Hommage

Travailler au quotidien avec Bruno Latour (1/2)

Sociologue

A compter de leur rencontre à la toute fin des années 70, Bruno Latour et Michel Callon n’ont cessé la décennie suivante d’interagir au quotidien. Et si cette intense collaboration a produit des textes classiques, elle a aussi profondément transformé l’étude des sciences et des techniques – et, au-delà, les sciences sociales et la philosophie. Premier volet d’un hommage aussi puissant qu’émouvant.

« This is why it is so important to rethink the Enlightenment altogether, not by switching off the lights – or simply replacing our light bulbs! – but by recognizing that the power of the sciences does not reside in putting a final end to discussions, but in opening them further. »
Bruno Latour Holberg Prize reception speech.

Tout aurait pu, tout aurait dû nous séparer[1]. Il était issu de la grande bourgeoisie de province ; j’avais grandi dans une famille dont la priorité était d’assurer une vie décente à tous ses membres. Il n’était que modérément intéressé par la politique ; celle-ci était une de mes principales préoccupations. Il avait été biberonné à la philosophie et à la théologie; moi à la physique et à l’économie.

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Il avait traversé la fin des années 1960 et le début des années 1970 sans être touché par les mouvements sociaux de l’époque ; j’avais plongé avec ardeur dans le chaudron du quartier latin, les manifestations contre l’impérialisme américain et les programmes électronucléaires, allant distribuer des tracts au petit matin aux mineurs de Fouquières-lès-Lens pour qu’ils renouent avec l’espérance révolutionnaire. Marx avait été mon premier mentor ; j’ai toujours eu la conviction qu’il s’était contenté d’une lecture cursive du Capital.

Premiers contacts

Nous nous sommes rencontrés lors de son retour en France. Il avait derrière lui un long séjour en Afrique, comme coopérant, et un autre à San Diego comme anthropologue dans un prestigieux laboratoire de biologie. Alors que j’avais mon billet d’avion pour Tananarive, prêt à effectuer mon service militaire comme ingénieur dans un centre de recherche en travaux publics, Michel Debré alors ministre de la défense en avait décidé autrement en m’envoyant dans un régiment d’infanterie semi-disciplinaire sous le prétexte que j’avais refusé de suivre l’instruction militaire obligatoire. J’avais profité de ces vacances forcées et des longues soirées d’hiver (qu’elles ménageaient) pour suivre des cours de sociologie par télé-enseignement et à la sortie de la caserne (une fois libéré !) j’avais rejoint le CSI qui venait d’être créé par Lucien Karpik à l’École des mines de Paris. À peu près au même moment, Bruno s’était formé à l’anthropologie de terrain puis, une fois installé aux US, à la sémiotique façon Greimas (ce qui était un comble pour quelqu’un installé dans le pays de Charles Peirce !)

La première fois que je l’ai vu, c’était me semble-t-il en 1978. Il avait été recruté sur un poste de maître assistant par Jean-Jacques Salomon, professeur au CNAM. Il m’avait téléphoné après avoir lu une présentation de la recherche que j’effectuais alors et qui était consacrée à l’analyse des impacts d’un programme de recherche financé par les pouvoirs publics sur la discipline scientifique concernée, la chimie macromoléculaire, et sur les innovations industrielles du secteur. Il devait s’agir dans son esprit comme dans le mien d’une simple prise de contact. Nous avons passé l’après-midi à ne parler que d’une seule chose : comment étudier les sciences.

Au bout de quelques minutes nous étions tombés d’accord sur le programme à mettre en place : entrer dans la boîte noire des pratiques scientifiques et s’intéresser à la seule chose qui vaille, leur contenu. Nous partagions en outre un second constat : les recherches consacrées aux sciences avaient échoué dans cette entreprise ; elles étaient en état de mort cérébrale ; il fallait tenter un reset.

L’essor des Science Studies

Nous n’étions pas les seuls à nous engager dans cette voie. Lors de son séjour aux US Bruno avait participé avec des collègues, notamment Karin Knorr et Michael Lynch qui s’étaient également lancés dans les études de laboratoire, à la création de la 4S.

En 1970, David Edge et MacLeod, avait créé une nouvelle revue intitulée Science Studies ouvertement pluridisciplinaire qui allait permettre à une nouvelle génération de chercheurs de présenter leurs travaux. C’est dans cette revue que sont apparus les noms de Barry Barnes, de Harry Collins, de Karin Knorr, de John Law, de Michael Lynch, de Donald MacKenzie, d’Andrew Pickering, de Trevor Pinch, de Henry Small et de Bryan Wynne. Tous ces auteurs s’efforçaient d’aller au plus près des pratiques scientifiques tout en s’efforçant de tenir compte de ce qu’on appelait alors leurs « dimensions sociales ».

