Politique

La Ligue des droits de l’homme contre l’État ?

Politiste

Lorsqu’il a menacé la Ligue des droits de l’homme de supprimer ses subventions, Gérald Darmanin s’inscrivait dans une série de clivages idéologiques dans lesquels se reconnaît de longue date une partie de la droite, qui voit dans la « défense des droits de l’homme » le paravent d’un dangereux activisme marqué à gauche, voire à l’extrême gauche, destiné à subvertir l’autorité de l’État. C’est d’ailleurs un terrain d’entente possible avec l’extrême droite.

Gérald Darmanin a évoqué, mercredi 5 avril 2023 devant la commission des lois du Sénat, la possibilité de remettre en cause les subventions données par l’État à la Ligue des droits de l’homme (LDH) : ce soutien financier « mérite d’être regardé dans le cadre des actions qui ont pu être menées » par la LDH a affirmé le ministre de l’Intérieur…

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C’est la dénonciation par l’association des conditions de maintien de l’ordre durant les événements de Sainte-Soline qui semble avoir été à l’origine de ces propos. Des membres de la LDH, participant en tant qu’observateurs, ont pu témoigner des violences commises contre les manifestants opposés aux mégabassines et constater que la lenteur des secours portés aux manifestants blessés pouvait refléter une obstruction délibérée des forces de l’ordre. En outre, la LDH avait attaqué un arrêté préfectoral visant la protestation anti-bassines interdisant le transport « d’armes par destination », c’est-à-dire à peu près n’importe quel objet pouvant être utilisé comme projectile, ce qui est contraire selon la LDH à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Le 12 avril, la Première ministre Élisabeth Borne a ajouté, toujours devant le Sénat, que si elle avait « beaucoup de respect pour ce que la LDH a incarné », elle ne comprenait plus « certaines de ses prises de position », évoquant « ses ambiguïtés face à l’islamisme radical ». Le président de la LDH, Patrick Baudouin, s’est déclaré « surpris de la déformation » de la position de l’association : « L’amalgame que fait Mme Borne me hérisse et me révolte », il faut, a-t-il poursuivi, « apaiser le débat et non […] envenimer les choses » (Le Monde, 12 avril 2023).

De nombreuses voix se sont élevées pour condamner ces menaces contre la LDH, dont une pétition publiée en une de L’Humanité s’inquiétant de la « gravité extrême » de cette « intimidation à peine voilée (…) concernant une association centenaire, reconnue pour son action exemplaire dans la protection des libertés et le


[1] On se permettra de renvoyer sur la sociologie de l’engagement contemporain à la LDH à : Éric Agrikoliansky, La Ligue française des droits de l’homme et du citoyen après 1945. Sociologie d’un engagement civique, L’Harmattan, 2002. Pour un inventaire de l’histoire, qui reste en grande partie à faire, de la LDH après-guerre, cf. Gilles Manceron, « La Ligue des droits de l’homme après 1940. Essai de périodisation et questions historiographiques », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 137-138, no. 3-4, 2020, p. 58-72. Et pour l’histoire de l’association dans la première moitié du XXe siècle, cf. Emmanuel Naquet, Pour l’Humanité. La Ligue des droits de l’homme de l’affaire Dreyfus à la défaite de 1940, PUR, 2014.

[2] Ce dernier a, d’ailleurs, récemment cosigné une proposition de loi visant à « Préserver les traditions immémoriales de la Nation française » (i. e. l’installation de crèches à Noël dans les collectivités locales) – Texte n° 215 (2022-2023) – de M. Stéphane Le Rudulier et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 19 décembre 2022, dont l’exposé des motifs précise : « Il est un combat de chaque jour que d’essayer de préserver l’expression et les symboles de nos traditions et de nos racines, qui subissent depuis des années les attaques et critiques d’extrémistes s’obstinant à déconstruire notre histoire, notre identité. »

[3] L’adhésion du ministre de l’Intérieur à l’Action française demeure certes en question : s’il dément, des membres de la section lilloise de l’AF prétendent que Gérald Darmanin aurait participé aux activités de l’AF étant étudiant et même à un camp d’été annuel, nommé « Maxime Real Del Sarte » en hommage à l’un des chefs des Camelots du roi, groupuscule violent et factieux. Aucune preuve n’est cependant avancée par ces derniers. Cf. Nadia Sweeny, « G. Darmanin a-t-il milité à l’Action française ? », Politis, 5 février 2021.

[4] Pour des éléments de généalogie de cette opposition, initialement proposée par Charles Maurras, e

Éric Agrikoliansky

Politiste, Professeur des universités à Paris Dauphine-PSL et membre de l'IRISSO

Notes

[1] On se permettra de renvoyer sur la sociologie de l’engagement contemporain à la LDH à : Éric Agrikoliansky, La Ligue française des droits de l’homme et du citoyen après 1945. Sociologie d’un engagement civique, L’Harmattan, 2002. Pour un inventaire de l’histoire, qui reste en grande partie à faire, de la LDH après-guerre, cf. Gilles Manceron, « La Ligue des droits de l’homme après 1940. Essai de périodisation et questions historiographiques », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 137-138, no. 3-4, 2020, p. 58-72. Et pour l’histoire de l’association dans la première moitié du XXe siècle, cf. Emmanuel Naquet, Pour l’Humanité. La Ligue des droits de l’homme de l’affaire Dreyfus à la défaite de 1940, PUR, 2014.

[2] Ce dernier a, d’ailleurs, récemment cosigné une proposition de loi visant à « Préserver les traditions immémoriales de la Nation française » (i. e. l’installation de crèches à Noël dans les collectivités locales) – Texte n° 215 (2022-2023) – de M. Stéphane Le Rudulier et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 19 décembre 2022, dont l’exposé des motifs précise : « Il est un combat de chaque jour que d’essayer de préserver l’expression et les symboles de nos traditions et de nos racines, qui subissent depuis des années les attaques et critiques d’extrémistes s’obstinant à déconstruire notre histoire, notre identité. »

[3] L’adhésion du ministre de l’Intérieur à l’Action française demeure certes en question : s’il dément, des membres de la section lilloise de l’AF prétendent que Gérald Darmanin aurait participé aux activités de l’AF étant étudiant et même à un camp d’été annuel, nommé « Maxime Real Del Sarte » en hommage à l’un des chefs des Camelots du roi, groupuscule violent et factieux. Aucune preuve n’est cependant avancée par ces derniers. Cf. Nadia Sweeny, « G. Darmanin a-t-il milité à l’Action française ? », Politis, 5 février 2021.

[4] Pour des éléments de généalogie de cette opposition, initialement proposée par Charles Maurras, e