Société

De la culture du viol

Sociologue du théâtre

Avec pour personnages Gérard Depardieu, Benoît Jacquot et Jacques Doillon, la nouvelle saison en VF de ce qui peut aussi être analysé comme une série – #MeToo – offre l’occasion de s’interroger sur la difficulté à faire reconnaître la « culture du viol », et donc sur l’efficacité politique de cet outil conceptuel.

Depuis quelques semaines, on entend et lit beaucoup que l’heure de #Metoo aurait enfin sonné en France. Le récapitulatif des précédents épisodes invite à considérer cette affirmation avec quelque prudence, ou plutôt à noter les spécificités de la version française de cette production mondiale dont on ne sait plus trop qui a créé la version originale.

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Aux USA, le pilote a été lancé[1] en octobre 2017 avec l’hashtag #MeToo, quelques jours après le lancement, ici, de #balancetonporc, l’un et l’autre dans le sillage de l’affaire Weinstein (du nom du célèbre producteur d’Hollywood multi-accusé de viols et d’agressions sexuelles par des dizaines d’actrices, assistantes, journalistes).

Si l’intrigue est en partie la même et leur première date de sortie liée, les versions de #Metoo des deux pays diffèrent pourtant sur des points essentiels. Aux USA le mouvement a d’abord mis au cœur de son intrigue le milieu du cinéma, tandis qu’en France l’hashtag initial invitait à des développements tous milieux professionnels confondus. Surtout, alors qu’outre Atlantique la série #Metoo semble avoir emporté d’emblée l’adhésion médiatique, en France c’est plutôt sa critique qui a occupé le devant de la scène.

Cette contre-révolution[2] médiatique a débuté dès janvier 2018, avec la tribune du Monde signée par plus de cent femmes dont les noms évoquaient pourtant une féminité puissante et libre, parmi lesquelles Catherine Deneuve et Catherine Millet. Célébrant la « liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », le texte explicitait la ligne de partage qui a depuis structuré les débats hexagonaux sur les violences sexistes et sexuelles : « le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste. »

Trois ans plus tard, début novembre 2019, paraissait une longue enquête du journal Mediapart, titrée « #Metoo dans le cinéma : l’actrice Adèle Haenel brise un tabou ». Détaillant les accusations d’attouchements et de harcèlement sexuel de la comédienne Adèle Haenel à l’encontre du cinéaste Christophe Ruggia, l’article mettait aussi en lumière l’omerta ayant entouré les agissements du cinéaste, commis au vu et au su de tous sur les plateaux.

Le caractère minutieux de l’enquête, la quantité de témoins interrogés et plus que tout, la clarté de la parole de l’actrice et sa capacité à monter en généralité au-delà de son cas personnel pour éclairer la dimension systémique de ces violences sexuelles dans ce milieu et, au-delà, dans l’ensemble de la société, ont amené les commentateurs à voir là un tournant et un retournement de l’intrigue principale de la version française. Las, quelques mois plus tard, nouveau rebondissement en forme de retour en arrière, avec la deuxième partie de l’épisode Haenel et l’entrée en scène d’un autre personnage d’agresseur.

Début mars 2020, la cérémonie des Césars, qui voit le cinéaste Roman Polanski, par ailleurs multi-accusé de viols et agressions sexuelles, nominé 11 fois et sacré « meilleur réalisateur » pour son film ironiquement titré J’accuse, donne le spectacle d’une fin de non-recevoir d’un milieu du cinéma aussi gênant que gêné. Le silence et l’absence de réaction de la salle disent l’essentiel : le refus de changer d’heure et d’ère. Le final de cet épisode est resté dans les mémoires des téléspectateur.ices abasourdi.es. La grande Adèle s’est levée et s’est barrée, prononçant le seul mot doté du pouvoir de nommer la situation à défaut de la renverser : « la honte ! ».

Ont suivi plusieurs épisodes, éditoriaux ceux-là, qui ont fait pencher la balance de l’opinion de l’autre côté : après la tribune de Virginie Despentes, la publication du Consentement de Vanessa Springora et, un an plus tard, celle de La Familia grande de Camille Kouchner. Dans la foulée, d’autres hashtags ont fleuri (#Metoo inceste, #balancetoncirque, #Metoogay entre autres), actant que tous les milieux professionnels et sociaux sont concernés par ces violences et qu’elles s’inscrivent toujours dans la sphère du proche, à rebours de l’image d’Épinal du violeur psychopathe, étranger à la communauté et hors-la-loi sociale. Le milieu du cinéma est pour sa part resté majoritairement silencieux.

Ce qui nous amène à la saison 2023-2024, dont les scénaristes semblent hésiter sur la direction à donner à l’intrigue, plusieurs affaires répétant en version accélérée les précédents mouvements du balancier pro et anti #Metoo. Il y a eu l’affaire Depardieu d’abord, en deux épisodes elle aussi. Le scénario du premier, sorti au printemps avec l’enquête parue dans Mediapart (encore) au printemps 2023, reprenait de vieilles ficelles, entre inversion du happy end du premier épisode de l’affaire Haenel et plagiat de son épisode 2 : cette fois, les révélations du journal d’investigation sombrent dans le silence d’une indifférence quasi générale.

