écologie

Sans comique nos futurs s’effondrent

Chercheur en Lettres

Le comique a-t-il une place au milieu des défis sérieux et anxieux de nos temps d’effondrement ? Peut-on sauver l’ironie de sa capture corrosive dans des attitudes cyniques et confusionnistes ? Du burlesque au carnavalesque en passant par l’ironique, les modalités du comique peuvent accompagner notre navigation dans les eaux troubles du présent.

Sonné par une mauvaise chute à vélo sous un taux alcoolémique non conventionnel, l’anonyme auteur du flamboyant manifeste En avant pour la révolution biohardcore ! se retrouve allongé dans une usine en ruine et débite à moitié conscient quelques-unes de ses réflexions visionnaires : « Même l’intelligence instinctuelle, chamanique, animale, somme toute nous fatigue : nous voulons en finir avec l’intelligence, nous voulons l’intéressante fatigue du déploiement végétal. Effondrement – écroulement : il n’y a rien là-dedans qui soit explosif ni donc de l’ordre du rire, n’est-ce pas ? Plutôt de l’ordre de la grâce ; fini de rire : la grâce de la lenteur de l’éboulis ».

publicité

Fini de rire, vraiment ? La verve comique est-elle une si mauvaise stratégie pour naviguer par temps de délitements ? Le contenu semble faire un croche-pied à son contenant dans le récit d’Antoine Boute Opérations biohardcores (2017), d’où ce passage est tiré et dont le registre narratif global vibre d’un humour irrévérent. En guise de mise en abyme, le monologue du personnage pose la question stylistique fondamentale du texte, celle de la compatibilité entre approche comique et visées écologiques, qui mérite d’être analysée plus attentivement.

En décembre dernier, le compte Tweeter @CobraTate – un panzer des réseaux sociaux, au compteur 8 millions de followers – cherche la bagarre par posts interposés avec un autre poids lourd de la communication connectée (5 millions et demi de personnes abonnées), @GretaThunberg. Vue l’importance des internautes impliqués, l’histoire de leur échange a fait rapidement le tour des médias et demeure emblématique. Vous en aurez peut-être entendu parler, du moins de loin. La résumer, ici, par une brève analyse constitue un bon point de départ pour explorer quelques contrées de la question mentionnée, celle des liens entre rire et écologie.

Il s’agit d’un terrain théorique et politique moins galvanisé que d’autres qui, à l’instar de la science-fiction, se sont imposé


[1] Voir, par exemple, des essais comme : Yannick Rumpala, Hors des décombres du monde. Écologie, science-fiction et éthique du futur, Champ Vallon, 2018 ; Ariel Kyriou, Dans les imaginaires du futur : entre fins du monde, IA, virus et exploration spatiale, Éditions ActuSF, 2020 ; Zoë Sophia, Exterminer les fœtus. Avortement, désarmement, sexo-sémiotique de l’extraterrestre, Excès/ L4 bouche, 2022.

[2] Voir le dernier numéro (n° 79) de l’importante revue Terrain consacré aux « Futurofolies » sous la direction de Emmanuel Grimaud et Julien Wacquez.

[3] Ses postures trouvent leur place dans le spectre des déclinismes décortiqués récemment par Alain Roy, Les déclinistes. Ou le délire du « grand remplacement », Écosociété, 2023

[4] Voir son livre : Pétromasculinité Du mythe fossile patriarcal aux systèmes énergétiques féministes, Wildproject, 2023. Les propos cités sont tirés de l’entretien « Pour une lecture féministe du déni climatique » avec Ballast (17/7/2023).

[5] Nelly Quemener, « Que reste-t-il de nos humours ? À la recherche d’un rire de gauche », Revue du Crieur, 2023, n° 22.

[6] Franco « Bifo » Berardi, Disertate, Palermo, Timeo, 2023.

[7] Ursula Le Guin, « Théorie de la fiction-panier », Terrestres, 14 octobre 2018.

[8] Joseph W. Meeker, The comedy of survival. Literary ecology an play ethic [1972], Tucson, University of Arizona Press, 1997.

[9] Henri Bergson, Le Rire, [1940], Puf, 1989.

[10] Nous nous référons à la situation décryptée par Barbara Stiegler, « Il faut s’adapter » : Sur un nouvel impératif politique, Gallimard, 2019.

[11] Emma Bigé, Mouvementements. Écopolitiques de la danse, La Découverte, 2023.

[12] Gianni Celati, « Il corpo comico nello spazio », in Marco Belpoliti et Marco Sironi (éd.s), Gianni Celati, Riga extra, Milano, Marcos y Marcos, 2008.

[13] A. M. Glittliz, « Posadas, le trotskyste qui croyait au communisme intergalactique », Contretemps, 6 mars 2021.

[14] Donna Haraway, Manifeste cyborg et autres essais. Sciences-Fictions-Feminisme

Jacopo Rasmi

Chercheur en Lettres, maître de conférences en arts visuels et études italiennes à l'Université Jean Monnet (Saint Etienne)

Mots-clés

Anthropocène

Notes

[1] Voir, par exemple, des essais comme : Yannick Rumpala, Hors des décombres du monde. Écologie, science-fiction et éthique du futur, Champ Vallon, 2018 ; Ariel Kyriou, Dans les imaginaires du futur : entre fins du monde, IA, virus et exploration spatiale, Éditions ActuSF, 2020 ; Zoë Sophia, Exterminer les fœtus. Avortement, désarmement, sexo-sémiotique de l’extraterrestre, Excès/ L4 bouche, 2022.

[2] Voir le dernier numéro (n° 79) de l’importante revue Terrain consacré aux « Futurofolies » sous la direction de Emmanuel Grimaud et Julien Wacquez.

[3] Ses postures trouvent leur place dans le spectre des déclinismes décortiqués récemment par Alain Roy, Les déclinistes. Ou le délire du « grand remplacement », Écosociété, 2023

[4] Voir son livre : Pétromasculinité Du mythe fossile patriarcal aux systèmes énergétiques féministes, Wildproject, 2023. Les propos cités sont tirés de l’entretien « Pour une lecture féministe du déni climatique » avec Ballast (17/7/2023).

[5] Nelly Quemener, « Que reste-t-il de nos humours ? À la recherche d’un rire de gauche », Revue du Crieur, 2023, n° 22.

[6] Franco « Bifo » Berardi, Disertate, Palermo, Timeo, 2023.

[7] Ursula Le Guin, « Théorie de la fiction-panier », Terrestres, 14 octobre 2018.

[8] Joseph W. Meeker, The comedy of survival. Literary ecology an play ethic [1972], Tucson, University of Arizona Press, 1997.

[9] Henri Bergson, Le Rire, [1940], Puf, 1989.

[10] Nous nous référons à la situation décryptée par Barbara Stiegler, « Il faut s’adapter » : Sur un nouvel impératif politique, Gallimard, 2019.

[11] Emma Bigé, Mouvementements. Écopolitiques de la danse, La Découverte, 2023.

[12] Gianni Celati, « Il corpo comico nello spazio », in Marco Belpoliti et Marco Sironi (éd.s), Gianni Celati, Riga extra, Milano, Marcos y Marcos, 2008.

[13] A. M. Glittliz, « Posadas, le trotskyste qui croyait au communisme intergalactique », Contretemps, 6 mars 2021.

[14] Donna Haraway, Manifeste cyborg et autres essais. Sciences-Fictions-Feminisme