Des objets habituellement réservés à la philosophie ou à certains courants de l’histoire des sciences se sont progressivement imposés comme l’étude des controverses, de la réplication des expériences, ou encore celle des liens établis par les scientifiques eux-mêmes entre le contenu de leurs recherches et les intérêts ou attentes supposés de certains groupes sociaux. Des cadres théoriques jusque-là absents des travaux consacrés à la science, comme l’ethnométhodologie ou l’interactionnisme symbolique commençaient à être mobilisés avec un grand bonheur.

La France n’était pas restée totalement à l’écart de cette effervescence. Un séminaire financé par le Cordes[2], sous la houlette de Philippe Roqueplo et de Claude Gruson, avait réuni au début des années 1970 une vingtaine de personnes qui s’étaient montrées intéressées par le thème de l’inscription sociale des sciences et des techniques. Le groupe était on ne peut plus hétérogène. On débattait d’histoire des sciences, de la définition et du calcul de l’indice des prix, des classifications de l’INSEE, d’économie du changement technique, des controverses en histoire des sciences, de politique scientifique ou encore des limites de Kuhn et de Lakatos. Pour moi ce séminaire a constitué un formidable outil de formation. C’est là notamment que j’ai rencontré pour la première fois Alain Desrosières.

En France, le poids des conservatismes

Le contraste avec l’état des réflexions et des travaux dans l’université française, au CNRS et à l’EHESS, était frappant. L’histoire des sciences y était dans sa majorité imprégnée de considérations épistémologiques et d’attention presqu’exclusive portée aux concepts, à la variabilité de leurs significations, ainsi qu’aux ruptures des structures intellectuelles qui les fondaient. Ces travaux parfois passionnants, je pense notamment à ceux de Koyré, était de peu d’utilité pour qui s’intéressait à la science et aux techniques en train de se faire. Ce qui dominait c’était l’hypothèse (souvent implicite) d’une coupure radicale entre le sujet connaissant et l’objet de la connaissance.

Bachelard illustrait avec panache ce parti pris, Bachelard dont Bruno disait à juste titre qu’il avait consacré la moitié de son œuvre à l’imaginaire du sujet (La flamme d’une chandelle) et l’autre aux obstacles à la rationalité (Le nouvel esprit scientifique) sans pouvoir rabouter les deux. Louis Althusser quant à lui jouait les justiciers. Dans un article consacré à Jacques Monod, il soutenait qu’il fallait séparer le contenu scientifique (l’objet) et la philosophie spontanée du savant (le sujet). Au philosophe de jouer le rôle du grand équarisseur, de celui à qui est dévolue la tâche de séparer le bon grain de l’ivraie, de purger la science de toutes les impuretés qui pourraient la gâter.

Du côté de la sociologie française, il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent. L’article que Bourdieu avait publié en 1975 se gardait bien d’entrer dans la fabrique des sciences et prolongeait, en important les concepts de l’économie industrielle, les métaphores économiques dont la sociologie des sciences était alors friande.[3] Quant aux sociologues qui, comme Gérard Lemaine, conduisaient des études de laboratoire, ils s’étaient donnés comme objectif principal d’étendre la sociologie des organisations et du travail à de nouveaux terrains. Si on ajoute à cela que, confrontés à l’inexistence de méthodes quantitatives correspondant à nos besoins, nous avions dû développer nos propres outils, on comprendra mon sentiment de solitude.

La visite de Latour était inespérée. Dans le paysage français il apportait avec lui l’air du large, celui qui soufflait dans le monde anglo-saxon. Au-delà de nos différences d’éducation nous étions d’accord sur l’essentiel. Il aimait les sciences et les techniques ; moi aussi. Il pensait que pour les étudier il fallait abandonner les divisions disciplinaires paralysantes, moi aussi. Et la bonne nouvelle, c’est qu’il arrivait avec des troupes fraîches.

Dans l’immédiat, la priorité était de constituer une boîte à outils et d’abord recenser ceux qui étaient disponibles. Ce travail était d’autant plus nécessaire qu’il était loin d’être évident que les mêmes outils soient utilisables pour les différents domaines scientifiques. Parler de science au singulier constitue un raccourci dangereux. Était-il raisonnable de mettre dans le même sac, physique, biologie, chimie, géologie ? Kuhn avait proposé la distinction entre sciences baconniennes et sciences newtonniennes. Koyré lui-même avait réservé un sort différent à l’étude de la physique et à celle de la chimie. Le coup d’éclat que Latour préparait, et qu’il introduisit plus tard dans le champ des science studies, était de se libérer de ces interrogations en concevant la triade: mobiles immuables, circulation des références et centre de calcul. Les mathématiques semblaient poser un problème particulier : ce serait pour plus tard.

