Littérature

Blaise Pascal ou l’esprit du paradoxe

Écrivaine

Ce 19 juin, Blaise Pascal a 400 ans. Dans notre époque dite de la « post-vérité » où chaque groupe est convaincu d’avoir absolument raison contre les autres, et alors que paraît une nouvelle édition de La Puissance des mouches, son autrice Lydie Salvayre redit pour AOC l’urgence de (re)lire les Pensées, leur profondeur, leurs intrications, leurs vacillements, leurs inquiétudes, leurs discordances et leurs éblouissants paradoxes.

Il n’est pas de pensée sans complexité, sans paradoxes, sans fulgurances ni vertiges.
Blaise Pascal, admirablement, le démontre.

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Il affirme que philosopher c’est se moquer de la philosophie puisque celle-ci se révèle impuissante, incertaine, et ne valant pas une heure de peine. Cependant ses Pensées sont regardées comme une des plus grandes œuvres philosophiques françaises.

Il participe dans sa jeunesse aux plaisirs prônés par ses amis libertins ; mais finit assez vite par mesurer la vacuité profonde de leur monde, et les exhorte à sortir d’une vie uniquement vouée à la recherche de plaisirs et ignorante de la foi.

Il pense que l’homme est ensemble bassesse et dignité ; qu’il est infini et qu’il n’est rien; qu’il est petit et misérable ; mais que sa grandeur est de le savoir.
Les uns, dit-il, ne voient que sa grandeur et s’en exaltent ; les autres ne voient que son mauvais fond et s’en désespèrent. Mais dans ces deux excès se perd la vérité.
Il a alors cette image devenue célèbre : « L’homme est un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. »

Il semble réprouver le divertissement auxquels se livrent les hommes afin d’oublier qu’ils sont mortels, et fait l’inventaire de tous les affairements, les agitations, les soucis, les jeux et tous les bruits et remuements auxquels ils se livrent, sans oublier les conflits, les tracas les plus pénibles, les entreprises les plus mauvaises et jusqu’aux guerres les plus meurtrières qu’ils entreprennent dans l’unique visée d’oublier leur finitude.
Ces divertissements les consolent-ils ? Sont-ils un remède pour contrer en eux des chagrins plus vastes ou pour les détourner de leur propre vide ?
Peut-être, mais ils ne font illusion qu’un moment ! Jamais ils ne pourront empêcher qu’advienne inexorablement ce dernier acte : c’est qu’on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais.

Il est passionné de physique et de mathématiques ; mais ne prête nullement à la raison le pouvoir que lui accorde son contemporain Descartes, et défend avec passion « l’ordre du cœur ». Il considère en effet qu’il est tout aussi vain de désavouer la raison que de ne croire qu’en son pouvoir, puisque celle-ci se révèle impuissante à gouverner nos choix comme à expliquer le mystère de la grâce. Devant sa faillite, il ne reste alors qu’à tourner notre cœur vers Dieu, car c’est le cœur qui sent Dieu et non la raison.

Il constate que la justice sans la force est impuissante, mais que la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée ; il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort et que ce qui est fort soit juste.

Il dit que le plaisir d’aimer a ses peines. Mais qu’il a aussi ses douceurs.

Dans son Discours sur la Condition des Grands qu’il destine au jeune fils du duc de Luynes, il rappelle que le pouvoir n’est en rien le reflet des qualités d’une âme, ni la conséquence d’une supériorité morale ; mais précise que le peuple, pour qu’il accepte d’être gouverné, devra ignorer ce secret, et le puissant, en retour, devra satisfaire sa concupiscence

Il loue la puissance de l’imagination, cette part splendide de l’homme qui se plaît à dominer et contrôler la raison son ennemie ; mais il la sait aussi maîtresse d’erreur et de fausseté.

Il est profondément compassionnel et plein de pitié chrétienne pour les pauvres et les démunis ; mais n’hésite pas à stigmatiser avec une virulence rare les religieux hypocrites qui, uniquement soucieux des convenances, enlèvent à la pensée chrétienne sa force et son tranchant

Il s’indigne devant le relâchement de la morale ; mais croit en la miséricorde divine devant les faiblesses humaines, miséricorde qui remplit l’âme des hommes d’humilité, de joie, de confiance et d’amour

Il observe que tous les hommes se haïssent naturellement l’un l’autre, et qu’ils se haïssent eux-mêmes ; mais considère qu’ils peuvent et doivent s’aimer pour autant qu’ils se défient de la tyrannie de leur amour-propre

On le voit bien, il n’est pas, pour Pascal, de pensée rectiligne.
Il n’est pas de pensée n’ayant qu’un point de vue et aveuglément assurée que celui-ci est le seul véridique.
Il n’est pas de pensée qui ne combine des critères multiples et parfois opposés.
Il n’est pas de pensée qui ne fasse son miel de vérités contradictoires.
Il n’est pas de pensée qui ne tienne compte de l’infinie complexité de l’esprit et des choses.
Il n’est pas de pensée qui ne fasse trembler les certitudes les plus affirmées et ne fasse jaillir de nouvelles hypothèses.

Dans notre époque dite de la post-vérité où chaque groupe est convaincu d’avoir absolument raison contre les autres, il me semble urgent de relire ces Pensées pascaliennes, leur profondeur, leurs intrications, leurs vacillements, leurs inquiétudes, leurs discordances et leurs éblouissants paradoxes.


Lydie Salvayre

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