Politique culturelle

Usages de l’art et arts de l’usage (1/2) – climat théorique

Historien de l'art

L’autonomie de l’art n’est pas une propriété relevant de sa nature, mais une construction socio-historique occidentale. Au regard des bouleversements écologiques et sociaux contemporains, la soi-disant « autonomie de l’art », qui a pu un temps s’avérer émancipatrice, se révèle être une indifférence mortifère. Une nouvelle génération d’artistes réinterroge ainsi les usages de l’art, tout en évitant d’être récupérée par une société capitaliste où tout doit être utile.

Une scène connue de tout professionnel·le de la culture est revisitée par une énième occurrence : lors d’une réunion de travail pour le lancement d’un projet mixte de grande envergure, mêlant action sociale, création artistique et transition environnementale[1], un débat sur la place des arts et de la culture émerge entre un collectif d’habitant·es militant·es et des associations à la pointe de la création artistique émergente.

publicité

Pour ces structures, acculées à justifier leur implantation dans un quartier précaire[2] où sont déjà installés quelques équipements emblématiques de la vie culturelle marseillaise, rien d’évident à répondre à : « Les habitants n’en peuvent plus d’être sollicités pour participer à des créations, ils ont faim ! ont besoin de soins ! »

Cette séquence est, certes, une incarnation à l’extrême de serpents de mer concernant les justifications des budgets de la culture au sein de l’État ou des collectivités territoriales, un marronnier du débat sur « l’utilité de l’art » face aux besoins vitaux qui a déjà effleuré l’esprit de chacun, au moins depuis l’épidémie de Covid-19 et le classement non-essentiel de la culture. Mais lors de cette conversation, quelque chose semblait avoir changé dans l’air du temps et le classicisme des réponses d’hier avait moins cours, remplacé ou complété par de nouvelles méthodologies. Dans les équations que les acteurs culturels ont à résoudre, tenant ensemble des injonctions parfois contradictoires, entre respect de la liberté de l’artiste et transmission des œuvres, entre recherche et pédagogie, entre exigence et inconditionnalité, de nouvelles manières de faire semblaient poindre en creux des discours, révélant un léger glissement de la norme – ou un évasement de celle-ci.

Si le compromis « traditionnel » autour de la création artistique comme déploiement d’une scène symbolique en résonance mais en retrait du monde a toujours été fragile[3], il est aujourd’hui de nouveau ruminé par des mâchoires puissantes. D


[1] Le projet est porté par Yes We Camp, l’association initiatrice des Grands Voisins à Paris ou de Coco Velten à Marseille, et par un consortium d’acteur·ices.

[2] La Belle-de-Mai est souvent décrit comme le quartier le plus pauvre de France, voire d’Europe.

[3] Pour un historique condensé d’une histoire des arts qualifiés d’utiles, voir Rossella Froissart, « Utilités de l’art », in Bertrand Tillier et Philippe Poirrier (dir.), Aux confins des arts et de la culture, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 109-125.

[4] Voir Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005.

[5] Voir Françoise Vergès, Programme de désordre absolu. Décoloniser le musée, La Fabrique, 2023.

[6] Le droit de chacun·e à participer à la vie culturelle selon sa propre culture, mouvante et plurielle.

[7] Voir Julia Burtin Zortea (texte) et Louise Drul (dessins), Aujourd’hui, on dit travailleur·ses de l’art, Manuels, 2022.

[8] Voir Nathalie Heinich, L’Élite Artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Gallimard, 2005.

[9] Au sens de science du beau et, par glissement, de philosophie de l’art.

[10] Bien que son analyse ne soit pas aussi univoque que ses réceptions ultérieures. Voir Sabine Forero-Mendoza et Pierre Montebello, Kant, son esthétique. Entre mythes et récits, Les Presses du réel, 2013.

[11] Walter Benjamin évoque le passage de la valeur cultuelle à la valeur d’exposition.

[12] Voir Krzysztof Pomian, Le Musée, une histoire mondiale, édition en trois volumes, Gallimard, 2022.

[13] Voir Jérôme Glicenstein, L’Art : une histoire d’expositions, Presses universitaires de France, 2009.

[14] Voir Laurent Cauwet, La Domestication de l’art. Politique et mécénat, La Fabrique, 2017.

[15] Qui, par exemple, peut être celle de Jacques Rancière. Voir Carole Talon-Hugon, Morales de l’art, Presses universitaires de France, 2009.

[16] « Pourquoi, me suis-je demandé, compte-tenu de mon intérêt pour ces questions, ma réaction initiale à l’idée d’une “esthétique du soin” qui ai

Raphaël Haziot

Historien de l'art, Coordinateur artistique et éditorial au sein de l'association Yes We Camp

Notes

[1] Le projet est porté par Yes We Camp, l’association initiatrice des Grands Voisins à Paris ou de Coco Velten à Marseille, et par un consortium d’acteur·ices.

[2] La Belle-de-Mai est souvent décrit comme le quartier le plus pauvre de France, voire d’Europe.

[3] Pour un historique condensé d’une histoire des arts qualifiés d’utiles, voir Rossella Froissart, « Utilités de l’art », in Bertrand Tillier et Philippe Poirrier (dir.), Aux confins des arts et de la culture, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 109-125.

[4] Voir Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005.

[5] Voir Françoise Vergès, Programme de désordre absolu. Décoloniser le musée, La Fabrique, 2023.

[6] Le droit de chacun·e à participer à la vie culturelle selon sa propre culture, mouvante et plurielle.

[7] Voir Julia Burtin Zortea (texte) et Louise Drul (dessins), Aujourd’hui, on dit travailleur·ses de l’art, Manuels, 2022.

[8] Voir Nathalie Heinich, L’Élite Artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Gallimard, 2005.

[9] Au sens de science du beau et, par glissement, de philosophie de l’art.

[10] Bien que son analyse ne soit pas aussi univoque que ses réceptions ultérieures. Voir Sabine Forero-Mendoza et Pierre Montebello, Kant, son esthétique. Entre mythes et récits, Les Presses du réel, 2013.

[11] Walter Benjamin évoque le passage de la valeur cultuelle à la valeur d’exposition.

[12] Voir Krzysztof Pomian, Le Musée, une histoire mondiale, édition en trois volumes, Gallimard, 2022.

[13] Voir Jérôme Glicenstein, L’Art : une histoire d’expositions, Presses universitaires de France, 2009.

[14] Voir Laurent Cauwet, La Domestication de l’art. Politique et mécénat, La Fabrique, 2017.

[15] Qui, par exemple, peut être celle de Jacques Rancière. Voir Carole Talon-Hugon, Morales de l’art, Presses universitaires de France, 2009.

[16] « Pourquoi, me suis-je demandé, compte-tenu de mon intérêt pour ces questions, ma réaction initiale à l’idée d’une “esthétique du soin” qui ai