Écologie

L’eau bout !

Chercheur en Lettres

Le « Plan Eau » que le président français s’est empressé de présenter personnellement à Savines-le-Lac le 30 mars, avec son lot de propositions marchandes, donne immédiatement un arrière-gout de maladresse grinçante. Quelques jours après la sanglante répression de Sainte-Soline, la responsabilité du choix socio-politique dans la production et la gestion de l’eau révèle encore un mode de décision vertical, amenant à de multiples tensions « hydro-politiques ».

Que s’est-il passé à Sainte-Soline ? Quelque chose de tellement sidérant que même les breaking news autour de la réforme des retraites ont retenu le souffle en lui laissant la place sur la scène médiatique. Avons-nous eu l’effrayant privilège d’assister – voire de participer – au premier chapitre d’une « guerre (civile) pour l’eau » qui ne se serait dévoilée que partiellement ?

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Tout laisse penser que, à l’ombre de la conférence internationale consacrée par l’ONU à cet élément vital, le gouvernement ait consciemment choisi de mobiliser des moyens militaires disproportionnés et de prendre le risque de tuer des citoyen·ne·s pour empêcher l’éventuel sabotage d’une infrastructure hydrique (certains disent simplement un « trou ») à l’importance dérisoire dans le cadre de la sécurité nationale.

Comparé à ces évènements dramatiques, le « plan eau » que le Président s’est empressé de présenter personnellement à Savines-le-Lac le jeudi 30 mars – avec son lot de propositions marchandes type pollueur-payeur sur la tarification de la consommation hydrique : qui paie (plus), aura l’eau souhaitée – acquiert immédiatement un arrière-goût de maladresse grinçante, voire de ridicule éhonté. Il est certain que l’enjeu hydrique s’impose aujourd’hui au cœur des affrontements et des échéances politiques. L’eau est en train de bouillir : ces dernières semaines, plusieurs pancartes dans les manifestations nous le rappelaient par un rapprochement au soulèvement populaire (« l’eau bout à 100°, le peuple à 49.3 »). L’eau bout et, probablement, le gouvernement est en train d’y cuire. L’époque de la crise environnementale est et sera aussi celle d’hydro-politiques différentes qui commencent à se formuler et se tendre aujourd’hui, sur le terrain encore chaud de Sainte-Soline.

Fictions rabdomanciennes

Que les productions narratives agglutinent et expriment un inconscient mais aussi un imaginaire collectif, c’est un constat plutôt répandu. Dire que les fictions sont « contemporaines » (pour reprendre Giorgio Agamben) et qu’elles vibrent au diapason d’une certaine époque ne signifie pas qu’elles en reproduisent l’actualité, mais plutôt que, depuis une inactualité, elles ressentent des présents souterrains et pressentent des situations à venir (elles les explorent, même). Ce n’est donc pas un hasard si, loin des faits tapageurs des derniers jours, une certaine inquiétude hydrique peuple plusieurs narrations récentes faisant partie d’une lisière émergeante de la scène littéraire. C’est le cas du délicieux récit d’Estelle Benazet Heugenhauser Le régime parfait (Rotolux, 2022) où nous nous retrouvons plongé·es dans le délire de madame Perez – hilarant, rigoureux et cruel – en train de concevoir et appliquer un plan alimentaire machiavélique destiné à nous sauver du désastre de l’Androcène[1].

Sa tactique préconise un régime renforçant et surprotéiné pour ses filles et un autre ramollissant à base uniquement de soupe pour son garçon. Le problème est que la fin du monde risque d’arriver avant l’achèvement de son projet visant le renversement de la lentissime et injuste évolution des corps masculins et féminins. Et, dans le livre, cette urgence est incarnée précisément par une montée des eaux et la menace d’être rapidement inondées. L’archétype biblique du déluge est aussi au cœur de l’intrigue apocalyptique d’une autre prose très réussie et surprenante – Tabor (Le Sabot, 2021) de Phoebe Hadjimarkos Clarke – membre, comme le texte précédent, d’un nouveau front de la prose d’anticipation où les questions féministes prennent une place considérable.