Rebondissement à l’automne, avec la diffusion du magazine Complément d’enquête qui divise les spectateurs : la scène montrant l’acteur tenir des propos obscènes à l’égard d’une fillette retourne l’opinion publique… mais pas l’ensemble du milieu du cinéma ni le discours étatique, comme en ont témoigné la prise de parole du Président Macron[3] et la tribune de soutien à l’acteur en fin d’année.

On ne sait trop comment nommer le dernier épisode en date, sorti début 2024 : finale d’une saison ou début d’une nouvelle ? Affaire Godrèche ou affaire Jacquot/Doillon ? S’il est trop tôt pour trancher, la tentation des médias d’y voir un « tournant », recyclant les titres utilisés pour qualifier l’affaire Haenel, peut en tout cas s’analyser comme la preuve que la règle du jeu de l’attention médiatique produit une inlassable illusion de table rase et un effet d’éternel recommencement. Quelques nouveautés toutefois, dont les plus notables ne sont pas tant la force et la clarté de la prise de parole d’une victime politisée – Haenel l’était, ô combien – que :

Le fait que cette politisation s’est effectuée en temps réel sous nos yeux en l’espace de quelques mois, depuis les premières prises de parole encore confuses de l’actrice devenue réalisatrice qui ne pouvait encore nommer son agresseur lors de la sortie de sa série Icon of French Cinema, jusqu’à son discours limpide aux Césars et son audition au Sénat. Demandant la création d’une commission d’enquête sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du cinéma, elle articule désormais tous les aspects du problème, démontrant à partir de son histoire personnelle et celle de ses prédécesseuses la responsabilité collective du secteur et l’impossibilité de séparer l’homme de l’artiste ou l’œuvre de son processus de création.

Le fait que cette politisation s’est faite en réaction à un autre fait inédit : comme l’a finement noté Laure Murat, l’exhumation du documentaire Les Ruses du désir de Gérard Miller interviewant complaisamment Benoît Jacquot, nous a donné pour la première fois un accès sans filtre non plus aux discours obscène (à la Depardieu) ou de dénégation (à la PPDA) qui occupaient jusqu’ici tout l’espace médiatique, mais au discours « du prédateur décomplexé » assumant posément non seulement avoir commis les actes, mais les avoir commis en pleine conscience et pleine jouissance de leur caractère transgressif et illégal.

Le fait que cet épisode, s’il a une héroïne principale, bouleverse par sa dimension chorale, la partition du coryphée Godrèche résonnant d’autant plus qu’elle est portée par un chœur de voix aussi puissantes et claires que la sienne, aussi vulnérables aussi : celles d’Anouk Grinberg, Anna Mouglalis, Charlotte Arnould, Manda Touré, Marie Lemarchand, Noémie Kocher[4], entre autres. Et, comme dans toute œuvre sonore, le silence importe tout autant que ce que l’on entend ; comme dans tout final, la disparition d’un personnage central le rend d’autant plus présent : le corps et la voix d’Adèle Haenel crèvent l’écran de leur absence.

Comme dit, il est impossible de prédire ce que seront les prochains épisodes/saisons de la série #Metoo VF. Il est en revanche possible de commenter le pitch de ceux déjà diffusés, et sa portée sociale et culturelle. La tentation et, j’ajoute d’emblée, l’erreur à ne pas commettre, seraient de considérer que cette série ne parle que du milieu du cinéma et ne révèlerait rien d’autre que la monstruosité de quelques individus et au mieux la monstruosité des monstres sacrés à travers eux des milieux artistiques.

Ces affaires sont exceptionnelles certes, et témoignent de l’immunité spécifique dont bénéficient les artistes, mais elles sont aussi exemplaires de l’impunité sociale dont bénéficient tous les hommes qui commettent de violences sexuelles. De fait, la palette de faits reprochés à ces artistes et celle des arguments mobilisés pour les défendre sont un concentré de la culture de l’excuse et des autres composants de la culture du viol.

Décollant des cas particuliers, je voudrais donc revenir sur les facteurs qui surexposent les milieux professionnels artistiques aux violences sexuelles, avant d’en venir dans un second temps au problème de fond que révèlent à mon sens ces affaires : la culture du viol. Car le problème, ce n’est pas le milieu du cinéma, c’est la culture du viol. Et dire que le problème, c’est la culture du viol, est une façon de nommer le fait que nous baignons encore et toujours et souvent sans le voir ou le savoir, dans la culture du viol, mais c’est aussi évoquer le problème que pose à mon sens cette expression, qui vise à nommer l’ensemble des mécanismes de normalisation, d’euphémisation et d’érotisation des formes de violences commises par les hommes dans les relations sexuelles et sentimentale, mais qui, parce qu’elle focalise l’attention sur le viol en tant que tel, n’est peut-être pas la plus adaptée pour nous faire sortir de notre aveuglement collectif en matière de violences sexistes et sexuelles.

Car le problème est que, si tout le monde est prêt à condamner ce qu’il reconnait comme viol, la plupart d’entre nous ne sait pas reconnaitre un viol, et ne condamne pas les violences sexuelles telles qu’elles sont dans l’immense majorité des cas.

