Quand Coca-Cola s’invite à la COP27, les peuples autochtones trinquent
La COP27 s’est ouverte ce dimanche 6 novembre en Égypte. Elle a pour objectif principal la mise en application des décisions prises l’année dernière à Glasgow lors de la COP26. Le 28 septembre dernier, sur le site internet de la COP27, nous apprenions que Coca-Cola serait un des sponsors officiels de cette COP égyptienne.
Comme le soulignait le journaliste environnemental Mickaël Correia dans un tweet, Coca-Cola est l’un des plus grands producteurs de plastique au monde. Pour son bon fonctionnement, l’entreprise dépend de l’industrie du pétrole qui fournit 99% des matériaux nécessaires à sa création.
Sur son site internet, la COP27 présente cette collaboration comme le moyen pour Coca-Cola de « continuer à explorer les opportunités de construire une résilience climatique entre ses activités commerciales, chaîne logistique et communautés, tout en s’impliquant avec d’autres acteurs du secteur privé, des ONG et des gouvernements afin de soutenir les actions collectives contre le climat ». Ces louables intentions, associées à la promesse de stopper l’émission de gaz à effet de serre d’ici 2040 s’apparentent surtout à du blanchiment écologique.
Le blanchiment écologique, plus connu sous son appellation anglaise « greenwashing » est un procédé de marketing ou relations publiques utilisé par une organisation pour se donner une image fausse de responsabilité écologique. Il me semble pertinent de revenir sur les points problématiques que recouvre ce partenariat entre la multinationale du soda et la COP27 : celle du rapport de Coca-Cola à l’eau et le traitement des délégués autochtones par les différentes COP. Deux thèmes à priori éloignés, pourtant très liés.
Quelles sont les intentions de l’Égypte et du gouvernement du général Al-Sissi alors que vient de sortir un rapport de Human Rights Watch, à ce sujet ? De sévères restrictions sont imposées aux journalistes, activistes et défenseurs des droits humains, alors que le pays souffre d’une des pires répressions politiques de ces dernières décennies. Des manifestations pourront-elles même avoir lieu ? Pour rappel, le président Emmanuel Macron a remis en catimini la légion d’honneur à Al-Sissi le 14 décembre 2020.
Revenons à Coca-Cola. Forte de plus de 500 marques, la compagnie est selon l’ONG Plastic Soup, le plus gros pollueur mondial, vendant plus de 100 milliards de bouteilles de plastique chaque année. L’équivalent de 200 000 bouteilles par minute. Les promesses écologiques de Coca-Cola sont purement volontaires et sans aucune sanction, selon l’ONG Conservation Law Foundation. La compagnie a pour tradition de briser ses promesses en mettant en cause des facteurs externes à sa propre volonté. En 2007, par exemple, l’entreprise a annoncé qu’elle recyclerait ou réutiliserait 100% de ses bouteilles de plastique PET aux États-Unis. Cette promesse s’est faite en parallèle d’une proposition de loi appelée Bottle Bill, une consigne de l’ordre de 1 à 3 cents). Cette loi vise à rendre les producteurs et consommateurs responsables des déchets d’emballage. En 2014, après avoir refusé d’accepter des bouteilles venant d’États ayant mis en place des Bottle Bills, Coca-Cola ferma simplement son usine de recyclage.
Limiter sa pollution à son bilan carbone efface les effets délétères de ses besoins en eau. Bien trop souvent oubliés des agendas politiques, le chaos climatique ne se limite pas aux conséquences de la pollution due aux énergies fossiles mais englobe également l’effondrement de la biodiversité et les graves problèmes d’accès à l’eau potable. De nombreux territoires subissent cet extractivisme de leurs ressources. J’entends par extractivisme l’exploitation industrielle de la nature tel que défini par Anna Bednik dans son livre du même nom paru en 2016.
