Société

Hartmut Rosa sous la canicule

Philosophe

Les vagues de grande chaleur que nous connaissons nous conduisent à renouveler l’expérience que nous faisons de nos corps, ils transpirent et tournent au ralenti pour enfin habiter l’espace. Ils font ainsi fi de l’injonction moderne à l’accélération généralisée. Après nous avoir emmenés l’an dernier à la neige avec le penseur critique Hartmut Rosa, la philosophe Marie Gausseron nous propose aujourd’hui de suer en sa compagnie.

C’est à cet instant qui n’est pas très précis. Il advient. Une coulée de sueur dans mon dos, tous les pores de ma peau dilatés, la chair enfle sous la peau. Il fait 40° à l’ombre. Sous l’effet de la canicule, le débit sanguin augmente et les vaisseaux se tendent. De l’eau s’immisce dans les tissus. Le corps gonfle et la surface de la peau s’étend. Il déborde et, ce faisant, se rappelle à nous. Il se meut aussi plus lentement, étonné lui-même de la place qu’il prend. La station de tramway qui, hier encore, était à deux pas est reléguée à l’horizon d’un safari. Le proche se fait lointain. Voilà qu’avec la canicule mon corps est lourd et le monde à distance.

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L’ennui prend littéralement corps et j’en fais l’expérience : la promesse de la modernité, laquelle prétend rendre tout lieu, toute chose et moi-même accessibles, disponibles, sous contrôle, perd la partie dans son grand combat en faveur de l’accélération continue. Alors que dans la quête du plus vite je cherche à abolir l’espace, immobilisé sous la canicule, l’expérience s’inverse : le temps se retire et fait droit à l’espace. Je ressens physiquement que je colle au monde. L’ennui, le grand épouvantail contre lequel lutte sans merci le projet culturel de la modernité est cette vie en moins rapide, en moins dense, en moins forte. Il est le a contrario de la productivité : je visais un maximum d’actions pour un minimum de temps, désormais je ne fais rien et je le fais longtemps. Le monde tourne au ralenti et je consens à mon corps rendu immobile, visqueux et suant.

La canicule bouleverse les codes de nos rythmes de vie en nous assignant à résidence.

L’un des grands penseurs européens, le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa, nous livre dans Accélération, une critique sociale du temps au sujet de l’accélération et de l’espace un éclairage passionnant parce que concret et terriblement physique : « La modernité, écrit-il, se caractérise par l’émancipation du temps vis-à-vis de l’espace, qui est à l’


Marie Gausseron

Philosophe, Doctorante en philosophie à l’Université Paris-Sorbonne

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