant la campagne électorale.

Les dirigeants politiques, et a fortiori les candidats à l’élection présidentielle, se croient légitimes à dire ce qu’est la nation, et à en définir les frontières. Ainsi, Mme Pécresse déclare : « Oui, être Français c’est avoir un sapin de Noël, manger du foie gras, c’est élire Miss France, et c’est le Tour de France, parce que c’est cela la France ». Éric Zemmour de son côté juge que les noms d’origine étrangère sont « une insulte à la France », et que la « remigration », sorte de nettoyage ethnique, permettra de retrouver la pureté d’une nation fantasmée. La position de M. Macron s’inscrit dans une ligne comparable, mais moins tranchée, oscillant entre propos plus inclusifs et choix de ministres qui se rallient à une telle vision.

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L’interprétation ethnique de la nation chez les responsables politiques français n’est pas nouvelle. Lors du campus d’été de l’UMP, en 2009 à Seignosse dans les Landes, Jean-François Copé plaisante avec un jeune homme, Amine, juste avant qu’une femme explique : «Il est catholique, il mange du cochon et il boit de la bière. »

Et Brice Hortefeux, le ministre de l’Intérieur, de répondre : « Ah, mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype. C’est pas du tout ça. — C’est notre petit Arabe, explique la dame. — Bon, tant mieux, dit M. Hortefeux. Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. »

En novembre 2020, sur le plateau d’une télévision, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin se dit « toujours choqué d’entrer dans un hypermarché, de voir qu’il y avait en arrivant en rayon de telles cu


[1] C’est le jugement pour décrochage du portrait du Président, condamnés en appel : « Les décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron condamnés en appel à Agen mais dispensés de peine », Le Monde, 3 février 2022.

[2] Voir les différentes occasions de ce rituel, par exemple « Y a-t-il eu une minute de silence dans les écoles pour les décès des autres présidents de la Ve République ? », Libération, 30 septembre 2019.

[3] Welzel, C. (2013). The Rights Revolution*. In Freedom Rising: Human Empowerment and the Quest for Emancipation (pp. 278-306). Cambridge: Cambridge University Press.

[4] Michael Lipsky, Street Level Bureaucracy, New York, Russell Sage Foundation, 1980, pp. 3-25. Trad. fr. : « La bureaucratie de proximité », Les Cahiers de la sécurité intérieure, 2001, n° 44-2, pp. 227-256.

Sebastian Roché

Politiste, directeur de recherche au CNRS (PACTE-Université Grenoble-Alpes) et enseignant à Sciences Po Grenoble et à l’université de Bahcesehir (Istanbul).

Notes

[1] C’est le jugement pour décrochage du portrait du Président, condamnés en appel : « Les décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron condamnés en appel à Agen mais dispensés de peine », Le Monde, 3 février 2022.

[2] Voir les différentes occasions de ce rituel, par exemple « Y a-t-il eu une minute de silence dans les écoles pour les décès des autres présidents de la Ve République ? », Libération, 30 septembre 2019.

[3] Welzel, C. (2013). The Rights Revolution*. In Freedom Rising: Human Empowerment and the Quest for Emancipation (pp. 278-306). Cambridge: Cambridge University Press.

[4] Michael Lipsky, Street Level Bureaucracy, New York, Russell Sage Foundation, 1980, pp. 3-25. Trad. fr. : « La bureaucratie de proximité », Les Cahiers de la sécurité intérieure, 2001, n° 44-2, pp. 227-256.