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Affaire Galtier : le football face à ses responsabilités

Journaliste

On ne sait objectivement pas grand-chose de l’affaire qui a plongé l’entraîneur du Paris Saint-Germain dans la tourmente. Celle-ci est néanmoins porteuse de plusieurs messages. Un, le football est bien plus qu’un sport puisqu’il s’inscrit ici dans l’air politique explosif de son temps en se faisant l’écho des maux qui gangrènent la société française. Deux, le parfum de scandale vient rappeler que, derrière des slogans de bonne vertu, ce jeu universel ne s’est jamais attaqué de front à ses vieux démons. Quand l’UEFA nous dit « No to racism » c’est un peu comme si elle nous disait « No to money ».

Un mail, un simple mail transféré et difficile à authentifier, a suffi à mettre le feu aux poudres, c’est déjà dire l’état de tension que traverse le pays. Ce courriel désigné comme émanant de l’ancien directeur sportif de l’OGC Nice Julien Fournier accuse Christophe Galtier de propos discriminatoires à l’époque où il entraînait le club de la Côte d’Azur.

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Que sait-on au juste de Christophe Galtier lorsqu’on n’appartient pas à son cercle intime ? Qu’il est un minot de Marseille. Qu’il est un excellent entraîneur de football dont les difficultés parisiennes, inhérentes à la fonction, ne sauraient remettre en question les qualités. Accessoirement qu’il est le « fidèle supporter » d’Emmanuel Macron, comme il le lui avait soufflé à l’oreille avant la finale de la Coupe de France 2022, ce qui dans le contexte actuel ne peut guère servir son dossier.

Christophe Galtier est-il islamophobe, voire raciste, comme le sous-entend le mail incriminant, ou a-t-il été diffamé sur la base d’une vengeance ? La justice, qui a ouvert une enquête préliminaire pour des faits présumés de « discrimination fondée sur une prétendue race ou l’appartenance ou à une religion », le dira. En attendant, une première question se pose, soulevée judicieusement par l’ancien international Samir Nasri : pourquoi maintenant ? Il y a toujours eu des joueurs musulmans dans le football, pratiquants ou pas, le jeûne respecté ou non durant le Ramadan n’était pas un sujet mais au moment précis où la quasi-totalité de la classe politique française, en mal de légitimité, se découvre, à l’instar du secrétaire national du Parti communiste français, une âme de douanier, il en devient subitement un, comme avant lui le voile à l’école ou le halal à la cantine.

Christophe Galtier a reçu, à ce jour, nombre de témoignages de soutien plaidant en faveur de ses qualités humaines (aucun venu de Nice, c’est toutefois à souligner) et pas une voix n’est, pour l’heure, venue corroborer clairement les accusations dont il est l’objet. Les menaces qui lui valent un placement sous protection sont tout autant abjectes que les propos qui lui sont prêtés disant bien, là encore, les troubles comportementaux pour le moins anxiogènes de notre société. Ce constat posé, cette affaire ne sort pas de nulle part. Elle s’inscrit même dans un long et lourd historique que peu de sports et même de secteurs traînent sur leur curriculum vitae. Car au bal des hypocrites indignés le football maîtrise décidément à la perfection l’art de la simulation. C’est Gianni Infantino, le président de la FIFA, qui, à la veille de l’ouverture de la Coupe du Monde au Qatar, déclare se sentir « Qatari, Arabe, Africain, gay, handicapé, travailleur immigré » mais interdit le port du brassard arc-en-ciel. En Europe, c’est l’UEFA qui affiche le slogan « No to racism » comme un mantra mais s’avère incapable de balayer devant ses stades.

Dernier épisode en date : début avril, le Belge Romelu Lukaku est victime d’offenses racistes sur le terrain de la Juventus Turin. Pour faire taire les odieux, il réplique en célébrant un but un index sur la bouche et reçoit un carton rouge. Comme toujours, écœurement et condamnation unanimes… jusqu’au prochain incident. Plus tôt dans la saison, c’est le surdoué brésilien Vinicius Jr qui avait subi un déchaînement de violence en voyant notamment une poupée à son effigie pendue à un pont à proximité du centre d’entraînement du Real Madrid. Ouvertement ciblé sur la pelouse par ses adversaires, l’insaisissable dribbleur fut même, lors d’une émission de télévision, prié par le président de l’association des agents espagnols d’« arrêter de faire le singe ».

Voilà qui nous remet en mémoire un tristement célèbre reportage du magazine « Téléfoot » diffusé en 1988 et exhumé des archives par « Quotidien » (TMC) en 2021. On peut y voir les joueurs du football club de Nantes Marcel Desailly, Antoine Kombouaré et Boris Diecket descendre d’un arbre avec un masque blanc. Commentaire du journaliste, un certain Pascal Praud : « Le FC Nantes a viré. Viré de bord depuis deux ans, mais aussi de couleur. […] Six de ses titulaires sont noirs pour effacer les nuits trop blanches de la saison passée. » En fond sonore, « Noir, c’est noir » de Johnny Hallyday. Dans le documentaire « Je ne suis pas un singe », consacré au racisme dans le football et diffusé sur Canal + en 2019, le présentateur emblématique de CNews se raccroche à son tour aux branches : « Ce sont des jeunes, ils ont 18 ans, donc ils s’amusent eux-mêmes à caricaturer l’image que certains véhiculent ou pas. Il y a cette part d’autodérision. Mais qui est très choquante, aujourd’hui, quand on regarde ça. ».

