Société

Les territoires oubliés à l’avant-scène

Architecte, urbaniste, Architecte, urbaniste

Parler de « territoires oubliés » est une manière de mettre en valeur des territoires européens en perte de vitesse, qui appellent pourtant à des futurs désirables unissant le destin des campagnes, des villes et des métropoles.

«Territoires oubliés », territoires de gens qui ont le sentiment d’être oubliés, ce terme offre un sujet français et européen qui mobilise l’imaginaire pour rechercher un destin à des territoires souvent éloignés des métropoles, en perte de vitesse, souvent dans l’espace rural mais pas seulement car ils peuvent concerner des lieux moins éloignés des métropoles.

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Quel sens donner à l’oubli ? Prenons le parti d’affirmer que c’est le marché, et non l’État, qui oublie des pans entiers du territoire dans de nombreux pays européens. Le marché recherche densité, intensité des échanges et rapidité d’exécution. Les « territoires oubliés » sont pour la plupart peu denses, les échanges y sont moins intenses, les moyens en compétences et en financements moindres et les temps de développement de projets plus longs. Face à ces caractéristiques, les politiques publiques – innombrables – destinées à stimuler leur développement, échouent le plus souvent à engendrer des trajectoires vertueuses car quelque peu unificatrices et moins à l’écoute des territoires. Trop souvent catégorielles (villes moyennes, petites villes, espaces ruraux), elles semblent aussi très focalisées sur l’investissement public appuyé sur des modèles importés ou standardisés. Or, comme le disent souvent les élus, un seul projet d’investissement dans une petite commune peut mobiliser le budget de tout un mandat.

Que sont les territoires oubliés ?

L’exploration menée s’est polarisée sur les territoires en perte de vitalité, pas forcément pauvres, mais souvent en souffrance, dans un contexte politique, environnemental, urbain, et socio-économique amenant à considérer que c’est un sujet majeur qui exige une connaissance plus scientifique du contexte, ainsi qu’un repérage des actions menées ou en cours, mais aussi des offres d’ingénierie et de modes de faire qui aideraient au passage à l’acte pour une action plus structurée et efficace sur ces territoires. Ce sujet prend une pertinence accrue au regard des crises environnementales, sociales et économiques qui s’expriment lourdement sur ces territoires et qui pourraient trouver des réponses plus efficaces, que dans les « grands projets » des villes et métropoles.

« Territoires oubliés » est certes un terme osé, et pourtant nous l’assumons ! Oui car malgré l’investissement fort de l’État, partout en France, des gens s’y sentent oubliés, loin des métropoles, en manque de services et d’aménités urbaines. Mais loin de s’endormir, leurs divers acteurs inventent l’art de reconvertir leurs espaces, attirant des transfuges las d’un mode de vie trop urbain. Sans verser vers une vision romantique idéalisée du monde rural et des territoires périurbains, force est de constater que des pratiques expérimentales y émergent, inventant un nouvel urbanisme par bien des aspects exemplaire et susceptible d’inspirer utilement les politiques urbaines des métropoles pour aller vers plus d’agilité et une économie de la mesure.

Leur futur désirable résiderait dans le pari de décider qu’ils peuvent y parvenir, car ils pratiquent déjà une forme d’intervention continue sur leur patrimoine, inventant des programmes originaux et captant les initiatives locales, par opposition à la banalisation et à l’étalement urbains. La réflexion est européenne : l’Italie mène une stratégie nationale sur ses territoires intérieurs, l’Espagne désertifiée cherche à ne plus l’être et le Portugal lie les luttes pour l’équilibre socio-économique, luttes contre le réchauffement climatique et risque d’incendies. La prospère Suisse développe une solidarité entre les territoires perdants et ceux qui gagnent à travers les possibilités de redistribution de la fiscalité au sein des cantons.

Les territoires oubliés : il s’agit de leur offrir un futur désirable faute de quoi leur sentiment d’être oubliés les amènent à jouer des cartes contraires à celles qui pourraient les sortir de l’ornière, notamment en termes d’engagement dans la nécessaire bifurcation écologique. Ce qui se lit en France comme ailleurs en Europe dans les votes extrêmes, plus souvent à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche, non comme une adhésion à ces valeurs mais dans des votes protestataires. L’autre écueil qui les menace est celui des prédateurs d’espaces prétendus disponibles, tant pour renforcer la production des énergies renouvelables ou nucléaires, que pour des espaces dédiés à la logistiques ou une agriculture intensive destructrice de valeurs de santé et de biodiversité.