Le Mexique est un triste exemple de cette impunité des multinationales en territoires autochtones. C’est également le premier consommateur de Coca au monde avec une moyenne de 225 litres par an et par habitant. La bouteille de Coca est moins chère et plus facile à trouver que de l’eau. On en trouve là où il n’y a pas d’eau ou plutôt pas d’eau propre à la consommation. Le Mexique représente 11% des ventes mondiales de la compagnie, un chiffre gigantesque. Dans les États mexicains les plus pauvres, comme au Chiapas, ces chiffres augmentent encore. Ainsi à San Cristobal de las Casas, si proche des caracoles (zones) zapatistes, vivent 186 000 habitant.es, en majorité amérindienne. Quatorze pueblos indigenas vivent dans cette région du sud-est du Mexique, proche du Guatemala : des Tzeltales, Tsotsiles, ou Tojobales pour n’en citer que quelques-uns. Les causes de la pollution de l’eau sont multiples : une mauvaise gestion des déchets, l’absence d’usine de traitement des eaux et des résidus solides issus de l’érosion des sols du fait de mines de graviers. À cela s’ajoute la destruction des zones humides (humedales) au profit de l’accroissement de San Cristobal, provoquant un effondrement de l’écosystème local.
La consommation y atteint les deux litres par jour et par habitant soit 800 litres par an. Cela représente cinq fois la moyenne nationale d’après le journal SBS News. Au Mexique, Coca-Cola délègue à cinq embouteilleurs locaux : FEMSA, ARCA, CIMSA, BEPENSA et TIJUANA dont les négoces vont jusqu’en Argentine.
D’après une protectrice environnementale française vivant à San Cristobal depuis dix ans et interviewée pour cet article, l’eau courante y est impropre à la consommation, y compris pour se laver les dents et même sous la douche il est conseillé de garder la bouche fermée. Les poubelles sont au bord du fleuve qui traverse la ville. Ici, Coca-Cola puise directement dans les eaux de la montagne Huitepec. Pour les fermiers dont les puits dépendent des eaux du Huitepec, les pénuries ont lieu plus tôt chaque année. Sur les routes de campagne, de grandes affiches de Coca aux couleurs locales : des photos de femmes amérindiennes accompagnées de leurs enfants, tous buvant du Coca. Celles et ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter de l’eau en bouteille font face au risque d’être contaminés par la bactérie E. Coli.
Cela a des effets sur la santé et le développement des enfants, des femmes enceintes et des adultes. Il est devenu banal d’avoir la salmonellose ou la fièvre typhoïde. Les plus jeunes souffrent de malnutrition chronique et de diabète précoce. Le diabète de type 2 est la seconde cause de mortalité chez les adultes, après les accidents cardio-vasculaires. L’eau est bien un enjeu de santé publique et sa marchandisation a des effets ravageurs qu’on peut observer immédiatement sur les humains.
Ainsi, quand les nappes phréatiques sont mises au service des intérêts d’une compagnie privée, ce sont les plus pauvres qui payent l’addition. Dans le cas du Chiapas, ce sont les populations autochtones. C’est un problème de classe sociale et de racisme environnemental.
La justice climatique autochtone prend ici ses racines, au sein des territoires affectés. C’est pour se faire entendre sur la scène internationale et visibiliser ces agressions répétées que les délégués des Peuples autochtones se rendent aux COP. C’est au sein de ces mécanismes que se livre le cœur de la bataille climatique.
Des différences de perception du territoire s’observent entre protecteurs environnementaux autochtones et instances internationales.
Pour Janene Yazzie, directrice de la région du Sud-Ouest des États-Unis de l’ONG NDN Collective, « plutôt que d’essayer de négocier avec nos ennemis sur le terrain, nous allons vers un organe supérieur qui peut être utilisé pour établir des normes des droits humain. Il y a plusieurs logiques qui guident notre participation dans ces espaces… une grande partie de notre participation consiste simplement à protéger nos droits et à faire tout ce que nous pouvons pour nous assurer qu’ils ne soient pas davantage édulcorés. Nous avons évidemment eu des victoires historiques : l’élaboration de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (en 2007) en fait partie. L’organisation internationale du travail, la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail aussi. Ces cadres ont permis de créer des bases plus solides pour la défense des droits sur le terrain des peuples autochtones.
Il y a des avantages lorsque nous sommes en mesure de nous engager de manière à conforter nos propres positions et à avoir notre mot à dire sur la manière dont ces négociations se déroulent dans ces domaines ». Ces avancées significatives pour les peuples autochtones se sont réalisés grâce au travail acharné des délégations telle que International Indian Treaty Council (IITC), présente depuis la première COP à Berlin en 1995.