La french touch de #Metoo : l’impunité spécifique des artistes auteurs de violences

Je commencerai par rappeler les différents facteurs qui contribuent à expliquer que ces secteurs professionnels soient surexposés à la commission d’actes de violences sexistes et sexuelles[5] et à comprendre pourquoi ils bénéficient d’une impunité et même d’une immunité spécifiques. Parmi les facteurs qui se cumulent et font système, il y a avant tout le fait que ces métiers vocationnels amènent à tolérer une grande précarité économique, laquelle constitue toujours un facteur de risque en matière de violences sexistes et sexuelles. Les rapports de domination y sont de plus très marqués et une confusion y demeure autorisée entre les procédures de sélection et des dynamiques de séduction, à rebours des normes et interdits qui se sont mis en place dans la plupart des milieux professionnels.

Autres facteurs qui se surajoutent, s’agissant du travail en tant que tel, les métiers artistiques reposent sur des connexions psychiques et physiques intenses entre interprètes (acteurs, danseurs, musiciens ou chanteurs), comme entre interprètes et réalisateurs ou metteurs en scène. Enfin, les temps et espaces de travail entretiennent souvent une forte porosité avec les temps et espaces de vie privée (tournées et soirées de promotion) dans des contextes souvent festifs et alcoolisés.

À tous ces facteurs qui se cumulent les uns les autres et font système s’ajoute un autre, décisif : la « culture de l’impunité » en matière de violences sexuelles, qui sévit dans l’ensemble de nos sociétés comme l’a souligné le Conseil de l’Europe[6], règne tout particulièrement dans ces métiers. Pourquoi ? Parce que le risque de sanction de ces actes est particulièrement faible pour les auteurs et le risque de récidive est donc particulièrement élevé.

Ce qui frappe, à la lecture ou l’écoute des récits des victimes mais aussi des témoins de l’affaire Depardieu, c’est la gradation et la dégradation progressive de comportements de l’acteur au fil des ans, à mesure que son sentiment de toute puissance de l’acteur a proliféré du fait des réactions ou plutôt de l’absence de réactions à ses actes et ses propos. Gérard Depardieu a avant tout bénéficié de ce dont bénéficient tous les hommes de pouvoir : la peur des représailles, qui explique que les victimes hésitent à parler et que les entourages professionnels refusent de les écouter et d’agir. Dire « ça va, c’est Gérard », selon l’étrange formule récurrente de cette affaire, est une façon de dédramatiser les actes mais surtout, pour ceux et celles qui l’emploient, de se dédouaner de leur inaction et de ne pas regarder en face les lâchetés individuelles et collectives.

Plusieurs actrices connues, Anouk Grinberg[7], Anny Duperey[8], Sophie Marceau ou encore la chanteuse Lio[9], ont ainsi décrit le climat de peur et d’humiliation qui régnait sur les plateaux et la gêne, mal masquée par des rires que l’acteur a entendus comme des encouragements. Une des actrices qui témoigne dans l’enquête de Mediapart raconte de même : « J’ai été agressée dans un environnement de travail, pas dans un coin isolé, mais sur le plateau. Il y avait tellement de témoins oculaires, y compris le réalisateur, qui était juste devant nous ! Personne n’a rien dit. Même quand je me suis plainte et que je me faisais crier dessus. Un silence de mort. »[10]

Depardieu a aussi bénéficié de ce dont bénéficient toujours les hommes qui commettent des violences sexistes et sexuelles, qu’elles soient psychologiques, verbales ou physiques : la tendance collective à euphémiser leurs mots et leurs actes (par exemple, dire « humour paillard » pour outrage sexiste ou « main lourde » pour agression sexuelle par exemple) et, quand ce n’est plus possible, à leur trouver des circonstances atténuantes jusqu’à en faire les victimes de leurs actes. Le ressort de cette culture de l’excuse porte un nom : l’himpathy.

À travers ce mot, la philosophe australienne Kate Manne a bien analysé comment, dans nos sociétés dont les valeurs modernes d’égalité butent sur un fond encore très ancré de valeurs patriarcales, sexistes et même misogynes, on autorise les hommes ou plus précisément les hommes qui honorent le « mandat masculin »[11] consistant à conquérir et dominer socialement, à exercer des formes de violence à l’égard des personnes et groupes en position dominée et en particulier à l’égard des femmes. Ces hommes-là (des hommes blancs et riches donc[12]) ont le droit et le devoir viril de s’imposer, de prendre sans demander, d’agir sans s’excuser.

Cette autorisation et même cette valorisation sociale de la domination masculine explique que ces hommes captent donc l’empathie sociale dont les victimes sont pour leur part privées. Pire, elles subissent l’inversion réciproque et se voient souvent accusées par ceux qu’elles accusent, mais aussi par les juges, avocats, policiers et autres commentateurs publics, d’avoir tenté le diable en sortant tard et court vêtues ou en se rendant au domicile d’un « ogre » comme Depardieu, autrement dit d’avoir cherché ce qui leur est arrivé, ou alors de mentir, d’être folles ou de faire leur intéressante. L’empathie par défaut pour les hommes qui commettent des violences sexuelles a ainsi toujours pour corolaire le défaut d’empathie pour leurs victimes.

