Société

Streetologie : l’autre code de la rue

Enseignant

Participant à la médiatisation de faits de violence commis par des mineurs de quartiers populaires, les discours répressifs se multiplient. Pour échapper au piège de cet autoritarisme, une compréhension des codes de la street dans leur dimension politique et non stéréotypée apparaît de plus en plus nécessaire.

La contamination des champs médiatique et politique par l’extrême droite appelle à réfléchir aux ressources présentes dans la société pour s’y opposer. Comme l’ont manifesté certaines mobilisations récentes, de la crise sanitaire aux élections présidentielles de 2022, les quartiers populaires sont des lieux où se réveillent et se révèlent des pratiques, des savoirs à même de stopper la fatalité des fragmentations. C’est à ce titre que toute prise de position qui en émerge est ciblée avec tant de violence par le discours d’extrême droite, dont les logiques sont malheureusement déjà à l’œuvre. Dans ce processus les quartiers populaires ont acquis de fait une forme de centralité. Soit la gauche s’ouvre résolument à cet univers culturel et politique, le défend et se repose sur lui, soit elle meurt. 

 

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L’envolée punitive de Gabriel Attal autour du « sursaut d’autorité », qui a valu au gouvernement français un rappel de l’UNICEF quant au respect des droits des mineurs, s’inscrit dans la lignée des déclarations d’Emmanuel Macron au lendemain des révoltes urbaines de l’été 2023 Obsession du répressif, hyper-responsabilisation individuelle, accusation des parents, attaque contre la « culture de l’excuse » qu’exprimerait toute explication sociale et politique des phénomènes considérés : la sphère publique des quartiers populaires se trouve ainsi renvoyée à un « vide » menaçant et à « reciviliser », irréductiblement en conflit avec les institutions.

Une lecture renversée

Cette lecture est à renverser. D’abord, parce que dans la réalité, les formes d’expression et d’action qui émergent dans « la street » entretiennent un dialogue permanent avec l’ordre institutionnel, entre conflits et conciliations. Ensuite, parce que c’est justement en reconnaissant et en analysant les innombrables tentatives de réfrènement de la violence « par le bas », c’est-à-dire par celles et ceux qui la vivent et composent avec elle, que nous pourrons échapper aux pièges d


[1] Albert Ogien, Politique de l’activisme. Essai sur les mouvements citoyens, PUF, 2021

[2] Julien Talpin, Hélène Balazar, Marion Carrel, Samir Hadj Belgacem, Sümbül Kaya, Anaïk Purenne, Guillaume Roux, L’épreuve de la discrimination. Enquête dans les quartiers populaires. Presses Universitaires de France, 2021

[3] William Foote Whyte, Street Corner Society, La Découverte, 1996

[4] Éric Marlière, « Révoltes urbaines 40 ans après. Ce qui change… et surtout ce qui ne change pas ! », Multitudes, vol. 94, no. 1, 2024, pp. 164-170.

[5] Marwan Mohammed décrit bien cette séparation entre famille et rue (en ajoutant l’école à la tripartition de l’espace pour l’analyse des groupes de jeunes étudiés) et les normes contradictoires qui régissent le dedans du foyer familial et le dehors de la rue et de ses sociabilités. Voir : Marwan Mohammed, La formation des bandes. Entre la famille, l’école et la rue, PUF, 2011.

[6] Loïc Wacquant,Voyage au pays des boxeurs. Woodlawn Boys Club, La Découverte, 2022, p. 25.

[7] La phrase prononcée par le rappeur AP dans le fameux morceau de la Mafia K’1 Fry, « Pour ceux », rappelle cette attention particulière pour « ceux qui ont pas internet, matent les faits divers de leur fenêtre ». La fenêtre est un élément récurrent des récits du mode de vie dans les quartiers populaires.

[8] Sami Zegnani, « Le rap comme activité scripturale : l’émergence d’un groupe illégitime de lettrés », Langage et société, vol. 110, n° 4, 2004, pp. 65-84.

[9] Philippe Bourgois, En quête de respect. Le crack à New-York, Seuil, 2001 ; Se faire respecter. Ethnographie de sports virils dans des quartiers populaires en France et aux États-Unis, Presses universitaires de Rennes, coll. «Le sens social », 2017.

Ulysse Rabaté

Enseignant, Président de l'association Quidam pour l'enseignement populaire, Ex-Conseiller municipal de Corbeil-Essonnes

Notes

[1] Albert Ogien, Politique de l’activisme. Essai sur les mouvements citoyens, PUF, 2021

[2] Julien Talpin, Hélène Balazar, Marion Carrel, Samir Hadj Belgacem, Sümbül Kaya, Anaïk Purenne, Guillaume Roux, L’épreuve de la discrimination. Enquête dans les quartiers populaires. Presses Universitaires de France, 2021

[3] William Foote Whyte, Street Corner Society, La Découverte, 1996

[4] Éric Marlière, « Révoltes urbaines 40 ans après. Ce qui change… et surtout ce qui ne change pas ! », Multitudes, vol. 94, no. 1, 2024, pp. 164-170.

[5] Marwan Mohammed décrit bien cette séparation entre famille et rue (en ajoutant l’école à la tripartition de l’espace pour l’analyse des groupes de jeunes étudiés) et les normes contradictoires qui régissent le dedans du foyer familial et le dehors de la rue et de ses sociabilités. Voir : Marwan Mohammed, La formation des bandes. Entre la famille, l’école et la rue, PUF, 2011.

[6] Loïc Wacquant,Voyage au pays des boxeurs. Woodlawn Boys Club, La Découverte, 2022, p. 25.

[7] La phrase prononcée par le rappeur AP dans le fameux morceau de la Mafia K’1 Fry, « Pour ceux », rappelle cette attention particulière pour « ceux qui ont pas internet, matent les faits divers de leur fenêtre ». La fenêtre est un élément récurrent des récits du mode de vie dans les quartiers populaires.

[8] Sami Zegnani, « Le rap comme activité scripturale : l’émergence d’un groupe illégitime de lettrés », Langage et société, vol. 110, n° 4, 2004, pp. 65-84.

[9] Philippe Bourgois, En quête de respect. Le crack à New-York, Seuil, 2001 ; Se faire respecter. Ethnographie de sports virils dans des quartiers populaires en France et aux États-Unis, Presses universitaires de Rennes, coll. «Le sens social », 2017.