Sport

Coupe du Monde de rugby : Macron dans la mêlée

Journaliste

La France ouvre ce 8 septembre une séquence sportive historique qui va la voir en l’espace d’une année accueillir la Coupe du monde de rugby à XV et les Jeux olympiques. L’enjeu est immense en termes d’image mais également de crédibilité un an après la gabegie de la finale de la Ligue des champions à Saint-Denis. Il ne fait aucun doute que la récupération politique sera au rendez-vous pour un exécutif qui traverse le pouvoir comme un champ d’affrontements et n’a donc que peu d’occasions de cultiver la concorde. Reste à savoir dans quelles proportions.

La volige du présent a ceci de pratique qu’elle ne s’embarrasse pas des gravats du passé. Ce vendredi soir, au milieu d’un parterre de notables et autres pontes vénérables, Emmanuel Macron donnera avec la fierté non feinte du coq français le coup d’envoi de la 10ème Coupe du monde de rugby, à l’endroit même où il y a un peu plus de quinze mois la République avait atteint des sommets d’incompétence et de mensonge en étant tout près de transformer une finale de Ligue des Champions ramassée à la roulette russe en Saint-Barthélemy des temps néolibéraux.

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A l’heure de la pompeuse ouverture il faudra également se souvenir qu’au printemps dernier, alors que le forceps ayant servi à l’extraction de la réforme des retraites était encore chaud, le chef de l’Etat, loin de ses standards arrogants et provocateurs, avait dû se résoudre à se glisser entre le mur et la tapisserie pour assister à la finale de la Coupe de France de football sans essuyer une bordée de sifflets alors qu’une marée de cartons rouges ne demandait qu’à l’engloutir. Depuis, le naturel a pu reprendre son « goulot », dans le contexte il est vrai moins populaire du rugby, le « gars d’Amiens » s’étant laissé aller à avaler une bière cul sec dans le vestiaire du Stade Toulousain à l’issue de la finale du Top 14.

Peut-être un président de la République ne devrait-il pas faire ça, constatons simplement que celui-ci aime à s’inviter dans ces mirages que sont les stades, miroirs magiques de la réalité où de vrais héros encourent de fausses raclées. Une façon peut-être d’écrire sa propre histoire, de faire le storytelling de son règne jupitérien, dont la deuxième étoile décrochée en 2018 par les Bleus dans la noirceur annonciatrice du ciel moscovite fut finalement le seul instant de grâce.

L’apolitisme du sport est un mythe. « A un certain niveau, le sport n’a plus rien à voir avec le fair-play (…), ce n’est plus qu’une guerre sans coup de feu », disait George Orwell.

« C’est une très mauvaise idée de politiser le sport », déclarait pourtant le locataire de l’Elysée à la veille d’une Coupe du monde au Qatar très décriée mais dont on n’avait pas imaginé qu’elle puisse donner de grandes idées au voisin saoudien. Déclaration opportuniste de la part d’un homme aux responsabilités qui sait, bien sûr, mieux que quiconque que les grandes compétitions opposant des nations sont éminemment politiques. L’apolitisme du sport est un mythe. « A un certain niveau, le sport n’a plus rien à voir avec le fair-play (…), ce n’est plus qu’une guerre sans coup de feu », disait George Orwell.

La course aux lauriers va offrir aux uns l’occasion d’affirmer leur puissance, aux autres de se faire une place sur l’échiquier géopolitique, à certains de détourner les regards d’une situation intérieure dégradée sur le plan des droits de l’Homme, et aux pays hôtes, bien sûr, d’afficher leur grandeur, voire de servir leur récit national(iste) à la planète. Les exemples sont légion. Mais le message peut également être orienté vers sa propre population afin de faire vibrer la fibre patriotique, la victoire étant alors utilisée comme un ciment citoyen. Souvenons-nous de Jacques Chirac en 1998. Il n’est donc point nécessaire d’en rajouter dans l’attitude au risque de se retrouver en position de hors-jeu. Une question de politesse républicaine.

Mais ne vous méprenez pas, expliquer aux Bleus en partance pour la Russie qu’« une compétition est réussie quand elle est gagnée » ça n’est pas politiser le sport.

Descendre sur la pelouse pour consoler Kylian Mbappé après une finale perdue ça n’est pas politiser le sport.

