Emmanuel Macron dispensé de sport
Jupiter est omniscient. Dieu des dieux, gouverneur souverain du ciel et de la terre, dispensateur des biens, il garde un droit de regard sur toute chose, du secret d’un vestiaire au plan de carrière de Kylian Mbappé en passant par la pommette d’Antoine Dupont.
Espérés comme têtes de gondole sur la Seine dans six mois, ni l’un ni l’autre n’étaient, toutefois, présents dans la Halle Maigrot de l’INSEP pour la présentation des vœux présidentiels au monde du sport, énième verbiage entre l’inventaire en mode autosatisfecit et le prêchi-prêcha managérial, faisant fi du tout frais rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements des fédérations. Entre deux réunions de parents d’élèves à l’école Stanislas, Amélie Oudéa-Castéra avait pris soin de ranger le dossier au fond d’un tiroir, dénigrant un rapport « militant » et « instrumentalisé à des fins politiques ».
« Nous sommes (serons) au rendez-vous », fut le refrain de la chanson du jour. Au rendez-vous de l’exigence du CIO (Comité international olympique). Au rendez-vous de la sécurité. Au rendez-vous des transports. Au rendez-vous de l’accessibilité. Au rendez-vous des livraisons d’équipements. Au rendez-vous de l’écologie. Au rendez-vous d’un budget maîtrisé. Au rendez-vous de l’exemplarité sociale. Au rendez-vous de l’héritage. Et au rendez-vous sportif, s’entend. « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. C’est de l’Eluard », aurait dit le Normalien Georges Pompidou.
Semble-t-il pénétré de l’idée que tout ce qui arrive dans la vie du pays est le fruit de ses choix et de ses actions, Emmanuel Macron s’est surtout donné rendez-vous à lui-même en gageant sa fortune sur le cours de l’or olympique. « Le succès des Jeux de Paris ce sera celui de nos sportifs car ça marche comme ça, avait-il trivialement résumé en 2021 face aux médaillés de Tokyo, qui ne pensaient pas se faire enguirlander en rentrant à la maison. Les résultats sont là, mais des progrès restent possibles. Le bilan global de ces Jeux olympiques n’est pas tout à fait au niveau que nous attendions. Nous savons que sur certains sports, il est même mitigé. Et on ne peut construire une réussite si on ne se dit pas les choses. » De vous à moi. Ou plutôt de moi à vous. Et de préférence devant micros et caméras.
De cette génération ayant fêté ses vingt ans avec la fierté d’une victoire en Coupe du Monde – l’été 98, « moi, je m’en souviens très bien » – et franchi le cap de la quarantaine dans un Twist again à Moscou, le boxeur amateur de l’Elysée s’attache depuis à entretenir l’illusion que la France est une grande nation sportive, du moins qu’elle l’est devenue en trois ans, comme si Rome s’était faite en un jour.
Effacée d’un coup d’éponge magique la « distorsion entre les ambitions sportives françaises et la politique menée par le gouvernement », dénoncée il n’y a pas si longtemps par le décathlonien Kevin Mayer. Balayée comme un rapport qui dérange la punchline récente du nageur médaillé d’or à Londres Florent Manaudou : « On n’est pas du tout un pays de sport ». Mayer et Manaudou : deux de nos plus grands champions paradoxalement peu mis en avant dans la marche sur Paris, à se demander s’ils ne seraient pas les victimes d’une jurisprudence Justine Triet, qui, pour avoir critiqué un « schéma de pouvoir dominateur de plus en plus décomplexé », n’a, contrairement à l’usage, pas reçu les compliments présidentiels pour sa Palme d’or à Cannes. Entouré de courtisans qui lui doivent tout, Emmanuel Macron semble mal supporter que certains considèrent qu’ils ne lui doivent rien.
« C’est un mouvement inarrêtable que nous avons créé grâce à ces Jeux olympiques et paralympiques », s’exalte le maître des horloges. Faut-il une nouvelle fois rappeler ces mots prononcés en 2020 par la ministre Roxana Maracineanu ? « Le sport ne sera pas prioritaire dans notre société. » Mais voici qu’il l’est devenu ! « Ce que nous avons commencé (…) et nous allons poursuivre, c’est de réancrer le sport dans la vie de la Nation. Et au fond, ce n’est pas qu’un slogan, c’est véritablement de se donner un objectif, c’est de monter la pratique sportive partout dans le pays parce que c’est un objectif de santé publique. » Un autre bouclier du réarmement, en quelque sorte. L’avenir dira si celui-là aussi était en carton-pâte.