Symétrie et controverses

Emprunté à David Bloor, le concept de symétrie, profondément remanié par nos soins, s’est imposé comme un principe incontournable. Bloor avait exhumé la description proposée par Edward Evans-Pritchard pour montrer que les pratiques de sorcellerie chez les Zandé n’étaient pas moins logiques que les pratiques scientifiques.[4] En affirmant qu’il était donc absurde d’expliquer les premières en invoquant un esprit primitif ou des croyances irrationnelles, il prolongeait l’effort des anthropologues pour abolir les grands partages. Le principe tel qu’énoncé par Bloor a provoqué un tsunami de critiques violentes qui n’étaient pas dénuées de fondements. Il a fallu presque quatre ans pour sortir du piège que, en faisant la publicité de Bloor, nous nous étions tendus à nous-mêmes.

Son raisonnement était en effet aux antipodes de ce que nous cherchions à dire. Pour Bloor rationalité et logique variaient d’une société à une autre et étaient modelées par les institutions. Il étendait ainsi aux sciences la thèse alors classique du relativisme social alors que pour nous le principe de symétrie signifiait que l’on traitât sans discrimination préalable ce que l’on nommait société et nature. Nous avons payé au prix fort cette erreur de lecture. Nous étions catalogués désormais comme des relativistes forcenés dépourvus de sens moral.

Bruno s’en est sorti élégamment en recourant à une seule catégorie celle d’actant qui avait l’avantage de tolérer toutes les qualifications possibles. De mon côté, ayant du mal à passer de la sémiotique des textes à celle des êtres que je côtoyais au quotidien, j’ai appelé principe de symétrie généralisée le choix méthodologique de recourir aux mêmes catégories pour traiter simultanément de la société et de la nature, sans avoir à me prononcer sur le statut ontologique des êtres sous examen.[5]

En nous libérant du grand partage entre une société active et une nature passive nous avons éprouvé un profond sentiment de liberté intellectuelle retrouvée. Les fondateurs de l’anthropologie, je pense en particulier à ceux qui ont construit leur œuvre au tournant du XIXe siècle et du XXe siècle, les Franz Boas, Evans Pritchard, Bronislaw Malinowski et autre Margaret Mead, étaient mus par la volonté de montrer que, au-delà de la diversité des cultures et des organisations sociales, l’humanité était une et indivisible. Nous nous sentions, toutes proportions gardées, dans une situation comparable. Nous travaillions en toute lucidité à démanteler des murailles conceptuelles qui de notre point de vue condamnaient les sciences dites sociales à tourner en rond, comme Le Hollandais volant, bis dem jüngsten Tag. Nous savions que l’entreprise serait difficile et qu’elle prendrait du temps mais elle était tellement excitante que les nombreux quolibets qu’elle nous valut paraissaient dérisoires.

Il me semble, rétrospectivement, que l’introduction de la notion commune de porte-parole nous a permis de manière provisoire mais décisive, de faire progresser notre programme. Il est toujours délicat de revenir sur des événements anciens que les faiblesses de la mémoire et la partialité des points de vue entourent d’une enveloppe nébuleuse. Ce dont je suis (à peu près) certain, c’est que le déclic s’est opéré autour des années 1981, 1982.

J’avais été nommé Rapporteur général adjoint du Colloque national sur la recherche et la technologie organisé par Jean-Pierre Chevènement. Cette fonction m’avait donné l’occasion de faire une tournée de la France des laboratoires. C’est ainsi que j’avais atterri à l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes (ISTPM). Par chance, le jour de ma visite, avait lieu une conférence internationale au cours de laquelle étaient négociés les quotas de pêche au thon dans l’Atlantique nord.

La détermination des quotas et leur attribution s’appuyaient sur des modèles mathématiques de dynamique des populations nourris par des données empiriques issues des campagnes de pêche. Chaque délégation était arrivée avec ses propres modèles et ses propres chiffres et se battait pied à pied pour imposer ses préférences. Dans le cadre solennel d’une immense salle de conférence dont les baies vitrées ouvrant sur la rade de Brest imposaient la présence de l’océan, j’ai été frappé par l’étrangeté des controverses qui se développaient autour de la table. J’assistais certes à la confrontation entre des intérêts nationaux endossés par des experts. Mais les thons étaient les vrais protagonistes de la négociation. L’ensemble des experts parlait au nom des poissons traduisant et faisant valoir ce qu’ils estimaient être leurs intérêts.

Il n’y avait évidemment pas trace d’animisme ou d’anthropomorphisme dans les discours des chercheurs. Ce qui était en cause c’était la survie des thons (pour le plus grand bénéfice des humains) et donc la préservation de leur droit à se reproduire et à s’engendrer. Il se trouve qu’au même moment je participais à des réunions, organisées par Chevènement dans le cadre du Colloque, pour débattre du statut des chercheurs et des organismes de recherche. Autour de la table se trouvait une vingtaine de personnes, conseillers d’état, directeurs d’administration centrale, représentants syndicaux, célébrités scientifiques, essayistes en quête d’un public, etc.