Depardieu, Jacquot, Doillon, Garrel, Corneau, Brisseau, Bedos et tant d’autres réalisateurs, acteurs et artistes dont la liste ne cesse de s’allonger, ont également bénéficié de l’empathie spécifique qui profite aux artistes qui commettent des violences. Plusieurs aspects sont ici à distinguer. Le premier tient à une conception du talent, de l’art et de l’artiste héritée du XIXe siècle, mythifiant la figure romantique du poète maudit qui, tel L’albatros de Baudelaire, se trouve « exilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l’empêch(ant) de marcher ».

Selon cette croyance encore trop partagée, créer impliquerait fatalement de se connecter aux forces obscures de la mort et du mal et de transgresser les lois ordinaires. Pas de grande œuvre ni de génie sans des formes de violence et de souffrance. Ce cliché qui veut lier indéfectiblement le talent du grand homme à sa connexion aux forces obscures vient redoubler celui qui veut que le désir le plus intense soit le plus douloureux, que le grand amour soit celui qui fait le plus mal – pas d’Éros sans Thanatos, pas de grandeur sans douleur. Selon cette conception, les artistes qui, osons le rappeler, sont des personnes, se voient également mis en fiction et transfigurés en personnages hors la loi mais aussi, dans une certaine mesure, hors la réalité, en êtres de fiction à qui les lois valables pour les personnes ordinaires ne sauraient s’appliquer.

L’expression « ça va, c’est Gérard » veut aussi dire que la loi ordinaire ne saurait s’appliquer à ce monstre sacré autorisé à être un monstre tout court, celui qu’on montre et qui se montre différent de nous. On insiste sur le côté « énorme » ou plutôt hénaurme de Depardieu, plus grand que nature. Cette double dimension transgressive et fictionnalisante est très importante et on la retrouve à chaque affaire impliquant des artistes, quel que soit les pays. Depardieu a été tour à tour décrit et disculpé via les figures du héros rabelaisien ou du monstre sacré, Johnny Depp ou Bertrand Cantat ont plutôt été dépeints sous les traits de l’artiste maudit et de l’homme blessé, du héros romantique avec sa part d’ombre – et de violence autorisée.

Il y a enfin un dernier aspect à cette ligne de défense : l’argument de l’immunité artistique, présent dans le discours d’Emmanuel Macron et dans la tribune de soutien à Depardieu. C’est un ressort propre à la version française de la série #Metoo, dont les intrigues reposent souvent sur l’existence d’un permis de violer offert aux artistes (permis social sinon juridique), au motif que ce sont des grands hommes. Le Président a ainsi rappelé que la star « fait connaître la France, nos grands auteurs, nos grands personnages dans le monde entier » et ainsi « rend fière la France ».

Ce dernier argument est le plus marquant par la façon dont il complète le précédent : Depardieu n’a rien fait de mal et si jamais c’est le cas, ces faits-là ne comptent pas et leur éventuel caractère honteux non plus, au regard de la grandeur du talent de l’acteur et de la fierté collective (et implicitement de la reconnaissance) que les Français doivent éprouver à son égard. L’échelle de valeur est clairement posée : la vie des femmes ne vaut rien comparée au génie d’un grand artiste. Cet argument-là, qui n’existe qu’ici, ne révèle pas tant une sacralisation spécifiquement française des artistes qu’une sacralisation spécifiquement française de la culture du viol.

Les artistes sont le cas pur, concentré, exemplaire, des arguments qui justifient la culture du viol. D’abord, parce que ce sont des hommes et plus précisément des grands hommes, car les violences sexuelles sont la conséquence d’une culture de la domination patriarcale qui n’est pas seulement un culte de la domination masculine mais aussi avant tout un culte de la domination économique et symbolique.

Ensuite, parce que le passe-droit artistique (au sens strict de ce qui autorise dans l’imaginaire ces catégories de personnes à passer outre le droit, pénal ou du travail[13]) vient redoubler le passe-droit hétérosexiste et il faut le dire clairement, misogyne, qui fait reposer la séduction sur l’exercice de violences commises par les hommes et subies par les femmes. Plus exactement, ces violences ne sont pas qualifiées comme telles mais sont désirées comme telles par tous les protagonistes et plus largement par nous tous et toutes, que nous soyons acteurs-actrices ou spectateurs-spectatrices de cette scène de nos vies quotidiennes et de nos vies fantasmatiques et imaginaires.

Pourquoi ? Parce que nous avons incorporés ces représentations mentales qui conditionnent depuis notre enfance nos attentes amoureuses et ont (dé)réglé notre baromètre de ce qui est désirable et acceptable. Comment ? Pour beaucoup, par les productions culturelles – des œuvres et notamment des films comme Les Valseuses (de Bertrand Blier, avec Depardieu) qui nous ont appris à trouver comiques des agressions sexuelles, des films comme Trop belle pour toi (du même duo) qui nous ont appris à séparer la femme belle de la femme bandante et la bourgeoise de la popu, dans une variation supposément moderne du stéréotype binaire ancestral opposant la maman et la putain ; des films comme Lolita de Kubrick, Noces Blanches de Brisseau, La Désenchantée de Jacquot ou La Fille de 15 ans de Doillon, qui nous ont appris à confondre désir et emprise et à voir le monde depuis les yeux d’un homme de pouvoir de plus de quarante ans qui croit sérieusement qu’une fille de quinze ans pourrait le désirer.

