Macron, les Jeux olympiques et le retour de flamme
Lorsque le 13 septembre 2017, lors de la 131e session du Comité international olympique (CIO), à Lima, Paris est désignée pour accueillir les Jeux olympiques d’été 2024, la planète se projette immédiatement dans la « ville lumière », dont le halo constitue encore une boussole pour nombre de régions du monde.
Qui peut alors imaginer un seul instant que les Jeux de la XXXIIIe Olympiade se tiendront dans une France en proie à une crise de régime ? Emmanuel Macron a en effet été élu président de la République quatre mois auparavant sur la double promesse du progressisme et de l’éradication de l’extrême droite. Sept années d’arrogance et d’autoritarisme plus tard, ni l’une ni l’autre n’ont été tenues.
Pire : le 9 juin dernier, sur une énième décision impulsive, Frankenstein a pris le risque insensé de livrer le pays à sa créature, un Rassemblement national (RN) comptant désormais 10 millions d’électeurs. Depuis 1940, on n’avait jamais vu les ténèbres d’aussi près. Les Jeux auraient pu se transformer en Traversée de Paris.
Dès le 1e juin 2017, toutefois, l’eau tiède du « même temps » avait pris un préoccupant aspect trouble. On ne sait quelle mouche pique le chef de l’État ce jour-là alors qu’il est en déplacement à Mayotte, « jeune fou qui se croit tout permis et qui pour un bon mot va perdre vingt amis »[1] : « Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien. » Mais ce Monsieur Sans-Gêne semble se complaire dans l’improvisation bien qu’en matière diplomatique le procédé ait un périmètre très circonscrit. Quelques mois plus tard, à l’université de Ouagadougou, il enverra le président burkinabé « réparer la climatisation ». S’ensuivra une politique étrangère erratique, de leçons condescendantes en solutions bancales.
Puisque l’accueil du monde entier est à l’ordre du jour, Le Monde Diplomatique dresse sans son édition de juillet le bilan désastreux d’un septennat de politique étrangère macronienne : « Cheminement illisible » en Afrique ayant contribué au départ des troupes françaises du Burkina Faso et du Mali et à la déstabilisation du Niger ; nonobstant la commande à l’historien Benjamin Stora d’un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, « doute de l’existence d’une nation algérienne avant cette colonisation », le Maghreb dans son ensemble s’accordant aujourd’hui sur le fait qu’il « ne figure plus parmi les priorités françaises », au moment même où ses ressortissants sont pointés du doigt par le RN ; bienveillance surjouée dans l’instant puis ingérence et suffisance à Beyrouth au lendemain de l’explosion de son port ; après le 7 octobre, proposition, « sans se concerter avec le Quai d’Orsay », d’une coalition internationale pour lutter contre le terrorisme, synonyme pour les capitales arabes d’un abandon par la France de sa position diplomatique traditionnellement équilibrée au Proche-Orient.
« Humiliation » de la signature en catimini du pacte Aukus (pour l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis) mettant pour le moins à mal la stratégie d’alignement sur ces trois « alliés » en Indo-pacifique ; « ambiguïté » et « navigation à vue » à propos de l’Ukraine, invitant d’abord à « ne pas humilier la Russie » puis estimant « devoir envoyer des mecs à Odessa » ; art de la godille encore dans la reconnaissance du président de l’Assemblée nationale Juan Guaido comme chef de l’État vénézuélien avant de reconsidérer Nicolas Maduro une fois le pétrole russe sous sanctions. À cet album de prouesses on pourrait ajouter la photo postée sur X par le président argentin fraîchement élu Javier Milei montrant son homologue français posant un maillot du club de football Boca Juniors en mains avec cette dédicace du populiste : « Vive la liberté bordel ! »
Autrement dit, l’homme-serpent qui le 24 juillet va souhaiter la bienvenue à la terre entière est à peu près brouillé avec la moitié de celle-ci et observé avec circonspection par l’autre. Et dans son propre foyer, qu’il gère comme une agence bancaire, il est désormais un homme seul qui se nourrit de déni. Le résultat des élections législatives lui épargnera juste le voisinage incommodant de Jordan Bardella en tribune officielle mais le maître de cérémonie qui se rêvait roi d’Élide ressemblera plus pour le coup à Vil Coyote fumé par la grenade dégoupillée par ses soins.
Une médaille des JO ne se décroche pas en traversant la rue.
