Se passer de peuple
Dans un article titré « Fabrique de peuples » publié le 22 février par AOC, le philosophe Gérard Bras propose une réflexion sur le peuple. L’intention est louable. Il s’agit, à première vue, de procéder à une clarification du « signifiant » peuple, dont certains mouvements de protestation ont pu faire une bannière de ralliement. Le texte fait référence aux mouvements de la décennie 2010, Athènes, New-York. En France, il y a eu Nuit debout et les « Gilets jaunes ». Peut-on dire que le peuple fait retour dans la politique contemporaine ? Gérard Bras semble prudent sur ce point. Sous le signifiant peuple, il n’y a peut-être qu’un spectre.

Pourtant, plus on avance dans la réflexion du philosophe, plus on comprend que son objectif est d’établir, ou de rétablir, la consistance de ce spectre. Encore ne s’agit-il pas seulement d’expliquer philosophiquement à quoi on se réfère quand il est question du peuple. L’enjeu est politique : le texte fait finalement office de vade-mecum pour les fabriques de peuples. Sa fonction s’entend dans les deux sens de l’énoncé : il faut bien faire peuple ! En un premier sens, il est nécessaire de « faire peuple » pour réactiver les promesses de la démocratie, pour continuer de lutter contre les multiples dominations, pour donner au plus grand nombre la possibilité de délibérer sur les affaires de la Cité. Le peuple reste le signifiant indispensable d’une politique de l’émancipation et de l’égalité. Mais, en un second sens, il faut « bien faire » peuple ! Entendons : pas n’importe comment. Quelques précautions s’imposent. L’analyse conceptuelle se fait ici normative pour expliquer comment éviter les écueils vers lesquels le spectre peuple pousse les populations.
Le premier écueil souligné par Gérard Bras est « l’aliénante union nationale ». Dans ce cas, le peuple est géolocalisé dans un « éthos » particulier, le pays (la France, par exemple). Son unité est « performée » par le discours que lui tient celui ou celle qui prétend être le