La communauté insulaire de Tabor survit dans un monde ayant été investi par une inondation catastrophique dont on ne sait que peu de choses : parmi celles-ci, le fait que le désastre aquatique a provoqué des dégâts graves au réseau nucléaire. Les questions hydriques résonnent en arrière-fond d’un autre membre de cette galaxie littéraire, le roman de SF labélisé « queer » La sequence Aardtman (Goater, 2021) écrit par Saul Pandelakis qui nous présente une Terre future réchauffée et asséchée où l’espèce humaine est en train de disparaître lentement, dégoulinante de sueur. Sur l’affinité spécifique entre les sensibilités féministes et le domaine aquatique, la chercheuse Astrida Neimanis – penseuse de l’« hydro-féminisme », récemment traduite par Emma Bigé et Ambre Petitcolas – n’aurait aucun doute[2].

En même temps, il y a une topologie hydrique (la mer et les espaces portuaires) qui émerge comme une frontière de résistance et peut-être même de révolution au sein d’autres récits de cette même famille, comme Subtil Beton (L’Atalante, 2021) des Agglomeré·e·s. Il n’y a pas que des montées d’eau subies avec leurs effondrements annexes, mais aussi des vagues de soulèvements. La méthode d’écriture de ce roman (celle de l’atelier collectif) est aussi celle adoptée par le Quando qui sarà tornato il mare. Storie dal clima che ci attende (« Quand la mer sera revenue ici. Histoires du climat qui vient ») publié en Italie sous le pseudonyme Moira dal Sito (Alegre, 2020). Ce livre est le résultat d’un travail de rédaction collaborative d’un groupe de personnes habitant une zone de la plaine du Po (celle autour de Ferrara) vouée à être inondée par l’augmentation annoncée du niveau de la mer Adriatique : sous la coordination de l’écrivain Wu Ming 1 et armés des outils narratifs de genres comme le fantastique et la science-fiction, il s’agissait d’arpenter collectivement les territoires incertains d’un avenir soumis aux aléas du changement climatique. Mais les hydro-fictions sont aussi capables de sortir de cette heureuse niche littéraire et s’immiscer dans l’actualité de la politique internationale à travers des stratégies de scénarisation des messages médiatiques qu’il est également intéressant de rappeler.

Après le déluge, le Cloud

Si existent des stars de la communication globale en temps d’urgence climatique, Simon Kofe en fait partie. Moins célèbre que Greta Thunberg, ce ministre de l’archipel pacifique Tuvalu a démontré un sens exceptionnel de l’adresse et de la mise en scène : il est fort probable que vous soyez tombé·es sur ce protagoniste des écrans, même si vous n’avez pas retenu son nom. En novembre 2021, à l’occasion de la COP 26, son appel à la responsabilité et à l’action face au changement climatique avait fait le buzz. Par une parfaite maîtrise de la grammaire audiovisuelle, un plan resserré sur son visage et les drapeaux officiels lors du début de son discours s’élargissait de plus en plus en laissant entrer dans le cadre le hors-champ qui était initialement coupé. L’orateur ne parlait pas depuis une élégante salle institutionnelle : il était les pieds dans l’eau à quelques mètres de la plage d’une des îles constituant sa nation, sérieusement menacées de disparition à cause de la montée du niveau des océans.

Mais, attention, ce n’est pas juste le problème d’un minuscule État inconnu au milieu de l’océan : si on est en train de se noyer, vous aussi risquez de ne pas y échapper («We are sinking, and so will everyone else »). Une année après, Simon Kofe sort un autre lapin du chapeau et lance un deuxième court discours filmé qui devient rapidement viral. Cette fois, ses pieds sont posés sur la terre ferme. Mais voilà que cette terre – en train d’être dévorée par la mer – se transforme en un paysage numérique modélisé. De l’île ne restera qu’un mausolée numérique. Il s’agit, dans cette hypothèse provocatrice, de transformer Tuvalu en la première nation-sans-terre : après son décollage dans le cloud, cet archipel deviendra une entité numérique dépourvu de sol. Évidemment, l’imaginaire (science)fictionnel du ministre constitue moins un rêve techno-solutionniste qu’une piqûre scandaleuse pour questionner les inerties dangereuses dans lesquelles nous sommes embourbées et dont les habitant·es de l’archipel seront les premier·es à subir les conséquences[3].