Imposer un discours au cœur d’un vestiaire dévasté par la défaite et le ponctuer d’un tonitruant « Vive la République, vive la France » ça n’est pas politiser le sport.

Glisser à l’oreille d’un adolescent, lors d’un voyage officiel, qu’on va faire son possible pour retenir Mbappé à Paris ça n’est pas politiser le sport.

Et tancer les athlètes tricolores rentrant des Jeux pandémiques de Tokyo de « faire beaucoup plus » à Paris ça n’est pas politiser le sport. Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais.

Dès l’attribution des JO à Paris, qui intervient quelques semaines seulement après l’entrée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, l’objectif un brin soviétisant de 80 médailles est ainsi fixé à la ministre des Sports de l’époque, l’ancienne escrimeuse Laura Flessel, montée à cinq reprises sur le podium olympique et qui en connaît donc le prix. Pour étayer ce glorieux dessein l’Agence nationale du sport est créée en 2019 puis le plan « Ambition bleue » lancé en 2020, enfin, en 2022, onze entités sportives, dont le ministère dédié, portent collectivement le dispositif « Gagner en France » visant à faire de ces Jeux à domicile un triomphe romain. Le Président évoque une fumeuse « cordée sur sport », dont il serait naturellement le premier. On imagine déjà le tableau : un été 2024 passé à compter et recompter les médailles au quotidien et à la fin, comme naguère avec l’Allemagne, c’est la France de Macron qui gagne.

Aussi la contre-performance des athlètes français aux derniers Mondiaux de Budapest n’est-elle pas passée en haut lieu. Dès la semaine suivante, les responsables de l’athlétisme tricolore ont été convoqués par la ministre Amélie Oudéa-Castera, qui réclamait des explications. Celles-ci sont pourtant toutes simples : nonobstant la communication et l’empilement de structures, les crédits de la performance continuent à manquer (combien de jeunes prometteurs jettent l’éponge faute de moyens pour s’entraîner ?) et l’Education nationale néglige toujours le sport. Faut-il rappeler cette phrase prononcée en 2020 par Roxana Maracineanu, la prédécesseuse de Oudéa-Castéra ? « Le sport ne sera pas prioritaire dans notre société. » Mais voilà qu’il le devient à un de la grande échéance. Or on ne gagne pas une course de fond en sprintant au dernier moment, sauf à faire avaler une potion magique à tout le monde.

En attendant, il y a une Coupe du Monde de rugby disputée à domicile à gagner, challenge raté en 2007 sous Nicolas Sarkozy. Ce 8 septembre, le Stade de France est donc l’écrin de circonstance qui accueille au champagne l’élite, le gratin, la crème, la fine fleur du pays, à moins qu’il s’agisse juste des gagnants de la mondialisation, pour ce qui s’apparente à une répétition générale. Cela vaut bien sûr pour la sécurité et les drones « darmaniens », les transports mais également l’hospitalité réservée aux visiteurs, avec un logement atteignant des prix ahurissants dans les villes hôtes de la compétition, sorte d’échauffement avant l’open bar qui se profile l’été prochain à Paris. Mais comme dit le proverbe qatarien, qui peut le plus peut le plus.

Il n’y a pourtant pas de quoi pavoiser avec cette Coupe du Monde de rugby car cela tient du miracle si la cabane ne s’est pas effondrée entretemps sur le chien. Résumé des épisodes précédents. A l’origine, la France n’a pas les faveurs de la fédération internationale (World Rugby) pour l’organisation de l’édition 2023. L’Afrique du Sud et l’Irlande lui sont préférées. C’est alors que l’omnipotent Bernard Laporte entre en scène. L’ancien secrétaire d’Etat sous Nicolas Sarkozy, pas encore chroniqueur chez Cyril Hanouna, se déclare candidat à l’élection à la présidence de la Fédération française de rugby (FFR). Après une campagne toute en nuances, au cours de laquelle il compare la présidence de Pierre Camou à la Corée du Nord, Laporte atteint son objectif en décembre 2016 et, dans la foulée, intègre le comité exécutif de World Rugby. Moins d’un an plus tard, la France est contre toute attente désignée pays hôte de la Coupe du Monde 2023. C’est pourquoi Laporte considère que c’est « sa » Coupe du Monde.

