Culture

Habiter le monde, habiter la création artistique : un pari pour le XXIe siècle

Directeur de l'Ircam

Posons une convergence pressante : l’habitabilité de la Terre, devenue incertaine, l’habitabilité de la création artistique dont on ne sait encore rien. Si la notion de territoire a été radicalement revisitée par l’anthropologie, la fabrique des mondes artistiques et des artefacts reste l’affaire irrésolue de la pensée écologique. Car ici les circuits courts et le localisme perdent toute valeur, sauf à faire de l’animation culturelle, le stade ultime de l’art.

Notre souci de l’habitabilité doit frayer son chemin entre les assignations culturelles exiguës donc désastreuses, et les industries culturelles planétaires donc normatives. « Je peux tout faire » proclame la techno-créativité, « je ne ferai pas tout » dit l’œuvre d’art qui a choisi ce qu’elle ne sera pas.

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Le pari de l’habitabilité d’un monde réel et d’un monde artistique considère ici trois moments historiques : l’éternité de Pascal, l’éternel retour de Nietzsche, « l’éternel départ » des transhumanistes qui rêvent d’immortalité, quitte à avoir définitivement réglé son compte à toute la planète.

Il y a moins de 400 ans, sous l’intitulé radical « infini-rien », Blaise Pascal formulait son pari de l’existence de Dieu, pour gagner l’éternité. Pesant les risques de gains et de pertes, il utilise un argument mathématique et philosophique : miser une vie finie en vue d’un bonheur infini mais incertain. En 2024, que pourrait être le pari du présent et du devenir préservés, où l’essentiel n’est pas de participer mais bien de l’emporter ?

À chaque époque il y eut un monde en décomposition et un monde en devenir, selon les termes toujours choisis de Nietzsche. Pour ce qui est de la décomposition, les récits déclinistes pullulent. Il est plus ardu de détecter les signes d’un monde en devenir, donc d’entendre l’esprit du temps. Soutenir l’habitabilité du monde et de la création artistique, c’est présupposer l’hypothèse par ailleurs très fragile d’un humanisme du numérique, capable d’intégrer, d’infléchir le pouvoir de l’innovation ambiante. Notre pari va croiser immanquablement un protagoniste tenant un rôle-titre dans l’actualité, l’intelligence artificielle. On lui prête toutes les vertus et tous les maléfices, par un effet de symétrie entre messianistes et catastrophistes. Or les partisans de la coolitude technologique aussi bien que les éreinteurs de l’époque et de la technique, offrent peu de prises sur ce qui s’appelle précisément le présent.

Commençons dans le


[1] Parmi les penseurs stimulants du territoire, de l’écologie et du vivant, l’anglais Timothy Marton mobilisé par l’art et par les technologies, tient une place singulière par ses préoccupations que ne partagent pas la plupart des apôtres du vivant.

[2] Si Claude Debussy donne bien un titre à chacun de ses préludes pour piano, ainsi « Des pas dans la neige », « Feux d’artifice », l’intitulé est toujours noté à la fin de la partition. Il s’agit d’un prélude à l’image donnée, non pas de son illustration, encore moins de sa traduction musicale. Il n’y a pas de musique répondant à un descriptif langagier, il ne peut donc y avoir de « prompt to music ».

Frank Madlener

Directeur de l'Ircam

Rayonnages

Technologie Culture

Mots-clés

IA

Notes

[1] Parmi les penseurs stimulants du territoire, de l’écologie et du vivant, l’anglais Timothy Marton mobilisé par l’art et par les technologies, tient une place singulière par ses préoccupations que ne partagent pas la plupart des apôtres du vivant.

[2] Si Claude Debussy donne bien un titre à chacun de ses préludes pour piano, ainsi « Des pas dans la neige », « Feux d’artifice », l’intitulé est toujours noté à la fin de la partition. Il s’agit d’un prélude à l’image donnée, non pas de son illustration, encore moins de sa traduction musicale. Il n’y a pas de musique répondant à un descriptif langagier, il ne peut donc y avoir de « prompt to music ».