Si quelques esprits trans-humanistes (bouillonnants d’un enthousiasme naïf) prenaient au premier degré cet upload gigantesque de Tuvalu sur Internet, pour les refroidir il suffirait de regarder de près comment on fabrique les machines calculatrices capables d’opérer cette « dématérialisation » nationale. Le Cloud en tant qu’espace céleste illimité est un vain fantasme, bien que soigneusement alimenté par les multinationales de la Tech : le Cloud n’existe pas, le Cloud est dans l’ordinateur de quelqu’un d’autre, cet ordinateur, il faut le construire (outre que l’alimenter).

Si pour l’archipel austral le problème était un excès d’eau (salée), pour la production des puces nécessaires à l’univers numérique le souci crucial est le besoin vorace d’eau douce. Les polémiques surgies autour des projets d’agrandissement d’une usine de pointe de micro-processeurs à Crolles – à mi-chemin entre Grenoble et Chambéry – soulève des oppositions incandescentes à cause de la privatisation de grands volumes d’eau pure dont ce genre d’industrie a besoin[4]. STMicroelectronics avec Global Foundries y bénéficie de conséquentes aides publiques pour élargir la production de composantes électroniques dans un contexte de tensions des marchés globaux et de besoins croissants grâce, entre autres, à la conversion vers des moyens de transports électriques à la prétendue neutralité carbone.

Selon les opposants de ces projets, ce choix avec la tête dans l’air d’une atmosphère où il s’agit de réduire la concentration de CO2 néglige de bien poser ses pieds sur la terre (rare), victime d’extractions redoutables, et dans l’eau, de moins en moins disponible.

Comme la mine, l’eau peut être considérée comme un angle (relativement) mort d’une représentation du problème écologique parfois trop réduit au simple domaine atmosphérique. Des collectifs se sont donc montés au milieu des Alpes pour dénoncer les quantités d’eau démesurées aspirées par les usines électroniques via de nouvelles infrastructures ainsi que pour entraver la réalisation de ce projet extrêmement problématique, en temps de multiples sècheresses (récentes, en cours, à venir).

Survivalisme hydrique

Le nouveau « mouvement social pour l’eau » (selon le baptême de Jade Lindgaard dans Mediapart), porté au premier plan par les évènements Sainte-Soline, n’est pas isolé[5]. La question hydrique, en effet, représente un enjeu essentiel des délitements inexorables de nos écosystèmes socio-économiques craints par les collapsologues : la navigation « collapsonaute » que nous évoquions il y a trois ans[6] semble se dérouler au milieu d’une spirale paradoxale et effrayante de déluges et d’assèchements, où le spectre de l’assoiffé côtoie celui de la noyée.

Dans ce contexte de dérèglement des conditions hydriques découvert dans l’Hexagone et expérimenté depuis longtemps par d’autres coins de la planète, des projets comme celui des méga-bassines peuvent être lus comme le réflexe d’un survivalisme qui sort du placard numérique des millénaristes farfelus et préoccupés de se bâtir de petites forteresses domestiques et d’entasser de la nourriture en boîte[7], pour devenir une stratégie socio-politique d’élite. Quels traits composent le portrait d’un tel survivalisme-du-haut ? 1. Une défense acharnée et peu raisonnable d’un monde (même juste un îlot de ce monde) malgré sa crise et sans considérer les opportunités de transformation et de conclusion ; 2. Une vision belliqueuse plutôt que diplomate, qui ne fait qu’accentuer les dogmes de la compétition, du mérite individuel et de la hiérarchie qui circulent dans l’agenda néolibéral et celui, complice, souverainiste ; 3. Un recours à l’équipement technologique et à une ingénierie calculatrice selon une optique solutionniste qui pensait la « survie » comme une augmentation technique ; 4. L’appropriation et le verrouillage de ressources et d’espaces, soustraits au partage collectif par des gestes de sélection et privatisation.

Faisons un pas de côté, un tour de l’autre côté des Alpes, pour réfléchir à ces perspectives en observant les tensions qui animent une situation hydrique encore plus dégradée de celle connue en France. Premièrement, l’Italie est un pays en proie depuis plusieurs années à des « bombe d’acqua » (précipitations aussi intenses que soudaines) ayant causé d’innombrables dégâts et morts dans différentes régions italiennes. L’amère surprise française autour du désastre de la vallée de la Roya (2020) correspond à une triste routine « sérielle » sur le sol italien, dont les derniers épisodes ont été la tragédie dans l’arrière-pays de Senigallia (Marche) de septembre dernier et celle de Ischia, tout aussi meurtrière, de novembre. Comme dans nombre d’autres cas similaires, le danger était connu et dénoncé (à Senigallia, par exemple, un autre évènement similaire avait eu lieu en 2014) mais les pouvoirs publics n’étaient pas intervenus pour éviter un pire qui est devenu ainsi certain.