Il est sans doute inévitable que le football, sport populaire par excellence, se fasse le miroir d’une société manquant de plus en plus oxygène.

Pour le moins. Le fait est que la prégnance des idées nauséabondes dans l’univers du ballon rond dépasse malheureusement l’affaire Galtier et la composition d’un effectif niçois dans lequel la population de la ville de feu Jacques Médecin ne se reconnaîtrait soi-disant pas. Des directeurs sportifs de grands clubs français des années 80-90 s’interrogeaient déjà sur la « pertinence » de recruter un grand nombre de jeunes d’origines africaines, l’un deux allant jusqu’à poser devant nous le problème en ces termes : « Si un jour notre équipe est composée uniquement de joueurs noirs, notre public sera-t-il toujours derrière elle ? »

Trente plus tard, nonobstant le « black-blanc-beur » triomphant de 1998 qui, avec le recul, s’apparente à une parenthèse enchantée, nous en sommes donc toujours là, à ressasser indéfiniment les vieilles peurs irrationnelles. Petit florilège de l’entre-deux. Dès l’an 2000, la concorde se fissure : un sondage de la Commission nationale consultative des droits de l’homme révèle que 36 % des personnes interrogées estiment qu’il y a trop de joueurs d’origine étrangère dans l’équipe de France de football. En 2005, en plein embrasement des quartiers, Alain Finkielkraut pointe une équipe de France « black-black-black », « risée de toute l’Europe ». L’essayiste présente ses excuses mais un an plus tard, le maire de Montpellier Georges Frêche lui emboite le pas. Son exclusion du PS ne change rien, le malin fait son chemin et a rompu une digue, celle de la gauche humaniste.

En 2010, c’est selon Roselyne Bachelot une France des « caïds » qui a fait la grève de l’entraînement à Knysna, comprenez : des petites frappes de banlieue. Nicolas Anelka sert de bouc émissaire parce qu’il a pour son malheur la gueule de l’emploi. Puis vient l’affaire des quotas. Lors d’une réunion technique de la Fédération française de football, il est question de « limiter » la formation de joueurs binationaux car trop d’entre eux finiraient par choisir une autre sélection que la française. Laurent Blanc, alors à la tête des Bleus, valide. Il en sera lui aussi quitte pour un mea culpa. En 2016, la non-sélection de Karim Benzema pour l’Euro 2016 pousse l’oublié à déclarer que « Didier Deschamps a cédé à la pression d’une partie raciste de la France ». Le roi maudit  sera finalement rappelé en 2021 avant une ultime séparation un petit matin blême de novembre dernier.

Il est sans doute inévitable que le football, sport populaire par excellence, se fasse le miroir d’une société manquant de plus en plus d’oxygène. Mais cela ne saurait l’exempter de ses responsabilités. Peut-on imaginer un instant ses instances se montrer tout aussi intraitables face aux comportements délictueux qu’elles le sont dans la prononciation de huis clos pour une simple utilisation de fumigènes ? De même, voir le ministère de l’Intérieur et la préfectorale déployer autant de zèle à traquer la bête immonde que les incendiaires de poubelles dans les manifestations antigouvernementales ? Car il y a des nuances dans les couleurs de l’incendie. Que l’idole du moment brille au firmament du « 9-3 », que Lilian Thuram ait transmis la flamme de 98 à ses fils Marcus et Khephren, n’empêche malheureusement pas qu’un vent mauvais persiste à souffler sur celle-ci au risque de l’étouffer pour de bon un jour ou l’autre. La France se croyait invulnérable, dotée d’un totem d’immunité, la preuve qu’elle ne l’est pas plus que l’Italie de Georgia Meloni ou l’Espagne, où le Real Madrid et le Barça en sont réduits à se renvoyer à la figure leurs accointances franquistes.

Si Christophe Galtier était reconnu coupable de discrimination cela signifierait que le milieu du football savait et qu’il a fermé les yeux, l’OGC Nice au premier chef, qui aurait peut-être préféré repousser la poussière sous le tapis afin de préserver un transfert juteux de son entraîneur au PSG : grave et inquiétant. À l’inverse, si Galtier a été victime d’une cabale, celle-ci n’a pu fleurir que sur un terreau de malveillance, la même qui alimente à débit continu les réseaux sociaux et qui provoqua des dénonciations de voisins pour un barbecue durant le confinement : tragique et préoccupant. Dans les deux cas, pour reprendre le mot d’un confrère, « le mail est fait ».


Nicolas Guillon

Journaliste