Législatives : la gauche peut-elle prendre le pouvoir ?
#MélenchonPremierMinistre ? À gauche, l’enthousiasme pour le « troisième tour » est là, mais a-t-on vraiment une chance de voir survenir une cohabitation ? Après les stratégies incantatoires et la défaite de la présidentielle, il est temps de s’appuyer sur une réflexion rationnelle pour maximiser le pouvoir de la gauche dans l’Assemblée nationale qui sera élue en juin. Ce pouvoir dépendra bien entendu du nombre de sièges obtenus (une soixantaine de députés peuvent déposer une motion de censure ou saisir le Conseil constitutionnel d’un texte avant sa promulgation, 185 peuvent demander l’organisation d’un référendum et 289 permettent de gouverner).
Mais prendre le pouvoir, ce n’est pas forcément avoir la majorité absolue. Le pouvoir de la gauche, c’est-à-dire sa capacité à peser sur les décisions politiques, dépendra aussi du nombre de sièges que n’obtiendront pas La République en marche (LREM) et le Rassemblement national (RN). Une gauche qui n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée peut être puissante si LREM ne l’a pas non plus et doit s’appuyer sur des alliances pour adopter un texte. Une telle situation est à portée de main.
Trois grandes forces politiques, LREM majoritaire et la mort des vieux partis
En étudiant les enquêtes sur les déplacements de voix entre présidentielle et législatives 2017, les sondages de reports de voix selon les hypothèses de seconds tours à la présidentielle 2022 et les résultats du premier tour de la présidentielle 2022 par circonscription législative, j’ai réalisé et publié une série de projections par circonscription des législatives 2022 en fonction de différents scénarios plausibles. Il ne s’agit pas d’une prédiction mais d’un outil stratégique à utiliser si nous voulons savoir comment nous rapprocher de la situation la plus favorable.
Quatre scénarios en particulier ont été distingués, en fonction de deux variables : le niveau de mobilisation des classes populaires et des jeunes, habituellement grands abstentionnistes aux législatives, et l’union ou non des gauches. L’ensemble de ces scénarios tend à confirmer l’existence de trois pôles politiques (populaire, libéral, extrême droite) et la quasi-mort des anciennes grandes forces (PS, LR) au niveau national.
Scénario 1 : Classique
Abstention proche de 60 % chez les jeunes et classes populaires, 50 % environ chez les autres
Scénario 2 : Classique + union des gauches
Abstention proche de 60 % chez les jeunes et classes populaires, 50 % environ chez les autres + accords entre partis de gauche (15 triangulaires)
Les scénarios 1 et 2 sont ceux dans lesquels la participation populaire est du même niveau qu’aux précédentes législatives, c’est-à-dire de l’ordre de 40 %, contre 50 % pour les classes supérieures. Ils offrent à la gauche et au RN plus d’une centaine de sièges chacun, mais assurent à LREM une majorité assez large pour gouverner.
Et si la mobilisation populaire a lieu ? Stratégies et enjeux de pouvoir
Scénario 3 : Mobilisation populaire élevée
Abstention d’environ 50 % en moyenne nationale
Le scénario 3 surviendra si les forces qui ont perdu la présidentielle parviennent à convaincre près de la moitié des électeurs jeunes et issus des classes populaires de se déplacer jusqu’au bureau de vote. Il présente un intérêt particulier : le nombre de sièges qu’il assure à LREM ne garantit pas au président de disposer d’une majorité absolue. À quelques sièges près, LREM pourrait se trouver contraint à s’appuyer sur des alliances de circonstance pour faire voter chaque texte.
Scénario 4 : Mobilisation populaire élevée + union des gauches
Abstention d’environ 50 % en moyenne nationale + accords entre partis de gauche (200 triangulaires)
Le scénario 4 repose sur le même niveau de mobilisation électorale que le 3, mais avec une union des gauches, configuration qui s’avère plausible au vu des négociations actuelles. Son principal avantage est de priver clairement LREM de la majorité absolue et d’espérer donner un pouvoir fort à la gauche à l’Assemblée au point, certainement, de peser sur l’orientation politique du pays. Il a un inconvénient de poids : en raison d’un grand nombre de triangulaires, configuration favorable à l’extrême droite, ce scénario peut permettre au RN d’atteindre un nombre très élevé de sièges. Cela créerait un danger quant aux jeux d’alliances choisis par LREM, pour peu qu’une frange du RN décide de soutenir une partie de la politique économique du président.