Les élus ruraux affirment qu’ils détiennent la clef d’un avenir écologique et de la lutte contre le réchauffement climatique. Les territoires ruraux représentent en surface 88 % du territoire français et 33 % de la population nationale. C’est sur ces territoires faussement prétendus « vides » – car invisibilisés et mal connus de la majorité des français – que se situent la ressource en eau, la capacité de production d’une alimentation plus saine et suffisante pour demain, la biodiversité, une grande part du potentiel énergétique, mais peut-être aussi une autre paix sociale ?

L’eau est l’un des sujets d’actualité les plus brûlants : l’eau qui inonde et celle qui se tarit avec des sécheresses de plus en plus marquées, alertant notamment sur l’avenir agricole, les extensions urbaines devenues souvent impossibles à desservir, les conflits d’usage, sans oublier les risques majeurs avec des événements douloureux aux conséquences dévastatrices en France, en Europe et ailleurs dans le monde. Même pour un pays tempéré comme la France, l’eau redevient une question centrale pour des sociétés de plus en plus bousculées par le réchauffement climatique.

Sur le sujet, la dernière note d’analyse de France Stratégie sur les prélèvements et les consommations d’eau demande à « clarifier les termes du débat » dans un « contexte actuel de tensions croissantes sur la disponibilité de la ressource en lien avec le changement climatique ». Ses auteurs précisent les ordres de grandeur et apportent des éclairages inédits, par exemple sur l’impact des prélèvements du secteur de l’énergie, la progression de l’irrigation agricole pour produire des denrées exportées, ou la multiplication des forages domestiques en soulignant l’importance d’« anticiper les déséquilibres » qui est crucial pour « anticiper les conflits d’usage… » et qu’« un effort de sobriété de tous les secteurs devra être engagé ».

Tous les jours, de nouveaux articles paraissent dans la presse et les colloques sont nombreux sur le sujet. Le plus saisissant est sans doute le récent rapport de la Cour des comptes consacré à l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique qui lie étroitement écologie et économie : « Ne pas s’adapter [au changement climatique], ou mal s’adapter, pourrait se révéler à terme bien plus coûteux ». L’institution souligne le lien étroit entre mesures prises par l’État et les collectivités et la vie des français : « Le citoyen est toutefois au centre du jeu. Rien ne peut se faire sans lui, a fortiori contre lui : la crise des gilets jaunes a montré que les Français entendaient être associés aux décisions qui touchent directement leur existence quotidienne ». La même Cour des comptes chiffre de manière drastique ce que coûtent les risques et la non-adaptation au changement climatique, coûts plus élevés que l’adaptation nécessaire qui concerne en premier lieu les territoires ruraux.

Mais parlons des assurances, dans un article du journal Le Monde, pour la seule année 2022, France Assureurs a par exemple estimé à 10,3 milliards d’euros le coût des sinistres climatiques qui s’accélèrent avec le réchauffement. En 2023, les inondations auraient coûté 10 milliards d’euros à l’Italie. « L’urgence nouvelle de l’adaptation résulte du fait que la lutte contre le réchauffement climatique tarde à produire ses effets : elle n’est en aucun cas la traduction d’un quelconque renoncement à l’atténuation » souligne encore la Cour des comptes.

Parions donc sur les « territoires oubliés » en liant leur potentiel différencié selon leur géographie et leur contexte, comme réservoir de l’avenir écologique français en calculant les coûts de la non-prise en compte des sujets qu’ils soulèvent avec le coût de l’adaptation et des réponses aux modes de vie qu’ils appellent. Offrir des réponses locales fortes aux crises multiples appelle un projet national qui unirait le destin des campagnes, des villes et des métropoles. Nombre d’exemples exposent des modes d’aménagement sobres, accueillant des énergies nouvelles, une agriculture raisonnée et des espaces de biodiversité, en appui sur le patrimoine d’une France riche de ses diversités.

Un peu de méthode 

L’exploration que nous avons menée s’est polarisée sur les territoires en perte de vitalité, pas forcément pauvres, mais souvent en souffrance. Ce sujet prend une pertinence accrue au regard des crises environnementales, sociales et économiques qui s’expriment lourdement sur ces territoires et qui pourraient trouver des réponses plus efficaces que dans les opérations d’aménagement des villes et métropoles. Nombre de signes indiquent une montée des insatisfactions depuis les territoires peu denses, appelant à une évolution du modèle urbain français qui favorise encore aujourd’hui l’étalement urbain et la polarisation du territoire, malgré toutes les injonctions et textes juridiques qui visent à les freiner et notamment la loi Zéro artificialisation nette des sols (ZAN)[1].