A l’INSEP, l’inventeur du concept de « cordée du sport » a donc répété les objectifs : top 5 du classement olympique des nations et top 10 de son pendant paralympique. Cette projection il est allé la chercher chez Gracenote, une filiale de la société américaine Nielsen qui fournit des solutions de contenu, un peu comme le cabinet de conseil McKinsey fut missionné pour appuyer la campagne de vaccination contre le Covid-19. Depuis 2012, Gracenote compile des données pour établir un classement virtuel des médailles. Car, n’oubliez pas, l’olympisme, ça marche comme ça, en comptant les breloques. Or, selon les dernières prévisions, le bilan tricolore à Paris s’établirait à 27 médailles d’or, 15 d’argent et 9 de bronze, des chiffres qui ont dit au petit doigt présidentiel que « la France pourrait connaître ses meilleurs Jeux depuis 1900 ». Voilà donc la feuille de route. Sérieusement ?
Emmanuel Macron enfreint la règle sacrée du sport selon laquelle l’inspirateur qu’il prétend être disparaît derrière le collectif.
« Je ne veux pas mettre une pression excessive, renchérit le chef de l’Etat. J’en ai mis à chaque fois. Je continuerai d’en mettre. C’est la saine pression. » Jusqu’ici tout allait bien et puis, l’accident bête : au milieu de l’incontinence orale la parole de trop, qui, à écouter les experts, aurait tendance à indiquer que le coach de la France des winners ignore les principes de base de la réussite sportive.
Premièrement, il n’y a pas de saine pression, juste une saine émulation. Toute pression exercée sans en maîtriser les codes transforme la motivation en insécurité et, in fine, contrecarre les trésors d’efforts déployés au service de la performance jusqu’au sein des laboratoires du CNRS. L’injonction présidentielle vient inutilement accentuer l’énorme pression qui pèse déjà sur les athlètes français de par l’envie de bien faire à domicile devant leurs proches. « C’est une dimension supplémentaire qu’on est en train de travailler, expliquait récemment à Olympics.com Coline Régnauld, psychologue à l’INSEP. Cela consiste notamment à permettre aux athlètes de s’extraire de ce contexte pour rester bien centrés sur ce qu’ils doivent faire afin de ne pas se laisser happer par cet environnement qui va les bousculer ».
Le rôle indispensable du psychologue du sport est ici celui-ci d’un médiateur de sens car la course effrénée à la performance peut induire des vulnérabilités non négligeables, le perfectionnisme étant, comme chacun sait, l’ennemi de l’excellence. Trop souvent perçus comme des superhumains, les sportifs de haut niveau doivent faire preuve d’une force mentale peu commune pour se surpasser, mais cela ne va pas toujours de pair avec une bonne santé psychologique. Certaines études indiquent même que les athlètes sont plus à même de développer des troubles tels que la dépression, l’anxiété, l’anorexie ou l’addiction, uniquement parce que l’environnement du sport de haute performance est précisément un terrain d’inconfort. Nul besoin, donc, d’en rajouter.
Deuxièmement, comme l’avait déclaré en connaissance de cause la première ministre des Sports de l’ère macronienne Laura Flessel lors de son discours de janvier 2018, « la haute performance, ça ne se décrète pas, ça se construit. (…) La haute performance est un écosystème, qui repose sur un subtil équilibre de risque et de sérénité, et implique une myriade d’acteurs. » Autrement dit, la victoire tient à l’alchimie de composantes internes et externes tournées vers un objectif commun. Et s’il convient d’encourager le succès, l’échec n’est pas un gros mot, il a toujours une explication.
Troisièmement, en s’affichant régulièrement comme celui qui a donné l’élan – j’ai fait mon job, maintenant faites le vôtre – Emmanuel Macron enfreint la règle sacrée du sport selon laquelle l’inspirateur qu’il prétend être disparaît derrière le collectif. Si l’époque veut que, de plus en plus, l’abnégation n’est plus acceptée sur un mode sacrificiel mais à la condition que le collectif soit une ressource pour l’individu, le retour sur investissement n’exempte pas de l’effacement. Mais n’est pas Didier Deschamps qui veut.
On s’étonne du défaut d’analyse des médias spécialisés. Le sujet mériterait pourtant d’être creusé : le premier de cordée s’avèrerait-il être en réalité un piètre compétiteur, faisant courir à ses suiveurs le risque d’être entraînés dans sa chute comme les moutons de Panurge ? Par extension, serait-ce pour cette raison que ce président de la République rechigne tant à descendre dans l’arène politique pour croiser le fer, ne débattant le plus souvent qu’avec lui-même ? Que, face à l’adversité, il opte presque systématiquement pour la stratégie de l’évitement au mépris de la noblesse de la joute ? Nous laisserons les politistes trancher. En attendant, pour le triomphe jupitérien de l’été prochain, ce n’est pas gagné.