Hommage

Mon souvenir de Charles Piaget

Écrivain, Journaliste

Mort le 4 novembre à l’âge de 95 ans, Charles Piaget fut la figure emblématique des Lip, ces ouvrières et ouvriers d’une usine de montres de Besançon dont la grève, inédite, marqua la France des années 1970. Sélim Nassib, journaliste engagé qui participa au mouvement, lui rend hommage.

Mai 1973. Pour me distraire un instant du Proche-Orient qui m’accapare, Politique Hebdo m’envoie à Besançon couvrir la grève de l’usine horlogère Lip.

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L’hôtel n’étant pas dans les moyens d’un hebdomadaire d’extrême-gauche, je me pointe vers dix heures du soir à la seule adresse qu’on m’a donnée, celle de Jean Raguénès, prêtre dominicain de gauche qui, à ma stupéfaction, se lève de son lit pour me l’offrir – ce que je refuse en rougissant. On s’assied et on parle.

Il me raconte que les ouvriers de l’usine (on disait les Lip) ont pris en otage un stock de quelque 56 000 montres pour faire pression sur les patrons et empêcher les licenciements. Plein du souvenir phantasmé d’un Mai 68 vécu seulement depuis Beyrouth, je lui demande: « Pourquoi vous ne les vendez pas pour vous payer ? ». Il se gratte la tête un instant avant de répondre : « Viens, on va en parler à Charles ! ». En chemin, il alerte un certain nombre de camarades et nous nous retrouvons à six ou sept, au milieu de la nuit, chez un Charles Piaget tiré du lit.

Son complice Raguénès lui expose l’idée, Piaget baisse le front et fronce les sourcils, il rumine sa réponse, cherche ses mots, demande aux camarades présents la faisabilité de la chose. Très vite, la décision est prise. Dans le rôle du journaliste-révolutionnaire-rejoignant-le camp-du-prolétariat, je me retrouve intégré au petit groupe qui va déménager le fameux stock de montres. Piaget lui-même scie les uns après les autres les petits cadenas des compartiments où le butin est enfermé. Nous formons ensuite une chaîne humaine se passant de main en main les plateaux de velours sur lesquels les précieuses montres sont alignées. A l’arrivée, Jean Raguénès les range délicatement… dans un camion à ordures. Alors que l’aube pointe, il se met au volant et démarre vers certains couvents complices de la région.

Le lendemain, je saute dans ma vieille Renault pourrie et file jusqu’à Paris. Hélas, à l’arrivée, en dépit de l’enthousiasme révolutionnaire q


Sélim Nassib

Écrivain, Journaliste