Notre réflexion[2] avait besoin d’un appui scientifique pour donner sens et contenu au terme et poursuivre l’indispensable exploration internationale. Un partenariat informel s’est noué avec des chercheurs soucieux du passage à l’acte et connaisseurs du « terrain », Philippe Estèbe et Xavier Desjardins. Dotés de financements de recherche, ils ont été associés à nos travaux et nous aux leurs.

Territoires oubliés : si le terme continue à faire débat, voire à en irriter certains, il semble repris par d’autres et faire image. Il est contesté par des économistes tels Laurent Davezies ou Pierre Veltz, Grand Prix de l’urbanisme 2017, car il est bien entendu que l’État français n’oublie aucun territoire. Dans son ouvrage L’État a toujours soutenu ses territoires[3], Davezies démontre que les territoires ruraux et peu denses seraient au contraire privilégiés par l’État. Il pointe la différence entre l’inégalité territoriale et l’iniquité territoriale : certains territoires ont le sentiment d’être oubliés, car ils ont une moindre densité de services publics alors qu’ils bénéficient d’une plus forte dotation financière par habitant que la moyenne nationale. En dépit de cela, le sentiment d’oubli et les contraintes quotidiennes sont bien présentes dans ces territoires et appellent des réponses pertinentes.

Des réponses, il y en a. Nul ne peut nier l’apport majeur de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) et des multiples dispositifs offerts aux territoires peu denses. Et pourtant, ils demeurent oubliés du marché immobilier et des acteurs économiques. Les chercheurs mettent en évidence la notion de « bien-être social » difficile à qualifier et le sentiment de relégation et d’invisibilité qui en découle. La définition concerne le flux plus que le stock : c’est la déperdition d’habitants, de services, les dynamiques socio-économiques, ainsi que le sentiment de dégradation qui caractérisent les territoires oubliés, comme l’indique Étienne Fize, économiste au sein du Conseil d’analyse économique : « Ce qui compte, c’est plus la dynamique de l’évolution que la situation objective à un temps T. »

Notre étude, menée en période de pandémie, a révélé que la créativité de ces territoires leur a permis de multiplier les initiatives. « Ces territoires sont déjà, pour beaucoup d’entre eux, très résilients car soumis aux risques de tremblements de terre et d’événements climatiques, explique l’anthropologue et chercheur italien Filippo Tantillo. En période de crise la ressource la plus importante est la communauté et l’habitude de se débrouiller seuls. » Des démarches expérimentales sont menées par des chercheurs comme c’est le cas pour POPSU Territoires, des urbanistes pour les Ateliers territoires, ou encore l’équipe de « La Preuve par 7 », portée par la Direction générale de d’aménagement, du logement et de la nature … (DGALN) du ministère de la Transition écologique et de la cohérence des territoires et conduite à l’initiative de Patrick Bouchain qui concerne notamment les bourgs et les villages.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pointe le cas français qui relèverait d’un modèle centralisé où l’écart entre les régions les plus productives, les plus riches, avec les plus hauts salaires et les autres s’est creusé, ce qui entraîne des problèmes sur le plan spatial, avec des inégalités qui croissent entre territoires gagnants ou perdants, et des effets d’exclusion qui ne cessent de s’intensifier.

L’écologie et l’agriculture au cœur des territoires oubliés

« Le paysan c’est quelqu’un qui fabrique du pays », dit Gilles Clément, jardinier-paysagiste. Les urbanistes et les aménageurs sont-ils bien au fait des attentes et des problèmes que vivent les agriculteurs ? Rien n’est moins sûr. Et l’alimentation ? Sommes-nous capables de concevoir un projet conscient, durable et cohérent, notamment avec l’accélération du réchauffement climatique, tout en liant urbanisme, agriculture et sols vivriers ?

Regardons la Suisse, devenue pionnière en votant, dès 1940, l’autosuffisance alimentaire de son territoire. La question agricole est en débat partout, quant à son rôle dans le réchauffement climatique, l’évolution de ses modèles ou la demande d’une alimentation saine. Quelques concepteurs tels l’architecte Pierre Janin, ou des foncières associatives comme Terre de Liens, étudient à toutes les échelles les compatibilités entre aménagement urbain et rural. Mais nous sommes sans doute au début d’une histoire qui peut modifier sensiblement la donne comme les missions des aménageurs à ce jour non titrés sur des projets urbano-agricoles.