Dans la grande salle du Ministère de la recherche, les conditions de survie et de prospérité des chercheurs constituaient le principal enjeu. Très rapidement thons et chercheurs devinrent interchangeables dans mon esprit. Dans un cas en offrant le statut de fonctionnaire aux chercheurs du secteur public, on les sauvait des griffes du privé, dans l’autre cas en imposant des quotas on sauvait les thons des filets des pêcheurs. Et dans les deux cas, les intéressés étaient absents de la salle de négociation. On parlait en leur nom en s’assurant de leur silence.

C’est à peu près au même moment que Bruno était confronté à des problèmes auxquels la notion de porte-parole allait apporter une solution au moins provisoire. Il travaillait sur Pasteur, dans le cadre d’un projet dirigé par Claire Salomon-Bayet, et s’était attelé à l’étude des articles publiés dans trois grandes revues scientifiques de l’époque. Très rapidement, analyse sémiotique oblige, il avait placé les microbes au centre de ses réflexions. Mais il manquait d’outils pour sortir d’une manière ou d’une autre du seul univers des textes. Lui était tourmenté par ses microbes et moi par mes thons ; nous sommes arrivés à cette idée simple qui allait nous être utile notamment pour penser les rapports entre science et politique : quand A traduit B, A s’établit de facto en porte-parole de B.

L’étude des controverses a toujours été un puissant outil d’analyse pour les philosophes des sciences et les historiens, notamment pour ceux qui sont attachés à la genèse des théories et à l’explication de leur succès ou de leur échec. Entre les mains de nos collègues anglo-saxons le suivi des controverses s’est révélé être un moyen privilégié pour accéder aux pratiques scientifiques elles-mêmes, ainsi qu’au bricolage et au montage des dispositifs expérimentaux, aux techniques de visualisation et aux conflits d’interprétation. La controverse rendait également observable, dans le même temps, les liens tissés entre ce qu’on appelait traditionnellement le contenu et le contexte de la recherche, permettant du même coup de voyager des deux côtés de la frontière sans avoir à changer d’équipements. Elle rendait également observables l’évolution des rapports de force qui se nouaient entre les différentes parties prenantes (H et NH) et traçable la genèse des asymétries qui en résultaient.

Notre version du principe de symétrie et des alliances en tous genres qu’elle donnait à voir débouchait sur une compréhension plus réaliste de ce qui se jouait dans ces conflits. Comment expliquer sérieusement qu’une théorie ou un modèle s’imposent ou au contraire s’enlisent sans prendre en compte les épreuves qu’ils font subir aux coquilles Saint-Jacques, aux microbes ou aux thons ?

Scientométrie

La revue Science Studies avait publié dès ses premiers numéros des articles montrant l’utilité des outils bibliométriques pour qui souhaitait retracer la dynamique des sciences, leur structuration aussi bien que les rapports de pouvoir qui les traversaient. Un certain Henri Small, chercheur à l’Institute for Scientific Information (ISI), avait mis au point une méthode ingénieuse, l’analyse des co-citations, qui donnait une représentation précise de l’organisation conceptuelle d’une spécialité et de ses transformations. Bruno, alors qu’il était en Californie et préparait Laboratory Life, avait saisi l’intérêt de ces méthodes et notamment de l’analyse des réseaux de citations. De notre côté, pendant les années 1970, nous avions développé au CSI une méthode nouvelle, connue aujourd’hui sous le nom de co-word analysis. Elle avait comme particularité d’être applicable à n’importe quel texte (brevets, articles scientifiques, programmes de recherche, revues commerciales) et par conséquent d’autoriser la description de réseaux thématiques traversant les institutions et s’étendant jusqu’aux marchés. On résumait notre point de vue sur la portée et la signification des méthodes dites quantitatives en disant qu’elles se devaient d’être la continuation de l’analyse qualitative par d’autres moyens.

Cette hypothèse nous avait amenés à prendre nos distances non seulement avec les méthodes statistiques pour traiter les données (comme l’analyse factorielle) mais également avec celles mises au point pour l’analyse structurale des réseaux. Notre objectif était de saisir la croissance des réseaux à partir des actions locales. Chaque point, en traduisant d’autres points, se transforme et contribue à transformer le réseau, la difficulté technique étant de prendre en compte simultanément l’ensemble des transformations locales. Bruno s’est étonnamment bien adapté à ce style de scientométrie. Il a participé activement à la fin des années 1980 (avec Rigas Arvanitis, Jean-Pierre Courtial et William Turner) à la rédaction d’un projet qui a été généreusement financé par la NSF.