Dans le cas où le premier tour des législatives semble nous conduire vers le scénario 4, l’entre-deux-tours devra être le moment d’une réflexion profonde sur un sujet difficile à aborder dans le contexte politique actuel : celui d’un compromis entre gauche et LREM pour rétablir la tradition des décennies passées dite du « barrage républicain ». Celle-ci consiste, lorsqu’il y a une triangulaire et un risque que le RN l’emporte, à ce que le parti le moins bien placé, entre celui de gauche et LREM, se désiste pour empêcher la victoire du candidat RN. Cette option permettrait à LREM de regagner des sièges tout en restant loin de la majorité absolue. Mais surtout, elle renforcerait la gauche au point de lui offrir, avec un tiers de l’assemblée, une force suffisante pour faire une clé de bras à LREM et peser sur les politiques futures et sur la composition du gouvernement (scénario 4 bis).
Scénario 4 bis : Scénario 4 + barrages anti-RN
Abstention d’environ 50 % en moyenne nationale + accords entre partis de gauche + accords de désistement gauche-LREM pour les 200 cas de triangulaire avec le RN
On peut bien entendu tabler sur une forte mobilisation de l’électorat de gauche uniquement, pour espérer décrocher la majorité et gouverner, et le travail de terrain des militants de gauche dans les semaines qui viennent sera tourné vers ce but. Mais il y a de fortes chances qu’il ne soit pas atteint. Par conséquent, tout en luttant pour que les prochaines échéances électorales soient nettement plus favorables à la gauche, il faudra jouer l’alliance en tenant compte finement des projections et de chaque situation locale, de façon à tirer profit d’une assemblée tripartite dans laquelle aucun des trois pôles ne disposerait d’une majorité absolue. Dans une telle configuration, La France insoumise (LFI) et ses alliés potentiels pourront imposer des mesures politiques et sociales de gauche. Et dans une Assemblée coupée en trois où tout se négocie pour avancer, ils pourront obliger les députés LREM à prendre parti : qui parmi eux acceptera de débloquer la situation politique en votant pour la hausse du SMIC ? Qui préfèrera négocier des lois identitaires avec l’extrême droite ? Voilà de quoi fissurer la pseudo-alliance « en même temps » sur laquelle repose la réussite électorale d’Emmanuel Macron depuis cinq ans.
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Quelques mots sur la méthode
En étudiant les enquêtes sur les déplacements de voix entre la présidentielle 2017 et les législatives 2017, j’ai conçu quatre algorithmes de redressement correspondant aux quatre scénarios présentés dans les résultats, destinés à la projection des premiers tours. Le présupposé des scénarios 1 et 2, inspiré des expériences électorales des dernières décennies, est que les électorats plus jeunes et/ou populaires, en particulier ceux de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, ont non seulement un niveau de participation plus faible que les autres à la présidentielle, mais que cette différence du niveau de participation se renforce encore davantage aux législatives. Les scénarios 3 et 4, a priori moins probables mais de l’ordre du plausible, consistent à imaginer ce qui se passerait si la baisse du niveau de participation de ces catégories entre la présidentielle et les législatives était du même niveau que pour les autres catégories. Cela ne signifie pas que tout le monde participerait autant, mais que les niveaux de participation des différents électorats aux législatives, tout en étant globalement plus bas, conserveraient les mêmes rapports de proportion qu’à la présidentielle.
Sur la base des notices de sondages publiées entre le 28 mars et le 8 avril 2022 et comprenant des informations sur les reports des voix en fonction des différentes hypothèses de second tour de l’élection présidentielle, j’ai conçu un cinquième algorithme, destiné aux seconds tours.
M’appuyant sur les résultats officiels par circonscriptions du premier tour de la présidentielle 2022, j’ai appliqué ces algorithmes à chaque circonscription.
Une marge d’erreur a été appliquée pour tenir compte des spécificités propres à chaque situation, telles que la candidature d’une personnalité locale ou nationale. Le travail ayant été réalisé avant publication officielle des listes de candidats, les projections détaillées par circonscriptions ne tiennent pas compte de ces spécificités.
Vous pouvez consulter les projections nationales, le détail dans votre circonscription et la présentation de la méthode sur :
https://www.mobilisations.org/projection-legislatives