Cette immobilité investit, deuxièmement, l’assèchement de la plaine du Pô : poumon productif de la Péninsule aussi grâce à l’abondance d’eau assurée par l’arc alpin et ses réserves de neige en train de disparaître. Le système économique – en particulier l’agriculture industrielle orientée vers la production d’aliments d’origine animale – souffre à cause des difficultés d’approvisionnement hydrique bien condensées par l’image dramatique d’un fleuve Pô exsangue et dévoré par la remontée saline de la mer Adriatique.

Dans un contexte mis sous pression par la tenaille contradictoire du manque d’eau et de l’injonction productiviste à s’en servir pour faire tourner le business, un nouveau Far West hydrique est en train de s’ébaucher : les autorités publiques constatent l’augmentation des vols d’eau plus ou moins ingénieux de la part d’entreprises qui affirment ne pas pouvoir respecter les limites de prélèvement imposées. L’année dernière entre mars et mai les contrôles ont constaté plus de 500 situations irrégulières dans la plaine du Pô[8]. Vis-à-vis de la culpabilisation personnelle pour ces faits « criminels », la négligence historique des pouvoirs publics en lien avec des intérêts économiques insoutenables ne doit pas être oubliée.

S’étant déroulé il y a plus de dix ans, le mouvement massif contre la privatisation de l’eau autour d’un référendum (2011) pour son statut de bien public (Acqua Bene Comune) peut être considéré comme une des dernières manifestations remarquables et transversales d’engagement populaire dans un pays à la vitalité politique récente plutôt léthargique – il suffit de songer à l’absence de protestations lors de la dernière reforme des retraites en 2012 qui a porté l’âge de la fin du travail à plus de 67 ans[9]. Les institutions politiques ont réagi à cette volonté démocratique par une dizaine d’années d’obstructionnismes et contournements, que le mouvement n’a pas cessé de dénoncer. On se retrouve au milieu de cette attitude obtuse et conservatrice à contempler avec une certaine perplexité certaines retours à des formes de prière (à la saveur moyenâgeuse) guidées par les évêques sur les lits vidés des cours d’eau, comme à Parma l’été dernier : que Dieu nous sauve ![10]

Quelles hydro-politiques ?

La transformation des conditions climatiques et de certains environnements n’est pas nécessairement synonyme de conflits et de violences, d’un retour à un état de lutte primitif. À la racine des situations belliqueuses et meurtrières qui peuvent se produire autour de problèmes écologiques, comme l’accès à l’eau potable, il faut reconnaître moins une sorte de fatalité éco-déterministe que le résultat d’opérations économiques et géopolitiques d’appropriation et d’exploitation élitistes et inégalitaires (au niveau intra- et international). Du moins, c’est la thèse que démontrent les analyses en sciences sociales de Divided Environments. An International Political Ecology of Climate Change, Water and Security (2022) essai découvert au cours des recherches « collapsonautes » que je partage toujours avec Yves Citton[11].

En observant de près plusieurs terrains conflictuels où de nombreux commentaires relient des instabilités socio-économiques à l’épuisement de ressources primaires en temps de crise climatique (notamment la « water in-security »), ses auteur.ices mettent en avant la responsabilité de choix socio-politiques verticaux (au nom du marché global, d’industrialisations forcées, de subordinations néocoloniales, de discriminations raciales…) dans la production de ces milieux divisés et tendus. Qu’il s’agisse de la Syrie, du Soudan ou encore de la Palestine et d’Israël, cette étude démontre que les tensions hydriques sont moins liées à l’abondance ou à la rareté environnementale de celle-ci, que créées par des inégalités historiques et des dominations technico-économiques : « dans notre monde l’accès à l’eau n’est pas un don de la nature, mais un achèvement essentiellement politique, économique et sociotechnique » (p. 307).

