écologie

Couleurs de campagne

Autrice, cinéaste

En Suisse, on soutient une agriculture vivante, et souvent biologique. Au Japon, avant de manger, on remercie celles et ceux qui ont produit la nourriture, et les animaux et plantes qui ont été sacrifiés. En France, l’État cherche surtout à favoriser l’export, et démantèle sans ménagement les barrages de la Confédération paysanne. Il y a pourtant une vie en jachère qui subsiste, derrière ces champs brûlés par la chimie.

Crépuscule de février. Pas de neige, mais du roux partout, dans les fougères cuites par le gel, sur les branches nues des arbres, au fond des talus. Ici, c’est le Haut Forez, entre l’Auvergne et le reste du monde, une barrière de granit qui arrête la pluie et les touristes.

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Le ciel est couleur de kaki, comme les fruits épluchés et séchés que je viens de recevoir du Japon, des fruits que j’ai cueillis à l’automne et qui sont passés à travers les mailles de la douane. Là-bas aussi la montagne était rousse, rousse de guirlandes de kakis suspendues devant les fenêtres, de kakis accrochés aux arbres sans feuilles. Affamés par la sécheresse, les ours sont descendus dans les villages pour marauder. Alors un expert a décrété qu’il faudrait couper les arbres fruitiers pour éviter les intrusions. Après tout, il n’y a plus que des vieilles qui vivent à la campagne, il faut les protéger.

C’était dans le journal. C’est fou ce que les trucs dans le journal peuvent m’énerver. En rentrant en France, ça a continué. Il paraît que le Premier ministre veut aller le plus vite possible sur le dossier agricole. En ouvrant au passage les vannes des pesticides, des herbicides, s’il le faut. On a déjà passé la tronçonneuse sur les haies, pourquoi s’arrêter là ? Trop de vivant.

Il y a quelques années, une femme nouvellement arrivée par ici s’est arrêtée au bord de la route, toute excitée, devant un champ entièrement roux. Une couleur incroyable. Elle a sorti son appareil photo et elle a mitraillé. Quand quelqu’un lui a expliqué que le pré était de cette couleur parce que la chimie avait tout brûlé, elle a déchiré ses photos.

Au Japon j’ai rencontré des paysans qui essaient de travailler autrement, avec des abonnements, un peu comme les AMAP : pour une dizaine d’euros par semaine on peut avoir un panier de radis blancs, d’épinards, de chou, de feuilles de chrysanthèmes, de carottes et d’indigo. Contrairement à la plupart des producteurs dans les étroites bandes de plaine de part et d


Laurence Hugues

Autrice, cinéaste, Résidente de la Villa Swagatam (programme de l'Institut français en Inde, en partenariat avec la Fondation Eklavya)