De nouveaux outils d’analyse

Avec le principe de symétrie généralisée, les études de controverses et les outils scientométriques, les sciences studies détenaient des outils redoutables. Mais le CSI, auquel Bruno fut formellement intégré en 1982, disposait notamment grâce à lui d’armes de destruction massive qui allaient rapidement s’avérer décisives sur les différents fronts où nous étions engagés. Il apportait dans ses bagages deux concepts qu’il avait concoctés durant son séjour à San Diego: la notion d’inscription et celle d’actant, sur laquelle je reviendrai plus loin. La première, me confia-t-il, était empruntée à Derrida (dont je ne connaissais alors que le nom) et la seconde à Greimas (dont je ne connaissais même pas le nom). Ces deux notions permettaient de dynamiter l’opposition entre sujet et objet, et de repeupler le monde des pratiques scientifiques, avec des entités agissantes, ré-agissantes, résistantes, objectantes, les actants, et des chaînes de traces, les inscriptions, qui permettaient de suivre ces agissements et leurs effets.

Nous apportions de notre côté une notion, celle d’opération de traduction, qui m’était apparue cruciale pour comprendre la dynamique du processus d’innovation qui dans son extension la plus large lie le laboratoire aux marchés. En philosophie elle était dans l’air du temps. Thomas Kuhn, Willard V.O. Quine et Donald Davidson, entre autres, l’avaient longuement discutée. En économie de l’innovation elle avait été suggérée, en passant, pour rendre compte des différences entre secteurs industriels. Edwin Mansfield notait par exemple que dans le domaine de la chimie les connaissances étaient plus rapidement traduites en nouveaux procédés et produits que dans d’autres domaines. Un étudiant du corps des mines, qui partageait son temps entre la pratique des claquettes et la philosophie, m’avait conseillé d’assister au cours de Michel Serres. Felix fatum ! Son cours parlait de la traduction !

J’avais prélevé par ailleurs chez Karl Popper (un auteur honni par Bloor et la majorité des chercheurs en science studies) le concept de problem situation qu’il avait utilisé pour rendre compte (Bloor aurait dit de manière symétrique) de la théorie (plus tard jugée fautive) avancée par Galilée pour expliquer les marées. La notion de situation problématique (ma traduction de problem situation) avait pour principal avantage de ne pas entériner le partage entre objet et sujet. Elle s’avérait compatible avec le projet de Bruno qui était de substituer à cette coupure, si vive qu’elle ne s’avérait franchissable qu’au prix de contorsions théoriques irréalistes, la foule des médiations à travers lesquelles se fabriquaient les faits scientifiques. Associée au concept de traduction elle offrait en outre la possibilité de retracer la chaîne des opérations successives par lesquelles étaient postulées et éprouvées de possibles connexions et équivalences entre les questions techniques, étudiées par les chercheurs au sein de leurs laboratoires, et des préoccupations exprimées à l’extérieur des laboratoires.

J’ai compris plus tard, en lisant Enquêtes sur les modes d’existence (EME), que la convergence entre les outils que chacun apportait alors avec lui, était plus profonde que je ne l’avais imaginé. Que l’on passe, comme c’était le cas dans nos analyses du début des années 1980, d’une inscription à une autre à l’intérieur d’un même laboratoire ou d’un énoncé problématique à un autre entre le laboratoire et ses partenaires directs ou indirects, dans les deux cas une équivalence était revendiquée. La traduction prend le risque de postuler cette équivalence malgré la discontinuité qu’elle enregistre tout en s’efforçant de la surmonter. Latour n’a jamais oublié la leçon. Il parlera de traduction et de hiatus dans l’EME. Traduttore, traditore!

Une intense collaboration

Les années qui ont suivi notre rencontre ont été des années d’intense collaboration. Pendant presque dix ans nous n’avons cessé d’interagir. Il aimait les discussions informelles et adorait qu’elles se déroulent dans des lieux particuliers qui leur étaient en quelque sorte consacrés. Il avait ainsi réservé une salle à Reid Hall rue de Chevreuse. Au début nous y allions tous les deux de façon régulière pour des conversations à bâtons rompus sur des sujets qui dépendaient des circonstances. Je me rappelle une séance qui m’a marqué. Il avait passé une partie de ses vacances d’été à jouer au scrabble et à confectionner des gâteaux en familles. Mais il avait surtout profité (!) de ce séjour pour mettre la dernière main à un texte, Irréductions, qui était au menu de notre réunion.