Plus largement, l’écologie se niche évidemment dans les territoires oubliés, réservoirs de nature, de paysages, de biodiversité, lieux nourriciers, mais aussi lieux convoités pour les nouvelles énergies. Mais l’écologie, c’est aussi la possibilité de moins densifier les métropoles, de favoriser santé et bien-être et d’offrir les conditions qui permettent de vivre et de travailler en campagne. L’écologie c’est aussi l’art de la reconversion, mais aussi de la construction vertueuse inventive qui s’expérimente dans ces territoires.

L’évolution des maîtrises d’œuvre et d’ouvrage

On constate que les aménageurs institutionnels sont peu présents là où leur professionnalisme serait bienvenu, faute de pouvoir fonctionner avec leurs modèles usuels. Mais s’y substitue un bricolage où des « urbanistes aux pieds nus » développent des pratiques d’assistance à maîtrise d’ouvrage originales. Comment faire en sorte que des aménageurs sortent de leur zone de confort pour s’investir sur ces territoires en suscitant leur propre commande et en inventant de nouveaux modèles ?

Les concepteurs, eux, sont plus coutumiers du fait. L’urbaniste Paola Viganò, après avoir proposé sa vision d’une « métropole horizontale » en Wallonie, développe des projets précis à toutes les échelles pour mettre en œuvre cette vision ; en étudiant le destin de la petite ville de La Louvière, à l’ouest de Charleroi en Belgique, puis la vallée de la Vesdre. Comme le montre Simon Teyssou, architecte-urbaniste, Grand Prix de l’urbanisme 2023 et directeur de l’École d’architecture de Clermont-Ferrand, cela peut aller jusqu’à élaborer un plan-guide qui sert de boussole à toute intervention sur le territoire du Rouget et ailleurs.

Pour passer à une autre dimension d’intervention, la mobilisation des aménageurs serait hautement souhaitable. Elle passe néanmoins par une capacité à s’ouvrir à de nouvelles cultures à de nouvelles pratiques en prenant en considération ce qui caractérise l’action sur ces territoires : la lenteur du processus au regard du marché, des moyens communaux et de la capacité à attirer les initiatives ; ce qui appelle aussi une forme d’urbanisme transitoire ; toutes choses peu habituelles dans le métier de l’aménageur.

Une évidence : le manque de moyens oblige à trouver les logiques économiques pour tenter des péréquations entre les territoires – comme en Suisse – mais aussi à réfléchir à une combinaison d’outils faisant appel à des solutions agiles : prendre appui sur les Établissements publics fonciers (EPF), tirer parti de la complémentarité Société d’économie mixte/société publique locale (SEM/SPL), constituer des SEM patrimoniales ou des foncières pour porter certains programmes ou projets que les acteurs privés ne savent pas gérer (rez-de-chaussée, programmes singuliers…). En la matière, les expériences ne manquent pas, mais elles sont à rendre plus lisibles.

La diversité des modèles érigée en richesse

Nombre de sujets sont à explorer. Citons notamment le rôle du numérique et son apport en termes de travail, de services, de santé, de mobilité. Ces thématiques sont à mener conjointement, à croiser pour tenter de les rendre opérationnels dans un projet plus global. L’art contemporain peut aussi jouer sa partie comme le démontre les œuvres conçues par le « Voyage à Nantes » qui révèlent des paysages magiques jusque-là inaccessibles ou qui deviennent parfois l’identité d’un bourg, en fabriquant ainsi du même coup auto-estime et attractivité. Pour agir sur ces territoires, il est nécessaire de prendre acte de la diversité des modèles comme une richesse, et non comme une source de complication, et de les développer. Se dégage encore plus qu’ailleurs l’indispensable ancrage territorial, en partant de l’essence des territoires, du déjà-là. La stratégie nationale pour les aires intérieures italienne démontre l’importance de la présence des experts in situ, les amenant à partir des initiatives locales déjà en cours et non des normes ou d’un cadre trop formaté descendant comme le sont les appels à projets.