Depuis quelques années et plus encore quelques mois, nous commençons à entendre et voir les choses depuis le point de vue de ces anciennes jeunes filles de quinze ans et à comprendre que la réalité était tout autre. Il n’est pas possible de séparer l’œuvre de l’artiste. Mais nous sommes loin d’avoir fini d’apprendre ces œuvres en face, c’est-à-dire à admettre que beaucoup de ces œuvres sont des scènes de crime, dans la fiction comme dans la réalité. Apprendre à voir ces œuvres en face, c’est apprendre à ne pas voir du désir et du plaisir là où il y a en fait du forçage et de l’emprise, en un mot des violences sexistes et sexuelles, même quand il n’y a pas viol.

Le problème, c’est aussi et surtout la culture du viol

Laure Murat invitait récemment à mettre en regard la tribune de 2018 défendant la liberté d’importuner et celle de 2023 soutenant Depardieu[14] pour retracer la contre-histoire du mouvement #MeToo. Ce parallèle révèle aussi la persistance de la culture du viol malgré #MeToo. Car c’est très exactement cela, la culture du viol : défendre la liberté d’importuner au motif qu’importuner n’est pas agresser, ni violer.

Selon cette façon de voir les choses du sexe et de la séduction, qui est aussi et surtout une façon de délimiter les rôles genrés, le viol est inadmissible, bien-sûr évidemment mais pour qui nous prenez-vous ? Mais justement, la liberté d’importuner n’a rien à voir avec ça ! Ce n’est pas presque du viol, ce n’est pas défendre le presque viol, vous ne comprenez pas, c’est le contraire ! Et c’est une ressource essentielle, indispensable au désir et aux plaisirs de la séduction, ne faites-pas semblant, vous aussi l’interdit vous excite et les femmes aiment être un peu brutalisées, n’est-il pas ?

La culture du viol est une notion élaborée par des chercheuses nord-américaines dès les années 1970[15]. Elle est aujourd’hui mobilisée (et donc reconnue comme valide) par des acteurs publics dans différents pays ainsi que par des organisations internationales comme la commission « condition de la femme » de l’ONU[16]. Elle est également utilisée par les pouvoirs publics en France, au sein du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes en France.

Elle peut se définir en premier lieu par le refus de voir le caractère massif et systémique des violences sexuelles, structurellement subies par les femmes et les enfants et structurellement commises par les hommes[17]. Elle se caractérise toujours aussi, je le rappelle ici, par des formes d’euphémisation, de normalisation et d’érotisation des violences sexistes et sexuelles quand elles sont commises par des hommes. La culture du viol, ce n’est pas faire l’apologie explicite du viol et encore moins du viol correspondant à l’image cliché que l’on s’en fait, l’agression sauvage par un inconnu dans un lieu mal famé.

La culture du viol, c’est en revanche tracer une ligne stricte autour de ce repoussoir interdit fortement dénoncé, pour mieux tolérer et même légitimer les mille et une formes de violences sexistes et sexuelles en disant : ceci n’est pas du viol – ou du meurtre – donc ce n’est pas grave, « ça va ». La culture du viol, c’est Julie Depardieu qui défend son père au motif que « ce n’est pas Bertrand Cantat qui a tué quelqu’un sur un radiateur. Ce sont des mots, des paroles un peu choquantes »[18], niant par-là les accusations d’agressions sexuelles (qui sont des délits) et de viol (qui est un crime au même titre que le meurtre) ; niant aussi ses propres ressentis quand elle concède qu’enfant, elle était souvent choquée et mal à l’aise à cause du comportement de son père mais que ce n’est pas grave ; niant enfin que dans ces violences, les mots précèdent et préparent les actes même s’ils n’y aboutissent pas toujours, autrement dit que les violences de genre opèrent selon un continuum[19].

Les décennies de travaux de différentes disciplines et de nombreux pays sur les violences sexistes et sexuelles, convergent pour démontrer que le sexisme ordinaire, trop souvent banalisé au motif qu’« il n’y a pas mort d’homme », est pourtant « l’antichambre des violences », selon la formule de la Présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes Sylvie-Pierre Brossolette. Les violences opèrent toujours selon une gradation qui va des violences verbales-psychologiques vers les violences physiques (contrôle coercitif, coups) et sexuelles (agressions et viols), jusqu’aux violences létales que sont les féminicides.

Ce continuum opère du côté des auteurs (si tous les hommes qui insultent ne violent/tuent pas, tous les hommes qui violent/tuent se sont d’abord contentés d’insulter, d’humilier). Il opère aussi du côté des victimes : une personne qui a déjà été agressée sexuellement vivra une « simple » insulte sexiste (« salope », « sale pute ») comme une nouvelle agression, parce qu’elle fera écho à celle précédemment subie et parce que c’est depuis la vision des femmes et des rapports hommes/femmes que cette agression a été commise. Ce continuum est d’autant plus important à avoir en tête que les statistiques les plus récentes révèlent que ce sexisme ordinaire, loin de régresser, a encore augmenté en 2023[20].