Je ne pense pas qu’il attendait quoi que ce soit de ma part (j’étais aussi incapable de discuter un texte philosophique que lui de s’intéresser à un article de mécanique quantique). Mais il ne faisait que suivre une règle à laquelle il n’a je crois jamais dérogé : tout faire pour susciter des commentaires y compris de la part de ceux qui étaient a priori éloignés de son univers culturel et de ses préoccupations théoriques. Il avait besoin de convaincre et pour cette raison il recherchait les critiques, notamment celles souvent dévastatrices que le sens commun peut formuler. La lecture d’Irréductions m’avait scotché. Après l’avoir lu, je ne voyais plus le monde comme avant. Il montrait l’intérêt de la forme réseau au-delà de ses aspects formels. Quelques vingt années plus tard j’ai compris en découvrant son essai sur les modes d’existence qu’Irréductions avait constitué la matrice qui allait lui permettre d’envisager après de nombreuses enquêtes de terrain les mécanismes de différenciation de l’être.

Il manifestait une réelle prédilection pour ces conversations au cours desquelles tout peut se dire et arriver. Plus tard il avait avancé l’idée d’un déjeuner-rencontre périodique dans une brasserie du quartier de l’Odéon, près de l’appartement de ses parents. Nous étions habituellement trois : Bruno, Michel Serres et… moi. Serres, que Bruno avait rencontré en Californie était aussi accessible que lui. Il n’y avait pas d’ordre du jour. Ces rencontres m’ont appris infiniment plus qu’un cours magistral ou que des séances de séminaire. Un jour que nous en étions arrivés à parler du monde du vin, Bruno s’était emparé d’une de ces bouteilles opaques, qui servait de carafe d’eau et qui traînait sur la table d’à côté. Il avait appliqué son œil sur le goulot en disant : « quand on regarde l’intérieur d’une bouteille c’est tout un monde qui se donne à voir ». Serres et lui avaient le génie des images qui en disent plus que de longues dissertations. Plus tard, installé dans le quartier, il continuera ces rencontres au cours desquelles il absorbait de nouvelles idées et discutait les siennes.

Durant ces années d’intense collaboration je n’ai jamais eu le sentiment qu’il cherchait à imposer son point de vue. J’avais l’impression d’une coopération parfaitement équilibrée. Il était attentif ; il écoutait ; il prenait en considération les points de vue éloignés du sien. On avait l’impression qu’il n’avait qu’une hantise, celle de laisser passer une idée sans avoir exploré ses potentialités, toutes ses potentialités, risquant ainsi de se rendre coupable d’une faute professionnelle grave. Nous n’avons cessé durant de longues années d’écrire des textes en commun, chacun continuant de son côté à travailler sur ses propres thèmes de recherche. Nous étions arrivés à travers nos discussions à un total accord sur ce qu’il fallait dire, l’un écrivant et l’autre se contentant d’ajouter son nom. J’ai pu ainsi avoir l’illusion de contribuer ni plus ni moins que lui à la constitution du nouveau domaine de recherche qui était en gestation. Cela ne me procurait aucune fierté particulière. Pour moi il était un chercheur avec lequel j’aimais travailler dans un climat de décontraction, de gaîté et de liberté presque totale. L’École des mines n’imposait pratiquement aucune contrainte et les financements étaient faciles à obtenir. Chaque matin lorsque je m’installais à mon bureau, j’avais le sentiment de poursuivre une aventure excitante et dont je n’imaginais pas qu’elle pût avoir une fin. Peu à peu les principaux concepts se mettaient en place ; la boîte à outils s’enrichissait.

Antoine Hennion qui avait rejoint le centre avait apporté avec lui une nouvelle thématique de recherche. L’étude des sciences en train de se faire l’intéressait moins que celle de la création et des pratiques musicales. La Cour des comptes s’était émue que l’école soutînt des recherches consacrées à Rameau (l’idole d’Antoine à cette époque), mais la direction n’avait pas bronché. Bruno avait rapidement saisi l’intérêt des travaux consacrés à l’art. Il avait d’ailleurs proposé à une de nos optionnaires, Madeleine Akrich, en recherche de terrains sur la restauration des objets d’art, de réaliser un mémoire sur le célèbre polyptyque des Hospices de Beaune peint par Rogier van der Weyden. Le mémoire était excellent et a fait l’objet d’une publication dans L’Année Sociologique. Antoine Hennion a très rapidement développé son propre cadre théorique au cœur duquel trouvait la notion de médiation puis celle d’attachement. Ainsi outillés nous étions collectivement armés pour voler de nos propres ailes : adieu la sociologie, adieu l’économie !

Un chercheur hors-pair qui invente une nouvelle façon de pratiquer la philosophie

Ce travail collectif auquel Bruno était tellement attaché aurait pu se transformer en désastre s’il n’avait pas été là. Je n’en ai pris conscience qu’assez tardivement. Le déclic s’est produit au moment de la publication de Science in action. La dédicace m’avait touché. (Pasteur). “To Michel Callon the outcome of a seven-year collaboration.” D’autant plus qu’il avait redoublé cette dédicace imprimée et en anglais d’une longue et touchante dédicace à la main et en français. Cette attention m’avait surpris et interrogé. Je savais bien qu’avec ce livre il avait réussi un tour de force dont nul autre que lui était capable.