Interviewé en début d’année par Décideurs du Sport à propos des retombées des Jeux olympiques sur l’enseignement de l’éducation physique et sportive, l’historien Claude Lelièvre se montrait très réservé à l’égard des initiatives prises en la matière, voyant dans celles-ci un opportunisme politique plus qu’une réelle volonté de renforcer la place du sport à l’école. Particulièrement sévère à l’endroit de l’exécutif, il déclarait : « Ce qui va compter avant tout dans les mois qui viennent pour Emmanuel Macron, c’est de tirer dans la mesure du possible un avantage historique de la période des Jeux olympiques en France où pourrait se jouer sa figuration dans l’Histoire. Ce sont les Jeux olympiques de Jupiter. »
Mais ça c’était avant le coup du menton du 9 juin et le retour de flamme qui s’en est suivi. À la veille de leur ouverture, ces Jeux sont en réalité moins que jamais ceux de Jupiter, ils réintègrent leur champ premier et naturel, Paris, et l’été ne se résumera pas comme on pouvait légitimement le craindre à un décompte des médailles de la Macronie qui gagne puisque cette dernière a déjà presque tout perdu, sa morgue exceptée.
Aussi ne versons pas dans le défaitisme d’un Jean-François Copé qui considère qu’Emmanuel Macron « a tout gâché, y compris des Jeux olympiques auxquels plus personne n’a envie de participer ». Emmanuel Macron n’a pas tout gâché, il a failli commettre l’irréparable : précipiter le pays dans l’abîme en hâtant l’arrivée au pouvoir du RN sous prétexte de le combattre. Certes, en dépit du soulagement du 7 juillet, l’ambiance n’est pas vraiment à la célébration après un mois d’angoisse collective et de désinhibition de la haine, et avec de surcroît une bonne dose d’incertitude pour l’avenir, mais réjouissons-nous au moins de pouvoir rendre ces Jeux olympiques et paralympiques à qui ils appartiennent, à savoir aux athlètes, et en particulier aux membres du groupe France.
Qu’ils oublient les remontrances élyséennes déplacées d’après-Tokyo : « Le succès des Jeux de Paris ce sera celui de nos sportifs car ça marche comme ça. Les résultats sont là, mais des progrès restent possibles. Le bilan global de ces Jeux olympiques n’est pas tout à fait au niveau que nous attendions. Nous savons que sur certains sports, il est même mitigé. Et on ne peut construire une réussite si on ne se dit pas les choses », s’étaient-ils, rappelez-vous, fait admonester en rentrant à la maison, au cours d’une réunion marketing à laquelle il ne manquait qu’un PowerPoint.
Qu’ils négligent la « saine pression » (sic) remise, en février dernier, à l’occasion de la cérémonie des vœux présidentiels à l’INSEP, au cours de laquelle le concepteur des « cordées de la réussite », recyclées pour l’occasion en « cordée du sport », avait répété les objectifs : top 5 du classement olympique des nations et top 10 de son pendant paralympique, une projection by Gracenote, société cousine de McKinsey. Cette parole est aujourd’hui totalement dépréciée. Les JO ne se réduisent pas à un tableau Excel. Une médaille ne se décroche pas en traversant la rue. La haute performance ne se décrète pas, elle se construit patiemment, au sein d’un écosystème reposant sur un fragile équilibre d’audace et de sécurité. Et dans les enceintes olympiques, il n’y aura pas « les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien ».
Enfin, que celles et ceux qui se couvriront d’or ne tombent pas dans le même piège que Kylian Mbappé, cajolé, accaparé, privatisé, utilisé, exploité, manipulé par le pouvoir, au point de ne plus s’appartenir et de perdre le fil de son football, la preuve en est son Euro totalement raté. Il était grand temps pour l’enfant de Bondy de s’affranchir de ce parrainage toxique en allant exprimer son talent ailleurs et il est heureux que le président du Real Madrid n’ait pas tenu compte de l’insistance de l’omnipotent du 55 Faubourg-Saint-Honoré pour que son « filleul » participe à ces Jeux olympiques, tournoi mineur pour un joueur de son rang dans lequel il avait beaucoup plus à perdre qu’à gagner.
« Je sais notre pays fort d’une jeunesse audacieuse, vaillante, prête au même esprit de sacrifice que ses aînés », déclamait à la veille des commémorations du débarquement en Normandie celui qui s’apprêtait à jouer à la roulette russe avec elle. L’heure n’est heureusement pas à la belligérance. Ni au lyrisme. Mais plutôt à l’existentialisme. « Car je suis un homme, Jupiter, et chaque homme doit inventer son chemin. La nature a horreur de l’homme, et toi, toi souverain des Dieux, toi aussi tu as les hommes en horreur. »[2]