Les COP, acronyme pour Conferences of Parties, sont nées des discussions débutées au Sommet de la Terre en 1992 à Rio de Janeiro. L’idée était simple : chaque année se ferait une conférence dans une ville différente issue d’un des pays signataire de la Convention sur le Climat du Sommet de Rio. C’est en toute logique que les peuples autochtones se sont unis à ces COP, là où les gouvernements du monde, les multinationales et les grands organismes intergouvernementaux internationaux se réunissent. Les décisions qui s’y prennent ont des implications et des conséquences : ce sont les lieux où sont débattus les stratégies et les nouveaux cadres. Les accords transnationaux qui y sont négociés créent des précédents dans la façon dont les ressources sont utilisées, et les manières dont les politiques nationales sont développées.
Lorsque j’ai rencontré Janene Yazzie en 2017, elle travaillait auprès de sa communauté au sein de la Nation Navajo. Elle formait celle-ci à tester la qualité de l’eau de la rivière San Juan, rivière polluée par les fuites des mines d’uranium (les relevés sont faits par la communauté et envoyés en laboratoire pour leurs analyses). Il existe plus de cinq cent mines abandonnées dans cette nation amérindienne du sud-ouest des États-Unis. Selon l’EPA, l’agence fédérale en charge de la protection environnementale, ce sont plus de trente millions de tonnes de minerai d’uranium qui ont été extraits entre 1944 et 1986.
L’uranium Navajo a servi notamment à l’armement nucléaire des États-Unis. C’est sur ce même territoire s’est produit le pire déversement de matières radioactives de l’histoire des États-Unis. Le 16 juillet 1979 à Church Rock le barrage du bassin d’élimination des résidus de la United Nuclear Corporation rompit, déversant 1000 tonnes de déchets radioactifs et 360 000 m3 de solutions acides radioactives, polluant par la même la rivière Puerco. Plus récemment, le 5 aout 2015, une ancienne mine d’uranium mal nettoyée de la Gold King Mine céda, polluant cette fois la rivière San Juan. Deux ans après les faits, Janene mettait toujours en garde sa communauté sur la consommation d’eau. Devant le manque de réaction des autorités tribales et fédérales, les collectifs se sont mobilisées.
À San Cristobal de las Casas comme dans la Nation Navajo, ce sont l’eau et les territoires, les populations, la faune et la flore qui sont en danger. Ces deux exemples permettent d’avoir en tête tous les acteurs participants aux COP : les autorités gouvernementales, les multinationales, les ONG, et les populations affectées. Il est important de souligner que le changement climatique qui est l’objet des débats des COP est déjà présent sur ces territoires. À défaut de trouver une justice climatique au niveau national, les COP permettent de visibiliser le concept de « violence lente » dont parle l’universitaire Rob Nixon. Cette violence qui s’étale dans le temps et l’espace : au Chiapas comme en Arizona, cet « environnementalisme des pauvres » frappe en silence.
Quand Coca-Cola devient l’un des sponsors d’une COP plusieurs choix s’offrent aux délégations autochtones : boycotter la COP au risque de ne pas participer aux débats en son sein et d’être exclus des décisions, organiser des manifestations sans réelle efficacité ou participer bon gré mal gré. Il est difficile de trouver un équilibre dans les mécanismes internationaux entre activisme et participation politique. Pour Janene Yazzie, « En fin de compte, si nous consacrons toutes nos ressources et notre temps là-bas à protester contre Coca-Cola, un organisme qui n’a aucune autorité, ne réglemente rien et officiellement non responsable de quoi que ce soit dans la façon dont ces mécanismes sont structurés, alors nous jouons en quelque sorte leur jeu. Nous n’abordons pas réellement les domaines où nous avons un impact. Et ceux-ci sont en discussion pendant le financement climatique ».
Si la présence assidue des délégués autochtones ont certes permis des avancées majeures, il reste extrêmement difficile de les faire appliquer par les États-Nations. Quand bien même ceux-ci ont ratifié toutes les Conventions et Déclarations. Le Mexique a ratifié la Déclaration sur les droits des Peuples Autochtones (contrairement aux États-Unis ou à la France), ainsi que la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) relative aux peuples indigènes et tribaux. Dans les faits, cela n’engendre aucun changement. Vicente Fox, président du Mexique de 2000 à 2006, libéral et ami de Georges W. Bush fut directeur de Coca-Cola Mexique a la fin des années 70.
