Culture

Pour mieux protéger la liberté artistique

Économiste

À la banalisation des attaques et restrictions à la liberté artistique, la réponse de la République française a été de renforcer son appareil législatif (à travers la loi de 2016 « Liberté de la création, architecture, patrimoine »). Mais cette judiciarisation s’avère pourtant incapable de répondre à la promesse de sérénité espérée pour la liberté artistique : pour qu’elle ne reste pas une abstraction sans densité démocratique et à faible portée pratique, l’alternative est politique.

Une exposition de photographies consacrées à la vie des Roms expulsés de leur logement devait se dérouler dans la médiathèque d’une ville de l’estuaire de la Gironde. Elle a été interdite par le maire (sans étiquette) avec l’argument que les habitants de sa ville « ne vont pas s’intéresser » à une exposition consacrée à des événements qui se déroulés dans une lointaine ville de la région parisienne ![1]

C’est à peine si l’on s’étonne d’un tel interdit municipal, tant les attaques, censures et autres restrictions à la liberté artistique se sont banalisées au point de faire partie de notre actualité quotidienne. Elles sont s’y récurrentes qu’elles ont même un musée à Barcelone où nombre d’œuvres censurées sont présentées pour nous rappeler la question non résolue : face à l’ampleur des réactions hostiles, comment nos démocraties peuvent-elles un peu mieux protéger la liberté artistique ?

publicité

La réponse de la République française a été, principalement, de renforcer son appareil législatif. Toutefois, à l’épreuve du quotidien, les failles sont trop béantes pour s’en satisfaire. Face aux tourments du monde, une autre voie est nécessaire pour que la liberté d’expression artistique ne reste pas une abstraction sans densité démocratique et à faible portée pratique.

Protéger par la loi, la judiciarisation et la création artistique

Remontons à l’année 2016. La loi Liberté de la création, architecture, patrimoine (LCAP) avait pour objectif de garantir la protection des artistes contre les attaques d’ennemis de plus en plus nombreux à la recherche d’œuvres à détruire. La ministre de la Culture, Fleur Pellerin, s’est fait l’écho de ces dégradations massives : « Des œuvres saccagées, vandalisées, barbouillées de messages antisémites ou repeintes ; des spectacles annulés, des films pourchassés par la vindicte de quelques-uns, ou des artistes décrits comme des fainéants que l’on voudrait employer à garder des enfants. C’est ce climat qu’ont aujourd’hui à subir les artistes et


[1] Voir article Sud Ouest.

[2] Nathalie Heinich, sociologue, tribune « Une dérive de la notion de « liberté de création » », Libération, 28 février 2016 ; et tribune « La “cancel culture” est la conséquence du sous-développement juridique nord-américain », Le Monde, 7 août 2020.

[3] Voir la jurisprudence rappelée par Arnaud Montas.

[4] Voir la tribune du 16 juin sur « La liberté d’expression est en danger et les programmations de spectacles se font sous haute tension », signée par plus de soixante-dix signataires – avocats, juristes, artistes, élus, prêtres, responsables associatifs et culturels et publiée dans Le Monde et Télérama.

[5] Voir notamment le cas Depardieu.

[6] Voir l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques – PIDCP.

[7] Les lois NOTRe (2015), LCAP (2016), CNM (2019) et Bibliothèques (2021).

[8] Arnaud Montas, op.cit : « Il y a là quelque ironie à constater que l’autonomie de la liberté de création artistique a entraîné son recul dans la hiérarchie des normes ; en tant que déclinaison spéciale de la liberté d’expression, la création artistique était protégée par la Constitution et le droit européen ; en tant que règle autonome, elle ne l’est désormais plus que par la loi (ce qui n’empêche cependant pas le juge d’invoquer l’article 10 de la convention européenne). »

Jean-Michel Lucas

Économiste, Président du Laboratoire de transition vers les droits culturels

Mots-clés

Démocratie

Notes

[1] Voir article Sud Ouest.

[2] Nathalie Heinich, sociologue, tribune « Une dérive de la notion de « liberté de création » », Libération, 28 février 2016 ; et tribune « La “cancel culture” est la conséquence du sous-développement juridique nord-américain », Le Monde, 7 août 2020.

[3] Voir la jurisprudence rappelée par Arnaud Montas.

[4] Voir la tribune du 16 juin sur « La liberté d’expression est en danger et les programmations de spectacles se font sous haute tension », signée par plus de soixante-dix signataires – avocats, juristes, artistes, élus, prêtres, responsables associatifs et culturels et publiée dans Le Monde et Télérama.

[5] Voir notamment le cas Depardieu.

[6] Voir l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques – PIDCP.

[7] Les lois NOTRe (2015), LCAP (2016), CNM (2019) et Bibliothèques (2021).

[8] Arnaud Montas, op.cit : « Il y a là quelque ironie à constater que l’autonomie de la liberté de création artistique a entraîné son recul dans la hiérarchie des normes ; en tant que déclinaison spéciale de la liberté d’expression, la création artistique était protégée par la Constitution et le droit européen ; en tant que règle autonome, elle ne l’est désormais plus que par la loi (ce qui n’empêche cependant pas le juge d’invoquer l’article 10 de la convention européenne). »