On peut appeler « hydro-politique » l’articulation de pouvoirs, de décisions et d’infrastructures par laquelle une société accède à et utilise l’eau : la réquisitionne et l’exploite, la partage et en prend soin. On peut et on doit envisager l’écologie politique aussi comme une hydro-politique – ou mieux, un ensemble d’hydro-politiques alternatives et en débat.

La géo-ingénierie constitue un des champs emblématiques et discutables où devient évident le nœud qui relie eau et politique, via la technique. La gestion artificielle des précipitations, par exemple, constitue un des volets principaux et déjà plusieurs fois expérimentés du travail des géo-ingénieurs : à savoir, produire la pluie par des interventions chimiques dans l’atmosphère. La préoccupation récente pour les programmes d’« ensemencement des nuages » développés par la Chine nous fait souvenir d’une tradition assez longue et problématique de recherche et d’application dans ce domaine[12]. Il y a bientôt quarante ans, ces stratégies de manipulation du climat ont été protagonistes du désastre de Tchernobyl, où – comme nous l’explique Kate Brown[13] – la diffusion de nuages radioactifs menaçants a été bloquée par des pluies induites sur les régions-victimes du sud de la Biélorussie par l’État soviétique.

À propos de la production électrique, il est intéressant de savoir que, dans le domaine des politiques énergétiques, l’enjeu crucial du stockage au sein de la transition vers les énergies renouvelables replace l’eau sur le devant de la scène. En effet, l’hypothèse d’utiliser les barrages et le processus hydroélectrique comme une pile géante (et moins dépendant des extractions minières) en mesure de stocker l’énergie produite par des sources comme le vent et le soleil est en train d’être sérieusement étudiée. Il s’agirait, en ce sens, de pomper l’eau en amont des barrages en utilisant le surplus d’énergie produite par des contingences climatiques favorables pour ensuite reconvertir cette eau en énergie en cas de besoin[14]. « Eau » n’est pas juste synonyme de « boire » ou « arroser », mais de beaucoup d’autres fonctions (transporter, stocker de l’électricité…).

Pour donner un dernier exemple de l’arène hydro-politique, tournons-nous vers des situations plus quotidiennes et pourtant extrêmement délicates : celles des piscines. En plein sècheresse, l’été dernier, les médias avaient relaté plusieurs cas de sabotages d’infrastructures privées jugées – par les responsables de ces actions – comme totalement désuètes et incompatibles avec l’urgence écologique : plusieurs piscines de luxes situées dans des territoires manquant d’eau potable (comme les Vosges) avaient été « abimées ». En se penchant précisément sur le « cas des piscines » très controversé, Diégo Landivar a esquissé récemment un plan pour « fermer une parenthèse moderne » en appliquant les théories de « l’écologie du démantèlement » qu’il a forgé en compagnie d’Alexandre Monnin et Emmanuel Bonnet à cet objet de polémique (au sens littéral, de foyer d’une confrontation « guerrière »)[15].

Face à l’explosion des équipements pour le loisir privé enduit par le repli domestique des confinements (400 000 nouvelles piscines en France) et la présence de nombreuses structures publiques sur le territoire, le chercheur clermontois propose un programme hydro-politique visant, d’une part, à la « fermeture » des piscines individuelles et, de l’autre, à la sanctuarisation de celles publiques par des interventions d’entretien et de renouvellement écologique.

Dans cette perspective, la question essentielle qui se cache derrière les méga-bassines, et que le gouvernement ne veut pas se poser avec franchise, est celle du programme de démantèlement d’une agro-industrie dont nous dépendons (pour notre approvisionnement alimentaire en général, pour les revenus de certaines catégories professionnelles…) et qui, à défaut de pouvoir disparaître magiquement, doit être démontée patiemment et remplacée par de nouvelles organisations de la production agricole dont l’Atelier Paysan nous indique un modèle radicalement inspirant basé sur « l’autonomie paysanne et alimentaire » dans son essai-manifeste Reprendre la terre aux machines (Seuil, 2021). Comment le gouvernement français peut-il fantasmer la dissolution des Soulevements de la Terre initiés, entre autres, par une Confédération Paysanne porteuse d’univers agricoles alternatifs dont nous avons urgemment besoin ?


[1] Voir le numéro « Androcène » (n° 40, 2021) de la revue Nouvelles Questions Feministes.