Sous sa présidence, comme sous celle du président en cours Andres Manuel Lopez Obrador, l’État dessert les communautés autochtones : par des privatisations massives de nappes phréatiques, la destruction d’écosystème au profit du tourisme (le fameux Tren Maya) et bien d’autres projets. Dès lors, les interstices qui restent aux militants autochtones pour être à la table des décideurs et protéger leurs ressources, populations et territoires sont très minces. Naviguer les espaces de cette bureaucratie globalisée que sont les mécanismes de l’ONU demande une ténacité sans faille pour ne pas perdre son humanité. On en oublierait presque que l’effondrement du vivant est en cours, et que ce sont précisément ces observations de première main, sur leurs territoires, qui poussent les peuples autochtones à tirer la sonnette d’alarme.
Des différences de perception du territoire s’observent entre protecteurs environnementaux autochtones et instances internationales. Pour les protecteurs environnementaux Navajo avec lesquels je travaille dans le cadre de ma thèse, l’eau, les animaux et les montagnes sont les fondateurs des clans auxquels les humains appartiennent. Cela implique une responsabilité et des devoirs vis-à-vis de ceux-ci. Plus encore, quand un enfant nait, son cordon ombilical est enterré sur ces mêmes terres afin qu’il soit à jamais ancré à cette partie du monde. En ce sens, l’eau est un parent qu’il faut choyer. « Water is life », « l’eau est la vie » revient dans les discussions.
Dans ce cadre de pensée, la privatisation de l’eau est une aberration, une folie. La justice climatique autochtone s’invite à la table des négociations pour rappeler ces faits. Si les savoirs écologiques traditionnels (connus en anglais sous le nom de traditional ecological knowledge) étaient dédaignés jusqu’à peu, force est de constater face aux terribles sècheresses en cours, que cette conception de l’eau et du vivant est un savoir scientifique millénaire. Un savoir dont nous, humanité, avons besoin. Il ne s’agirait pas dans la recherche de solutions d’oublier que les peuples autochtones sont les producteurs de ces savoirs.
Pourquoi, au vu de ces constats, les décisions ne suivent pas ? Pourquoi les instances internationales ne facilitent-elles pas un accès plus aisé aux protecteurs environnementaux ? Les peuples autochtones sont plus que des victimes et demandent une place à la table des négociations en qualité de sachant, à même d’apporter des solutions dont nous, en tant qu’humanité, avons collectivement besoin pour survivre à ce chaos climatique provoqué par l’économie néolibérale. Cette bureaucratie globalisée demande une fine connaissance de ses rouages.
C’est en interviewant Janene Yazzie que j’ai pris connaissance du SBSTA se réunissant en amont des COP pour en définir les objectifs. Le SBSTA, acronyme pour Subsidiary Body for Scientific and Technological Advice est l’organe subsidiaire de conseil scientifique et technologiques, c’est l’un des deux organes permanents de la convention créés par la COP. Le SBSTA fait le lien entre les informations scientifiques fournies par le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) et les besoins de la COP en matière politique. C’est là que sont prises les mesures pour faire face au changement climatique. Cette année elle s’est réunie en juin 2022 à Bonn et se retrouvera à la COP de Sharm el-Sheikh ce mois de novembre. Les protecteurs environnementaux autochtones ont bien du mal à avoir des accréditations pour ces conférences.
Lors de notre entretien le 8 octobre 2022, Janene Yazzie me confiait que son ONG s’était vue par deux fois refuser un visa pour la COP27. En novembre 2021 lors de la COP26 à Glasgow, des représentants autochtones dressaient le même constat au Guardian : les COP restent des extensions du colonialisme. Pourtant les derniers rapports du GIEC, parus en août 2021 et février 2022 indiquent que, sans l’ombre d’un doute, le réchauffement climatique en cours découle de 150 années d’industrialisation à marche forcée. Pour reprendre les mots du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, ceci est « un code rouge pour l’humanité. Les sonnettes d’alarme sont assourdissantes et les preuves sont irréfutables ». La participation de Coca-Cola à la COP27 s’apparente à celle d’alcooliques anonymes se réunissant dans un bar subventionné par Johnny Walker. Mais c’est de l’habitabilité de notre planète dont il est ici question.