D’où l’importance d’une éducation à la sexualité mais aussi aux images et aux récits qui nous apprenne à identifier les violences, à les reconnaitre comme telles… et surtout, surtout, à ne plus les désirer, c’est-à-dire à ne plus adhérer aux schémas de séduction et de relations sexuelles ou sentimentales basés sur des rapports de domination exercés par le partenaire masculin.

Nous restons encore trop prisonniers et prisonnières de ce scénario aussi violent que lassant qui voudrait que le plaisir des hommes et celui des femmes passeraient forcément par des formes de forçage et, pour les relations hétérosexuelles en particulier (même si cet imaginaire et ces stéréotypes de genre structurent, au-delà des personnes hétérosexuelles, l’imaginaire de toute personne socialisée dans nos sociétés et plongée depuis l’enfance dans ce bain), par une répartition des rôles où la personne qui « fait l’homme » conquiert et s’impose, tandis que la personne qui joue la femme, joue son rôle de femme, dit « non » et puis, à force de céder du terrain, finit par dire « oui » et/car elle aime ça.

Or, pour apprendre à voir et à dé-désirer ces violences, l’expression « culture du viol » m’apparait de plus en plus, dans la pratique, comme un problème autant que comme un outil efficace.

Pourquoi ? Parce que l’expression amène à focaliser l’attention sur le viol et donc à considérer que tout ce qui n’est pas condamné par la justice comme étant du viol est ok. C’est ce qui a été spontanément opposé aux commentatrices qui ont utilisé l’expression pour commenter les images du Complément d’enquête sur Depardieu. C’est aussi ce qui a été exprimé par les jurés potentiels d’un procès fictif sur la culture du viol que nous préparons actuellement avec une équipe de juristes spécialistes des questions de genre et d’expertes littéraires[21].

Le verdict des collégien.nes, lycéen.nes et retraité.es invité.es à délibérer pour savoir si une œuvre peut ou non participer de la culture du viol a été unanime. Non pas sur l’affaire dont ils ont à débattre : le poème « l’Oaristys », de l’auteur du XVIIIe siècle André Chénier, qui avait été mis au concours de l’agrégation en 2018, représente-t-il une scène de séduction ou une scène d’agression sexuelle, autrement dit, ce poème érotise-t-il la violence masculine dans les relations sexuelles et sentimentales ? Sur ce point, pour certaines personnes l’évidence est que oui, pour d’autres que non, pour d’autres encore, cela se discute. Mais pour ces jurés, toutes générations confondues, l’expression « culture du viol » cible clairement le viol et elle revient à dire que, s’il n’y a pas viol, ou s’il y a viol mais qu’il semble dénoncé, alors il n’y a pas culture du viol, dans les œuvres comme dans la vraie vie.

Peut-être faut-il trouver une expression plus directement parlante (que je n’ai à l’heure où j’écris ces lignes pas trouvée). Peut-être faut-il simplement/en attendant d’avoir trouvé mieux, avoir en tête que l’expression « culture du viol » implique d’être dépliée et oblige ainsi à engager une conversation. Peut-être même est-ce tout l’intérêt de cette expression. Quoi qu’il en soit, il est indispensable d’y adjoindre toujours l’explicitation de son contraire, le contraire de la culture du viol. Soit une culture du désir et du plaisir partagés. Une culture de la sexualité et des sentiments qui érotise la liberté, l’égalité et la réciprocité entre partenaires quel que soit leur genre.

Une culture qui cesse de lier le sexe et l’amour à la violence, à la mort et aux forces obscures et, nous extirpant d’un imaginaire lourd et morbide qui nous plombe depuis des siècles, nous apprenne à désirer l’amour et le sexe rythmés et rimés du côté de la légèreté, de la lumière et de la vie. Cette culture passe par des représentations, de nouveaux romans, spectacles, films, séries dont les scénarios restent pour l’essentiel à inventer.


[1] Le premier hashtag #Metoo a été lancé aux États-Unis en 2007 par une travailleuse sociale africaine-américaine, Tarana Burke, pour dénoncer les violences sexuelles spécifiquement subies par les petites filles noires. Mais le hashtag n’est devenu viral que dix ans plus tard, quand il a été repris par une actrice célèbre (Alyssa Milano) pour dénoncer des faits impliquant comme victimes et comme auteurs de violence des artistes évoluant dans le milieu du cinéma.

[2] Laure Murat, « Deneuve-Depardieu, ou la contre-histoire du #Metoo à la française », Médiapart, 15 janvier 2024.

[3] Emmanuel Macron, C dans l’air, émission présentée par Caroline Roux et Axel de Tarlé, France Télévision, 22 décembre 2023.

[4] « C’est une révolution, ils ne peuvent plus l’empêcher », émission À l’air libre animée par Mathieu Magnaudeix et Marine Turchi, Médiapart, 12 février 2024.