[2] Son article traduit en langue français est en libre accès (copyleft).

[3] Sur la question de l’archipel de Tuvalu, voir les travaux théoriques et anthropologiques développés dans le cadre de la thèse de Nicola Manghi (actuellement post-doctorant à l’EHESS).

[4] Voir, à ce propos, les enquêtes engagées du media grenoblois Le postillon (« Ultra-méga bassine de Stmicro : à quand le soulèvement ? », printemps 2023).

[5] Jade Lindgaard, « Sainte-Soline : l’aveuglement “ à haut risque ” du gouvernement », Mediapart, 25 mars 2023.

[6] Yves Citton & Jacopo Rasmi, Générations Collapsonautes. Naviguer par temps d’effondrement, Seuil, 2020.

[7] Bertrand Vidal, Survivalisme. Êtes-vous prêts pour la fin du monde ?, Arkhé, 2018.

[8] « A causa delle siccità l’acqua viene anche rubata », Il post, 23 mars 2023.

[9] Voir le site de la coalition du mouvement Acqua Bene Comune, toujours actif.

[10] Maria Cecilia Scaffardi, « Parma, la messa lungo l’argine del Grande Fiume », L’avvenire, 12 Juillet 2022.

[11] Gabrielle Daoust, Clemens Hoffmann & Jan Selby, Divided Environments: An International Political Ecology of Climate Change, Water and Security. Cambridge, Cambridge University Press, 2022.

[12] Franck Galland, « Les technologies dont fait usage la Chaine doivent être encadrées », Le Monde, 1 Mars 2023.

[13] Kate Brown, Tchernobyl par la preuve. Vivre avec le désastre et après, Arles, Actes Sud, 2022.

[14] Casey Crownhart, « These companies want to go beyond batteries to store energy », MIT Technology Review, 9 mars 2023.

[15] Diégo Landivar, « Comment fermer une parenthèse moderne. Le cas des piscines », Multitudes, vol. 89, no. 4, 2022, pp. 200-203.

Jacopo Rasmi

Chercheur en Lettres, maître de conférences en arts visuels et études italiennes à l'Université Jean Monnet (Saint Etienne)

Mots-clés

Eau

Notes

[1] Voir le numéro « Androcène » (n° 40, 2021) de la revue Nouvelles Questions Feministes.

[2] Son article traduit en langue français est en libre accès (copyleft).

[3] Sur la question de l’archipel de Tuvalu, voir les travaux théoriques et anthropologiques développés dans le cadre de la thèse de Nicola Manghi (actuellement post-doctorant à l’EHESS).

[4] Voir, à ce propos, les enquêtes engagées du media grenoblois Le postillon (« Ultra-méga bassine de Stmicro : à quand le soulèvement ? », printemps 2023).

[5] Jade Lindgaard, « Sainte-Soline : l’aveuglement “ à haut risque ” du gouvernement », Mediapart, 25 mars 2023.

[6] Yves Citton & Jacopo Rasmi, Générations Collapsonautes. Naviguer par temps d’effondrement, Seuil, 2020.

[7] Bertrand Vidal, Survivalisme. Êtes-vous prêts pour la fin du monde ?, Arkhé, 2018.

[8] « A causa delle siccità l’acqua viene anche rubata », Il post, 23 mars 2023.

[9] Voir le site de la coalition du mouvement Acqua Bene Comune, toujours actif.

[10] Maria Cecilia Scaffardi, « Parma, la messa lungo l’argine del Grande Fiume », L’avvenire, 12 Juillet 2022.

[11] Gabrielle Daoust, Clemens Hoffmann & Jan Selby, Divided Environments: An International Political Ecology of Climate Change, Water and Security. Cambridge, Cambridge University Press, 2022.

[12] Franck Galland, « Les technologies dont fait usage la Chaine doivent être encadrées », Le Monde, 1 Mars 2023.

[13] Kate Brown, Tchernobyl par la preuve. Vivre avec le désastre et après, Arles, Actes Sud, 2022.

[14] Casey Crownhart, « These companies want to go beyond batteries to store energy », MIT Technology Review, 9 mars 2023.

[15] Diégo Landivar, « Comment fermer une parenthèse moderne. Le cas des piscines », Multitudes, vol. 89, no. 4, 2022, pp. 200-203.