La Loi d’orientation agricole nous laisse sur notre faim écologique
Promise par Emmanuel Macron en 2022, la planification écologique fait désormais l’objet d’un secrétariat général. Mais ce « combat du siècle », pour reprendre les mots du Président de la République peine à dépasser les constats d’ores et déjà dressés par les scientifiques du GIEC pour engager l’ensemble de notre société vers une transformation de nos pratiques, singulièrement en matière d’alimentation. Dans un contexte de hausse des émissions de gaz à effet de serre liées aux importations des produits agricoles en France, l’alimentation est pourtant un secteur clef pour réduire l’empreinte carbone des français (Le système alimentaire représente 22 % de l’empreinte carbone globale de la France soit 2,1 tonnes de CO2 par habitant).
Le rapport d’évaluation de la souveraineté agricole et alimentaire de la France, paru en mars dernier évoque ainsi l’importance de réduire notre consommation de pesticides et d’engrais de synthèse tout en relocalisant nos productions agricoles, en renforçant l’implication des filières et des collectivités territoriales dans la gouvernance des systèmes alimentaires.
Tout convergeait pour que la Loi d’Orientation Agricole et Alimentaire, présentée le 3 avril dernier par Marc Fesneau propose une transcription opérationnelle. Mais à l’instar du Pacte vert à l’échelle européenne, cette loi présente au contraire un recul historique en matière de préservation de l’environnement et des objectifs flous (aucune ambition chiffrée sur le nombre d’installation agricole). À l’ambition d’une transformation écologique s’est substituée l’opportunisme d’une réponse aux lubies du syndicat majoritaire, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), plus enclin à réduire les normes sur la préservation des haies et des zones humides que réellement défendre les revendications de sa base, à savoir une rémunération plus juste.
En effet, comment penser que la planification écologique serait à l’ordre du jour quand le principal instrument de réduction de l’usage des pesticides de synthèse, le plan Ecophyto et son ambition (réduire de 50 % le recours aux pesticides d’ici à 2025), sont mis en pause ?
De nombreuses régions françaises, qui souffrent des conséquences d’une surspécialisation et d’une industrialisation des filières agricoles, voient déjà les conséquences directes du réchauffement climatique avec un accès à l’eau de plus en plus contraint dans un contexte où de nombreux cours d’eau restent contaminés par les polluants d’origines agricoles (En Bretagne, 99% des cours d’eau sont contaminés par les pesticides avec une omniprésence des herbicides et des métabolites).
Repousser une nouvelle fois la transformation de notre modèle agricole constitue plus qu’un acte manqué, mais un choix assumé de creuser l’ornière productiviste et techno-solutionniste (augmentation du recours aux bassines ou possibilité de les construire sur des zones humides), plutôt que de miser sur l’agroécologie à l’instar de ce que propose le collectif Nourrir ou le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’incapacité de la France à sortir des pesticides.
Pas de planification écologique sans financement durable des Plans Alimentaires Territoriaux
Adossée à un travail prospectif, la planification doit se traduire en acte et reposer sur un processus démocratique, permettant de mobiliser les citoyens et les acteurs du territoire afin de faire évoluer les pratiques de production, de distribution et de consommation. Les collectivités tentent bien d’orchestrer cette planification écologique, en s’adossant à des scénarios comme Afterres 2050 et en engageant des politiques pour favoriser l’installation sur des productions en agriculture biologique.
En travaillant également auprès des réseaux CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) pour favoriser la reprise de ferme et la mobilisation des futurs cédants, un enjeu crucial, comme l’évoque la journaliste Amélie Poinssot dans son ouvrage sur le renouveau paysan[1]. Mais un enjeu qui ne fait pourtant l’objet d’aucunes politiques nationales d’envergure. Les collectivités, enfin, œuvrent au côté de nombreuses associations en faveur d’un accès plus digne à une alimentation durable, en s’appuyant sur des expérimentations qui soutiennent le développement d’une démocratie alimentaire et s’inspirent du projet sécurité sociale de l’alimentation.
Dans un contexte d’explosion de la précarité alimentaire[2], ces politiques publiques à l’échelle des quartiers, villes ou départements sont indispensables. Si les Plans Alimentaires Territoriaux (PAT) permettent de rendre visible et coordonner des actions pour structurer des filières de proximité et répondre aux enjeux d’un approvisionnement durable de la restauration collective, ces actions pèsent peu face au budget de la Politique Agricole Commune, ces politiques dépendent en effet d’appel à projets qui n’en garantissent aucunement la pérennité. Mais les PAT se heurtent surtout à la réalité d’un système agricole largement confisqué par des instruments qui ne partagent ni les objectifs, ni la nécessité d’une gouvernance rééquilibrée au profit de l’intérêt général.
Nombre de PAT sont donc aujourd’hui déployés en France sans qu’aucun dispositif financier n’en assure la longévité et sans qu’aucun engagement juridique n’en découle entre les collectivités locales qui les portent et leurs partenaires. De ce constat, des chercheurs du CNRS, impliqués dans une démarche de recherche action « ATLASS » proposent une loi pour reconnaitre les PAT en créant un Contrat Alimentaire Territorial, porteur « d’obligations réciproques » entre tous les maillons des systèmes alimentaires. À terme, ces contrats pourraient ainsi répondre au double objectif d’une préservation des ressources agroécologiques et d’une satisfaction des besoins alimentaires locaux. La mise en œuvre de contrats devra nécessairement s’appuyer sur des financements dédiés et une plus large autonomie fiscale offerte aux collectivités.
