Politique culturelle

L’étouffement technocratique des droits culturels

Économiste

Paradoxe : une partie des acteur·ices du monde de l’art est à la fois pour et contre les droits culturels. C’est qu’il y a, ici, les valeurs humanistes des droits culturels et, là, leur traduction dans les dossiers de subvention, où prime le bon sens technocratique. Il faut repenser le rapport entre la promesse politique et la pratique des droits culturels.

Lors d’un récent séminaire avec des professionnel·les des arts et de la culture, j’ai, une fois de plus, expliqué le sens et la portée des droits culturels. Je l’ai fait en prenant des précautions de langage : je connais l’hostilité frontale d’un certain nombre de professionnel·les du secteur vis-à-vis de ce référentiel et je préfère mettre surtout l’accent sur l’éthique de la liberté et de la dignité des personnes, dont les personnes-artistes, qui fonde toute politique de droits culturels.

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Cette approche humaniste convient généralement à une partie des professionnel·les. En revanche, elle laisse de glace d’autres acteurs des arts qui ne voient dans les droits culturels que « théorie », « abstractions », « philosophie »… Ainsi, généralement, il y a, d’un côté, les « pour » et, de l’autre, les « contre » !

Mais, lors de ce séminaire, j’ai entendu une autre réaction qui m’a troublé : un professionnel des arts, de solide réputation, s’est exprimé pour dire « oui aux droits culturels » en référence aux valeurs éthiques que j’avais rappelées, mais, tout aussi fermement, « non aux droits culturels » ! Un « oui et non » qui manifestement a été largement approuvé par les autres participants au séminaire.

L’explication de cette position est venue très vite : certes, il y a les bonnes valeurs des droits culturels, mais il y a aussi leurs traductions dans la pratique des dossiers de subvention. Dans la pratique des artistes, les droits culturels sont, en fait, venus alourdir considérablement les obligations à remplir pour obtenir une subvention ou être lauréat d’un appel à projet ; ils sont devenus une couche supplémentaire de contraintes, qui s’ajoutent à la longue liste qui va de la décarbonation à l’égalité des genres, de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles à la proximité avec les publics des quartiers prioritaires, sans compter la nécessité d’être en réseau ou de mutualiser des moyens et d’être attractif pour le territoire, de lutter contre les di


[1] L’Observation générale n° 21 est un document de synthèse réalisé par le Comité de suivi du PIDESC pour éclairer la compréhension du droit de chacun de participer à la vie culturelle (article 15 du PIDESC). Dans ce document, il est indiqué que l’acceptabilité est une condition nécessaire pour respecter les droits culturels des personnes : « L’acceptabilité implique que les lois, politiques, stratégies, programmes et mesures adoptés par l’État partie en matière de droits culturels devraient être élaborés et mis en œuvre d’une manière acceptable pour les individus et les communautés concernés. À cet égard, des consultations devraient être organisées avec les individus et les communautés concernés afin de veiller à ce que les mesures adoptées pour protéger la diversité culturelle soient acceptables aux yeux de tous. »

[2] De manière plus générale, il y a nécessité de résister au mouvement de marchandisation des associations. Cf. l’Observatoire citoyen de la marchandisation des associations (OCMA).

[3] Voir Alain Desrosières, Prouver et gouverner. Une analyse politique des statistiques publiques, texte établi par Emmanuel Didier, La Découverte, 2014, et Alain Supiot, La Gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014), Fayard, 2015 (« La raison du pouvoir n’est plus recherchée dans une instance souveraine transcendant la société, mais dans des normes inhérentes à son bon fonctionnement. Prospère sur ces bases un nouvel idéal normatif, qui vise la réalisation efficace d’objectifs mesurables plutôt que l’obéissance à des lois justes »).

Jean-Michel Lucas

Économiste, Président du Laboratoire de transition vers les droits culturels

Notes

[1] L’Observation générale n° 21 est un document de synthèse réalisé par le Comité de suivi du PIDESC pour éclairer la compréhension du droit de chacun de participer à la vie culturelle (article 15 du PIDESC). Dans ce document, il est indiqué que l’acceptabilité est une condition nécessaire pour respecter les droits culturels des personnes : « L’acceptabilité implique que les lois, politiques, stratégies, programmes et mesures adoptés par l’État partie en matière de droits culturels devraient être élaborés et mis en œuvre d’une manière acceptable pour les individus et les communautés concernés. À cet égard, des consultations devraient être organisées avec les individus et les communautés concernés afin de veiller à ce que les mesures adoptées pour protéger la diversité culturelle soient acceptables aux yeux de tous. »

[2] De manière plus générale, il y a nécessité de résister au mouvement de marchandisation des associations. Cf. l’Observatoire citoyen de la marchandisation des associations (OCMA).

[3] Voir Alain Desrosières, Prouver et gouverner. Une analyse politique des statistiques publiques, texte établi par Emmanuel Didier, La Découverte, 2014, et Alain Supiot, La Gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014), Fayard, 2015 (« La raison du pouvoir n’est plus recherchée dans une instance souveraine transcendant la société, mais dans des normes inhérentes à son bon fonctionnement. Prospère sur ces bases un nouvel idéal normatif, qui vise la réalisation efficace d’objectifs mesurables plutôt que l’obéissance à des lois justes »).