Le Mali que je connaissais n’est plus
« Méfie-toi des souvenirs comme d’une montre arrêtée ! »
Georges Schéhadé
Le mot nostalgie n’apparaît dans la langue française qu’à la fin du XVIIe siècle et il appartenait d’abord au langage médical. Il désignait une douleur, une maladie, une algie propre à l’exil et à l’obsession d’un retour compromis vers le lieu de naissance. En 1835, le mot entre dans le dictionnaire de l’Académie française, non plus pour désigner une maladie, mais un sentiment : un mélange de tristesse, d’ennui et de regret.

Depuis lors, les analyses de cet état d’âme oscillent entre trois pôles : la médecine du scalpel et des bactéries, celle de la psychopathologie et la littérature. Les chercheurs en sciences sociales ne sont pas à l’abri.
Le Mali de la maya
Pendant près de cinquante ans, le Mali ne fut jamais pour moi sujet de nostalgie, d’autant que mon terrain se passait sous le régime dictatorial de Moussa Traoré. Toutefois, les transports aériens, la liberté de circulation et une autorisation de recherche me permettaient d’aller presque tous les ans dans les différentes régions du pays. À chaque retour, mes amis me disaient « tu as duré » ; sous-entendu « sans venir ». Je comptais pourtant parmi les ethnographes qui inlassablement reviennent ou retournent sur le même terrain.
On ne voit alors les changements que comme glissements progressifs et une éventuelle nostalgie ne se réfère qu’à la fuite du temps ; celui de la jeunesse, celui de la maturité, puis celui de la disparition des proches. Ma nostalgie n’a donc pas grand-chose à voir avec le profond mal-être du bagnard, du soldat en campagne, ou du travailleur émigré.
J’ai néanmoins le sentiment que le Mali que je connaissais n’est plus : une page historique s’est tournée. En l’espace d’une grosse décennie, le Mali de mes souvenirs, avec son extraordinaire humanité (maya) est devenu une terre d’attentats, de terrorisme, d’unités combattantes (katiba) et de prises d’otages.
Depuis 2012, l’État du Mali s’est progressivement