[5] Pour un développement plus étoffé, voir Bérénice Hamidi, « Séparer l’Homme, l’Artiste et l’œuvre. Déni, clivage, dissociation », revue thaêtre, 13 juillet 2023.

[6] Le GREVIO (Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique mis en place par le Conseil de l’Europe suite à la Convention d’Istanbul) évoque explicitement la « culture de l’impunité, (conduisant) à une normalisation de la violence sexuelle y compris du viol » dans le quatrième rapport général sur les activités du GREVIO, p. 28.

[7] Anouk Grinberg, France Inter, 11 décembre 2023.

[8] Anny Duperey, « Anny Duperey réagit à l’affaire Depardieu », Télé 7 jours, 4 janvier 2024.

[9] Lio, C l’Hebdo, France 5, 6 janvier 2024.

[10] Propos cités par Marine Turchi, loc. cit.

[11] Selon l’expression de l’anthropologue Rita Laura Segato, in Las estructuras elementales de la violencia. Ensayos sobre género entre la antropología, el psicoanálisis y los derechos humanos, Buenos Aires: Universidad Nacional de Quilmes/Prometeo, 2003.

[12] L’interpénétration des logiques de discrimination raciale et de classe avec les discrimination de genre expliquent que les hommes de classe populaire et les hommes racisés soient beaucoup plus fréquemment condamnés pour des faits de violences sexuelles que les hommes blancs de classe moyenne et supérieure, alors même que les données statistiques montrent que ces violences sont commises dans tous les milieux sociaux et culturels.

[13] De ce point de vue, certaines réactions à l’enquête de Médiapart témoignent d’une bascule relative de l’empathie et d’un tournant dans la prise de conscience de la responsabilité légale des employeurs dans le secteur professionnel du cinéma. La Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF) a ainsi salué dans un communiqué « le courage des techniciennes et comédiennes qui ont témoigné » et invité les « cinéastes, producteurs, techniciens » à « redoubler de vigilance » sur les plateaux, rappelant leur « responsabilité » sur les tournages. « Que certains réalisateurs aient accepté de retourner avec lui sachant ce qu’il se passait et sans aucune forme d’encadrement revient à une forme d’acceptation de ces comportements », considère-t-elle. La position de la SRF est claire : « Une personne qui fait l’objet d’une procédure judiciaire ne doit pas être en contact avec les plateaux le temps que la justice effectue son travail », résume-t-elle. Pour autant, « ce n’est pas notre rôle de dire “Ne tournez plus avec Gérard Depardieu” ».

[14] Laure Murat, loc. cit.

[15] Noreen Connell et Cassandra Wilson, Rape : the first sourcebook for women, New American Library, 1974.

[16] Voir notamment la brochure « Comment pouvez-vous lutter contre la culture du viol ? » disponible sur le site des Nations Unies.

[17] Quelques chiffres: en 2017, 219 000 femmes majeures ont déclaré avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint sur une année. « En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d’une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol est estimé à 94 000 femmes. » Dans 91 % des cas, ces agressions ont été perpétrées par une personne connue de la victime. Dans 47 % des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits. » S’agissant des enfants, « 60 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l’impunité des agresseurs et l’absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d’euros chaque année en dépenses publiques. Du point de vue des auteurs des actes, il s’agit dans l’immense majorité des cas d’hommes : 91% des personnes mises en cause pour des actes de violences sexistes (allant de l’outrage sexiste jusqu’au viol) sont des hommes.

[18] Julie Depardieu dans L’Heure des Pros, CNews, 18 décembre 2023.

[19] Sur la notion de continuum de violences de genre, voir l’article fondateur de Liz Kelly, « Le continuum de la violence sexuelle », traduit de l’anglais par Marion Tillous, Cahiers du Genre, 2019/1 (n°66), p. 17-36. Et pour une utilisation de cette notion par les pouvoirs publics, voir Sylvie Pierre-Brossolette, « Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France », Haut Conseil à l’Égalité, 23 janvier 2023 ; Sur la notion de continuum féminicidaire, voir Christelle Taraud (dir.), Féminicides. Une histoire mondiale, La Découverte, 2022

[20] « Sexisme : le constat particulièrement inquiétant du Haut Conseil à l’Égalité», Le Monde, 22 janvier 2024.

[21] « notre procès », performance documentaire de Bérénice Hamidi et Gaëlle Marti. Ces délibérés ont été rendus dans le cadre d’une phase test, lors d’une résidence de création et d’ateliers d’action artistique. La création aura lieu les 10 et 11 avril 2024 au Théâtre du Point du Jour à Lyon.

Bérénice Hamidi

Sociologue du théâtre, professeure en études théâtrales à l'Université Lyon 2 et membre de l'Institut Universitaire de France

Mots-clés

Féminisme

Notes

[1] Le premier hashtag #Metoo a été lancé aux États-Unis en 2007 par une travailleuse sociale africaine-américaine, Tarana Burke, pour dénoncer les violences sexuelles spécifiquement subies par les petites filles noires. Mais le hashtag n’est devenu viral que dix ans plus tard, quand il a été repris par une actrice célèbre (Alyssa Milano) pour dénoncer des faits impliquant comme victimes et comme auteurs de violence des artistes évoluant dans le milieu du cinéma.