Plus largement, comme l’indique Pedro Siza Vieira, ancien ministre portugais de l’Économie et de la Transition numérique, revitaliser ces territoires est vital pour économiser les sols, moins densifier les villes, réduire les besoins de transport et donc agir dans le sens de la lutte contre l’étalement urbain et l’artificialisation des territoires. Il s’est également agi de considérer que les territoires laissés à l’abandon sont problématiques et l’entretien du territoire joue un rôle écologique majeur permettant d’éviter des catastrophes climatiques (et notamment les incendies).

Dans cette perspective, l’urbaniste Pierre Veltz alerte sur l’impérative nécessité de réserver de larges espaces à la biodiversité, à l’agriculture, sans oublier ceux qui seront nécessaires à la production des énergies renouvelables. Le « small is beautiful » dans ces domaines ne sera pas à la hauteur des enjeux vitaux pour la survie et l’évolution heureuse du territoire français dans son ensemble. Certes, il faudra alors en définir le modèle économique pour dédommager ceux qui devront livrer leurs terres à ces enjeux majeurs, comme cela a été fait pour les installations nucléaires.

Pour un « projet France »

Les territoires oubliés appellent un « projet France » qui les intègre dans une utopie qui s’appuierait sur ce qui semble être la fin d’un modèle d’aménagement en passe de susciter des rejets, celui de la densification extrême des métropoles sans que celle-ci ne produise d’externalités positives. Combiné à la difficulté du modèle financier des opérations urbaines et la raréfaction des ressources publiques, cela appelle à oser des utopies qui diffèrent du mainstream.

Une utopie n’est, contrairement à l’adage, non un rêve impossible mais au contraire une direction qui bifurque par rapport aux habitudes, qui lie l’espace, le social et l’économique et qui vise à la traduction concrète et rigoureuse d’un idéal. La plupart des utopistes urbains s’appuyaient sur les thèses d’utopistes sociaux et économiques ; faute de quoi leurs propositions ne prennent pas sens.

Osons donc une utopie où les villages, petites et moyennes villes se densifieraient sans consommer d’espaces naturels, par reconversion d’un patrimoine à valoriser, dont les transports seraient assurés par toutes les innovations à l’œuvre non seulement technologiques, où le télétravail se généraliserait… Les territoires oubliés représenteraient alors clairement le potentiel majeur d’un futur écologique, mais aussi alimentaire, énergétique et économique.

Alors pourquoi ne pas remettre en cause un modèle dominant qui se heurte à ses limites écologiques, climatique, financière et économique, mais aussi en termes de modes de vie et d’équité territoriale ? Pourquoi en métropole ne pas s’inspirer des modes de faire sobres, participatifs et qualitatifs qui s’inventent à la campagne ? Pourquoi ne pas développer les projets urbano-agricoles, urbano-énergétiques, industrialo-ruraux-urbains, soucieux de la ressource eau de plus en plus rare, ancrés dans des patrimoines au sens large du terme ? Comment mieux intégrer la dimension sédimentaire et le temps long de la conception et la mise en œuvre de la ville, nécessaires à son appropriation par les habitants ? Si on adhère à ces questionnements, c’est une remise en cause large des concepts et méthodes de l’urbanisme à l’œuvre, qu’il faut engager.


[1] Loi climat et résilience du 22 août 2021 qui a fixé l’objectif d’atteindre le « zéro artificialisation nette des sols » (ZAN) en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d’ENAF dans les dix prochaines années (2021-2031). 

[2] Réflexion menée dans le cadre des groupes de travail du Club Ville Aménagement ayant donné lieu à la publication d’un livre Ariella Masboungi, Guillaume Hébert, Les territoires oubliés, un futur désirable, Le Moniteur, 2024.

[3] Laurent Davezies, L’État a toujours soutenu ses territoires, La république des idées, 2021.

Guillaume Hébert

Architecte, urbaniste, Co-fondateur « Une Fabrique de la Ville »

Ariella Masboungi

Architecte, urbaniste

Notes

[1] Loi climat et résilience du 22 août 2021 qui a fixé l’objectif d’atteindre le « zéro artificialisation nette des sols » (ZAN) en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d’ENAF dans les dix prochaines années (2021-2031). 

[2] Réflexion menée dans le cadre des groupes de travail du Club Ville Aménagement ayant donné lieu à la publication d’un livre Ariella Masboungi, Guillaume Hébert, Les territoires oubliés, un futur désirable, Le Moniteur, 2024.

[3] Laurent Davezies, L’État a toujours soutenu ses territoires, La république des idées, 2021.