Transformer l’ensemble du paysage alimentaire doit se traduire aussi par de plus fortes contraintes règlementaires envers les modes de consommation peu durables ou la régulation de la publicité. Parmi les pistes, le Réseau Action Climat propose par exemple de rehausser la TGAP (Taxe Générale sur les Activités Polluantes) à laquelle sont soumis les producteurs d’engrais et de pesticides de synthèse, ce qui constituerait une manne financière permettant d’appuyer les politiques à l’échelle des territoires.
La loi d’orientation agricole doit désormais reconnaitre le rôle de chef d’orchestre des PAT en matière de pilotage des politiques alimentaires et offrir, en lien avec la future Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat, plus de moyen budgétaire aux collectivités.
Pas de planification sans repenser un urbanisme sensible aux questions d’accès à une alimentation digne et choisie
Les comportements alimentaires et les inégalités d’accès à une alimentation durable sont largement déterminés par les caractéristiques liées à l’environnement physique, économique et social des mangeurs. La qualité d’un paysage alimentaire est donc déterminante pour favoriser des modes de consommation plus durable et mettre ainsi en perspective l’acte de manger avec le rapport que l’on entretient vis-à-vis de son territoire de vie. Si les espaces urbains ou ruraux proposent une offre alimentaire parfois pléthorique, l’accès à une alimentation dite « durable » n’est ni simple ni garanti pour tou.te.s.
Dans de nombreuses villes, les commerces alimentaires sont largement dominés par une offre alimentaire standardisée et des produits transformés, ce qui limite la capacité à des productions locales de trouver des débouchés sur le territoire. De plus, la présence d’un faible nombre d’enseignes qui concentrent la majeure partie de ce qui est consommé par les français présente un verrou important au développement des systèmes agricoles territorialisés. Pour autant, les habitant.e.s, notamment dans les quartiers populaires, plaident pour une approche plus sensible de l’urbanisme autour d’une offre alimentaire plus diversifiée . Cette demande est d’autant plus forte que la période voit une augmentation de la précarité alimentaire et une limite quant à la qualité nutritionnelle des aliments proposés par les associations d’aides alimentaires.
Aussi, il est indispensable que les politiques d’aménagement urbain prennent en compte l’enjeu de l’accessibilité à une alimentation saine et durable, en régulant l’occupation de l’espace public ou en maitrisant le foncier mis à disposition pour des fonds de commerce. Mais les collectivités peuvent également, via leur document d’urbanisme, planifier l’aménagement de lieux de production (fermes urbaines, jardins partagés…), de transformation et d’apprentissage (cuisine partagée), de distribution et de consommation d’une alimentation plus durable. Cette planification peut prendre la forme d’une trame alimentaire durable, comme l’illustre le travail de chercheurs de l’INRAE, du CIRAD et de l’Institut Agro de Montpellier dans le cadre du projet « Surfood-Foodscapes[3] », des travaux mentionnés également par la Chaire Alimentation du Monde de l’Unesco.
Pas de planification écologique sans reprendre en main les outils de la politique agricole
Organisme de conseil et de développement agricole, les Chambres d’agriculture mettent en œuvre depuis les années 50, dans une forme de cogestion avec l’État, les politiques de modernisation agricole. Ce sont des établissements publics, représentatifs du monde agricole et forestier et financés en majorité par des fonds publics. Si les missions de ces structures, en majorité présidées par la FNSEA répondent à un contrat d’objectifs et de performance avec l’État, elles restent cependant peu perméables aux orientations que les collectivités locales construisent à travers leur PAT.
Pour faire de cet établissement public un outil de mise en œuvre de la transformation écologique de l’agriculture, répondre aux défis du renouvellement des générations, ou lutter contre la financiarisation des fermes et favoriser l’accès au foncier, elles devraient intégrer les orientations stratégique définis à l’échelle des territoires. Bertrand Valiorgue, professeur de stratégie et gouvernance des entreprises à l’Université Clermont Auvergne, va plus loin et évoque la nécessité de créer des « Chambres territoriales des communs agricoles et alimentaires[4] », qui agiraient plus fortement sur la coordination et le financement des changements nécessaires à l’échelle du territoire.
Le fonctionnement actuel des Chambres d’agriculture est aussi à redéfinir en matière de gouvernance. Cela supposerait, à travers une loi de décentralisation, d’ouvrir ces instances à la représentation des territoires et aux associations environnementales, non pour confisquer ces instances au monde agricole, mais pour enrichir les débats et des décisions qui depuis trop longtemps, éludent les dégâts irréversibles que l’agriculture productiviste cause sur les écosystèmes, la santé des humains et poussent de nombreux agriculteurs dans la spirale de l’endettement.
Il conviendrait également de favoriser une meilleure pluralité des représentations syndicales, comme souligné par la Cours des Comptes qui évoque dans un rapport de 2023 la persistance d’une « inégale représentation des différents types d’agriculture » en introduisant par exemple davantage de proportionnelle dans le mode de scrutin (proposition défendue récemment par des député.e.s issu.e.s des groupes politique de gauche et écologiste).
La loi agricole ne doit pas manquer l’occasion d’inscrire l’agriculture comme un bien commun en renforçant les gouvernances et les stratégies alimentaires locales. À l’enjeu d’une représentativité plus forte des citoyens et de l’intérêt général au sein du système alimentaire, se superpose ainsi la question de la réappropriation des politiques qui doivent localement organiser l’avènement d’un paysage alimentaire plus durable. En réponse aux défis sociaux que pose l’avenir de notre agriculture, au dépassement des limites planétaires et à l’effondrement de la biodiversité, la planification écologique doit aujourd’hui se concrétiser par des lois, des normes et des moyens dédiés aux politiques publiques qui la mette en œuvre.