En dehors des nombreuses discussions auxquelles la rédaction de chaque chapitre avait donné lieu, le seul impact sur l’architecture que j’ai eu a été de le convaincre de supprimer le chapitre purement Mertonien qu’il avait écrit sur l’institution scientifique et ses normes. Steve Woolgar lui avait donné le même conseil.

Quelques jours plus tard, il était revenu avec un nouveau chapitre qui ne parlait plus de normes mais d’accumulation et de concentration des investissements mondiaux en recherche et développement (R&D), parfaitement aligné avec l’argument du livre, renforçant encore plus son impressionnante cohérence. Il avait conçu cette architecture d’ensemble et l’argumentation qui la sous-tendait, je peux en témoigner, lors d’un des premiers colloques de la 4S (Society for Social Studies of Science) en 1982 à Philadelphie. Quatre pages par jour – sa vitesse de croisière. Deux ans plus tard le livre était dans les bonnes librairies de Californie et ses collègues lui avaient annoncé que c’était un succès: “The stacks of books had been wiped out in a few days.” Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai réalisé tout ce que je lui devais. Il mettait en relation des interrogations générales – d’où vient la force de la science, qu’est-ce que la vérité scientifique – avec des observations ethnographiques attentives aux pratiques de recherche telles qu’elles se donnent à voir dans un laboratoire.

Pas un seul des auteurs des livres de philosophie des sciences qui remplissaient les bibliothèques n’avait imaginé réaliser un tel programme. Cela ne voulait pas dire qu’ils étaient inutilisables. Bien au contraire. Et ne pas les lire aurait constitué à mes yeux un manque de professionnalisme. Je les considérais comme des sources potentielles de questions ou de notions susceptibles de s’avérer utiles pour nos travaux. Je n’ai d’ailleurs jamais pensé que la philosophie disposait d’un privilège quelconque. Chacun son boulot ! S’agissant de la science et des pratiques de recherche, les philosophes n’avaient rien à dire de satisfaisant ni de vraiment original, mais cela ne me dérangeait nullement.

En réalité le constat était même plutôt encourageant. Tout ou presque tout restait à faire ! Et on pouvait constater qu’il était préférable de projeter à nos étudiants le film de la BBC sur la découverte de la structure de l’ADN, plutôt que de les ennuyer avec Canguilhem, Popper, ou Lakatos. Bruno n’était pas prêt à admettre cette défaite de la philosophie. Il ne se contentait pas d’opérations spéciales, comme dirait Poutine. Il avait chevillée au corps l’ambition d’inventer une philosophie qui puisse dire quelque chose d’articulé sur la science en train de se faire, sur ses pratiques et sur ce qu’on appelle la vérité scientifique.

Ce projet est apparu de manière manifeste quelque temps avant la publication de Science in Action. C’était je pense en 1985. Il venait de passer les mois d’été en Australie. Ce séjour lui avait fourni l’occasion de rédiger un texte consacré à la présentation de la notion de régime d’énonciation qui lui permettait notamment de contraster science et technique, en distinguant circulation de la référence et délégation. J’ai mieux compris alors qu’il était à la recherche de critères de différenciation. Plus tard il l’exprimera de manière imagée au cours d’un séminaire doctoral : « Jusqu’ici nous avons fait de la télévision en noir et blanc, maintenant il faut passer à la télévision en couleur. »

Un événement démontre à quel point il suivait son propre programme. Il avait organisé un séminaire pour discuter de son texte sur les régimes d’énonciation. Au même moment, Science in Action qui n’avait pas été encore publié, circulait sous la forme d’un gros polycopié. Luc Boltanski qui participait à cette séance – Luc et Bruno étaient alors très proches l’un de l’autre – avait pensé qu’il s’agissait de discuter le livre. Il n’avait pas lu le texte qui était à l’ordre du jour de la séance ! Il ne pouvait sans doute imaginer qu’un auteur ayant écrit un livre à l’évidence important ne consacre pas un peu de son temps à en parler. Nous, nous avions compris que Bruno discutait ses textes avant d’être arrivé à la version finale, rarement après. Il poursuivait sa route, une route escarpée. Il nous tirait vers le haut tout en étant attentif à, et concerné par, la diversité des pratiques. Les travaux du CSI trouvaient ainsi leur place dans une topographie qui les reliait aux grands enjeux des sciences humaines sans que ne soient perdus en route le détail et la couleur des études de cas. Faire de la théorie c’est décrire. Son ambition était d’échafauder un système de coordonnées qui permettent à chaque événement de trouver sa place. Il avait ainsi inventé ce qu’Annemarie Mol allait appeler la philosophie expérimentale.