Depuis, le bienfaiteur de la nation a été réélu à la tête de la FFR mais également condamné, en 2022, par le tribunal correctionnel de Paris à deux ans de prison avec sursis, deux ans d’interdiction d’exercer toute fonction en lien avec le rugby et 75 000 euros d’amende, pour « corruption passive », « trafic d’influence », « prise illégale d’intérêts », « recel d’abus de biens sociaux » et « abus de biens sociaux », dans l’enquête sur ses relations avec Mohed Altrad, le patron du groupe éponyme de BTP, sponsor maillot de l’équipe de France. Après avoir fait appel de sa condamnation (lequel est toujours en cours), Bernard Laporte quitte d’abord son siège de vice-président de World Rugby avant de se mettre en retrait de la FFR, conformément à la demande du comité d’éthique du rugby français et au souhait d’Amélie Oudéa-Castéra, ce qui constitue, à raison ou à tort, un flagrant délit d’ingérence du pouvoir dans la sphère associative. Les fédérations doivent certes être agrées pour être reconnues par l’Etat mais elles sont aussi censées exercer leur activité en toute indépendance dans le cadre de la loi 1901. En as du cadrage-débordement Laporte tente, toutefois, de garder le titre de président sans ses prérogatives. Au temps de sa splendeur, il s’était bien vu confier un portefeuille au gouvernement Fillon I, avec report exceptionnel de prise de fonctions, alors qu’il était le sélectionneur des Bleus, en pleine préparation de la Coupe du Monde 2007, acmé de la confusion des genres qui nous avait valu la fameuse lecture de la lettre de Guy Môquet – « Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé, je vais mourir ! » – dans le vestiaire tricolore avant le match d’ouverture contre l’Argentine, laquelle avait plombé le groupe émotionnellement. Mais la jurisprudence ne fonctionnera pas et Laporte devra in fine se résoudre à la démission.

Cette Coupe du Monde a également perdu en route le directeur général de son comité d’organisation, Claude Atcher. Ce proche de Laporte s’était d’abord vu confier par ce dernier la supervision de la candidature #France2023 avant d’être promu capitaine du navire. Mais rattrapé par des témoignages dénonçant son management brutal et objet d’une saisine de l’Inspection du travail à la demande du ministère des Sports (décidément !), il sera lui aussi contraint à la démission. Atcher, dont on vient d’apprendre qu’il avait racheté à World Rugby l’exclusivité du programme hospitalités (loges, salons, restauration, VIP) de cette Coupe du Monde à un prix exorbitant (deux à trois fois l’enveloppe que proposaient l’Afrique du Sud et l’Irlande), une opération non rentabilisable, qui au lieu de rapporter de l’argent au rugby français va lui en coûter, soit autant de ruissellement en moins pour le secteur amateur. Laporte, Altrad, Atcher mais encore Serge Simon, ancien président du syndicat des joueurs de rugby français, tout ce beau linge aura connu les joies de la garde à vue au sein de la Brigade de répression de la délinquance économique et subi un interrogatoire sur les conditions d’attribution de ce Mondial.

Aussi les photos de la visite d’Emmanuel Macron au Centre national du rugby de Marcoussis à l’automne 2021 ont-elles par la force des événements pris un petit coup de vieux. Ce jour-là, le président de la République était venu, à l’invitation de la FFR, non pas lire aux Bleus la lettre de Guy Môquet mais, plus modestement, leur parler de son propre itinéraire et leur prodiguer quelques conseils dans l’optique de 2023. L’illustre consultant, qui choisira quelques mois plus tard le même lieu pour lancer son pédantesque Conseil national de la refondation, à l’acronyme cravaté sans vergogne à l’Histoire, avait conclu son intervention par ces mots : « N’oubliez jamais que vous portez les couleurs d’un très grand pays. Ce pays qui nous dépasse, les couleurs qui sont les nôtres et le collectif que vous représentez, c’est aussi ce qui doit vous conduire à vous transcender. C’est cette part d’idéal qui, à un moment, doit vous porter. » Lundi dernier, pour la traditionnelle visite présidentielle au camp de base des Bleus, la nuance était à nouveau de mise : « Vous serez des frères d’armes qui se battront jusqu’à la dernière seconde (…). L’équipe est plus grande, la nation est plus grande que chacun d’entre vous. » Allons enfants…


Nicolas Guillon

Journaliste

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