[2] Laure Murat, « Deneuve-Depardieu, ou la contre-histoire du #Metoo à la française », Médiapart, 15 janvier 2024.

[3] Emmanuel Macron, C dans l’air, émission présentée par Caroline Roux et Axel de Tarlé, France Télévision, 22 décembre 2023.

[4] « C’est une révolution, ils ne peuvent plus l’empêcher », émission À l’air libre animée par Mathieu Magnaudeix et Marine Turchi, Médiapart, 12 février 2024.

[5] Pour un développement plus étoffé, voir Bérénice Hamidi, « Séparer l’Homme, l’Artiste et l’œuvre. Déni, clivage, dissociation », revue thaêtre, 13 juillet 2023.

[6] Le GREVIO (Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique mis en place par le Conseil de l’Europe suite à la Convention d’Istanbul) évoque explicitement la « culture de l’impunité, (conduisant) à une normalisation de la violence sexuelle y compris du viol » dans le quatrième rapport général sur les activités du GREVIO, p. 28.

[7] Anouk Grinberg, France Inter, 11 décembre 2023.

[8] Anny Duperey, « Anny Duperey réagit à l’affaire Depardieu », Télé 7 jours, 4 janvier 2024.

[9] Lio, C l’Hebdo, France 5, 6 janvier 2024.

[10] Propos cités par Marine Turchi, loc. cit.

[11] Selon l’expression de l’anthropologue Rita Laura Segato, in Las estructuras elementales de la violencia. Ensayos sobre género entre la antropología, el psicoanálisis y los derechos humanos, Buenos Aires: Universidad Nacional de Quilmes/Prometeo, 2003.

[12] L’interpénétration des logiques de discrimination raciale et de classe avec les discrimination de genre expliquent que les hommes de classe populaire et les hommes racisés soient beaucoup plus fréquemment condamnés pour des faits de violences sexuelles que les hommes blancs de classe moyenne et supérieure, alors même que les données statistiques montrent que ces violences sont commises dans tous les milieux sociaux et culturels.

[13] De ce point de vue, certaines réactions à l’enquête de Médiapart témoignent d’une bascule relative de l’empathie et d’un tournant dans la prise de conscience de la responsabilité légale des employeurs dans le secteur professionnel du cinéma. La Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF) a ainsi salué dans un communiqué « le courage des techniciennes et comédiennes qui ont témoigné » et invité les « cinéastes, producteurs, techniciens » à « redoubler de vigilance » sur les plateaux, rappelant leur « responsabilité » sur les tournages. « Que certains réalisateurs aient accepté de retourner avec lui sachant ce qu’il se passait et sans aucune forme d’encadrement revient à une forme d’acceptation de ces comportements », considère-t-elle. La position de la SRF est claire : « Une personne qui fait l’objet d’une procédure judiciaire ne doit pas être en contact avec les plateaux le temps que la justice effectue son travail », résume-t-elle. Pour autant, « ce n’est pas notre rôle de dire “Ne tournez plus avec Gérard Depardieu” ».

[14] Laure Murat, loc. cit.

[15] Noreen Connell et Cassandra Wilson, Rape : the first sourcebook for women, New American Library, 1974.

[16] Voir notamment la brochure « Comment pouvez-vous lutter contre la culture du viol ? » disponible sur le site des Nations Unies.

[17] Quelques chiffres: en 2017, 219 000 femmes majeures ont déclaré avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint sur une année. « En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d’une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol est estimé à 94 000 femmes. » Dans 91 % des cas, ces agressions ont été perpétrées par une personne connue de la victime. Dans 47 % des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits. » S’agissant des enfants, « 60 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l’impunité des agresseurs et l’absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d’euros chaque année en dépenses publiques. Du point de vue des auteurs des actes, il s’agit dans l’immense majorité des cas d’hommes : 91% des personnes mises en cause pour des actes de violences sexistes (allant de l’outrage sexiste jusqu’au viol) sont des hommes.

[18] Julie Depardieu dans L’Heure des Pros, CNews, 18 décembre 2023.

[19] Sur la notion de continuum de violences de genre, voir l’article fondateur de Liz Kelly, « Le continuum de la violence sexuelle », traduit de l’anglais par Marion Tillous, Cahiers du Genre, 2019/1 (n°66), p. 17-36. Et pour une utilisation de cette notion par les pouvoirs publics, voir Sylvie Pierre-Brossolette, « Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France », Haut Conseil à l’Égalité, 23 janvier 2023 ; Sur la notion de continuum féminicidaire, voir Christelle Taraud (dir.), Féminicides. Une histoire mondiale, La Découverte, 2022

[20] « Sexisme : le constat particulièrement inquiétant du Haut Conseil à l’Égalité», Le Monde, 22 janvier 2024.

[21] « notre procès », performance documentaire de Bérénice Hamidi et Gaëlle Marti. Ces délibérés ont été rendus dans le cadre d’une phase test, lors d’une résidence de création et d’ateliers d’action artistique. La création aura lieu les 10 et 11 avril 2024 au Théâtre du Point du Jour à Lyon.