Rétrospectivement je comprenais mieux ce qu’il m’avait apporté de manière irremplaçable. Il me revint en mémoire le premier texte que nous avions écrit ensemble et qui avait été publié en 1981 dans un livre édité par Karin Knorr et Aaron Cicourel. Parmi les contributeurs figuraient Pierre Bourdieu et Jürgen Habermas qui étaient l’un et l’autre déjà bien connus dans le monde de la philosophie et de la sociologie. Bruno m’avait proposé que l’on écrive ensemble l’article qu’on lui avait demandé. L’avantage était que nous était laissé le choix du sujet. Nous choisîmes de traiter la question des relations entre micro et macro-structure. Bruno m’avait demandé de rédiger une première version. Ce que j’avais fait. On s’était retrouvé chez moi pour avancer dans l’élaboration du texte. Il était arrivé avec le titre, la fameuse section sur les babouins et la référence à Hobbes. Il avait trente-trois ans et avait conçu un argument qui plaçait le texte à la croisée de la philosophie politique, de la primatologie et de l’anthropologie des techniques.

Une fois la rédaction terminée, Bruno m’a demandé: « Où est ta Bible ? » Par chance j’en avais un exemplaire, ce dont il ne doutait pas ! Il l’a rapidement feuilleté et l’a ouvert à la page qu’il cherchait. L’exergue était trouvée: « Cribleras-tu sa peau de dards, piqueras-tu sa tête avec le harpon, Pose seulement la main sur lui : au souvenir de la lutte tu ne recommenceras plus ! Il devient féroce quand on l’éveille, Nul ne peut lui résister en face ». (Job, 40-25). L’article s’était enrichi d’une référence inattendue au Livre de Job, un des textes les plus beaux et les plus dérangeants de l’Ancien Testament que j’ai relu depuis maintes fois. Quelque temps plus tard, nous étions sur le chemin de Reid Hall, Bruno m’avait dit: « Michel est-ce que ça t’ennuierait si je figurais comme premier auteur ? Ça serait utile pour ma carrière. Je ne compte pas faire de vieux os au CNAM. »

J’ai compris que c’était une manière élégante de me dire qu’il estimait être le principal contributeur. Sa demande était tellement légitime que j’ai accepté sans hésiter. Je dois ajouter que pour moi cette décision n’avait aucune espèce d’importance. Grâce au soutien quasi-inconditionnel de l’École des mines je n’avais pas de souci de carrière (heureux temps !). Les publications n’étaient pas considérées par la direction comme le critère d’évaluation principal. Elle était plus sensible à mon engagement dans les grandes manœuvres politiques de l’époque, qui allaient se traduire par des réformes institutionnelles importantes. Ayant obtenu mon accord, Bruno n’a rien changé ; il a maintenu l’ordre alphabétique. Cet événement peut paraître insignifiant. Il ne l’était pas. Il a marqué le début d’une collaboration à la fois lucide et sans arrière-pensée. Chacun de nous deux faisait complètement confiance à l’autre sachant parfaitement sur quels sujets il pouvait écrire en notre nom commun.


[1] La mémoire est trahison et ré-invention. Il se pourrait donc que toute ressemblance avec des événements ayant réellement existé ne soit que le fruit de pures coïncidences.

[2] Le Cordes (Comité d’organisation des recherches appliquées sur le développement économique et social), était placé sous l’autorité du Commissariat général du Plan. Sa mission était de commander et de financer une recherche contractuelle en sciences sociales.

[3] Bourdieu, P. « La spécificité du champ scientifique et les conditions sociales du progrès de la raison ». Sociologie et Sociétés 7, no 1 (1975).

[4] Bloor, D. Knowledge and Social Imagery. Chicago: University of Chicago Press, 1976.

[5] John Law éprouvait les mêmes difficultés. Voir John Law, Actor Network and Material Semiotics. In Bryan Turner (ed.) The new Blackwell companion to social theory, 2009

Michel Callon

Sociologue, Professeur à l'école des Mines-Paris Tech, chercheur au Centre de sociologie de l'innovation

Notes

[1] La mémoire est trahison et ré-invention. Il se pourrait donc que toute ressemblance avec des événements ayant réellement existé ne soit que le fruit de pures coïncidences.

[2] Le Cordes (Comité d’organisation des recherches appliquées sur le développement économique et social), était placé sous l’autorité du Commissariat général du Plan. Sa mission était de commander et de financer une recherche contractuelle en sciences sociales.

[3] Bourdieu, P. « La spécificité du champ scientifique et les conditions sociales du progrès de la raison ». Sociologie et Sociétés 7, no 1 (1975).

[4] Bloor, D. Knowledge and Social Imagery. Chicago: University of Chicago Press, 1976.

[5] John Law éprouvait les mêmes difficultés. Voir John Law, Actor Network and Material Semiotics. In Bryan Turner (ed.) The new Blackwell companion to social theory, 2009