International

Vous avez dit empires ?

Sociologue

Dans un monde partagé entre quelques big nations autocrates, complices et rivales entre elles, la démocratie n’a pas gagné au change. Qu’en est-il de l’Europe, incapable de s’affirmer sur la scène mondiale et tentée de flirter avec l’extrême droite ? Ne devrait-elle pas se refonder politiquement, non pas en se fragmentant en vingt-sept États autoritaires, mais en se donnant les moyens de devenir une véritable puissance mondiale démocratique ?

Les sursauts de l’Europe actuelle, coincée entre la reconnaissance de ses identités multiples à l’intérieur et son sentiment d’impuissance à l’extérieur, soulignent les faiblesses de sa constitution : un marché unique, une avalanche de normes administratives et une addition de nations souveraines, cela n’existe pas face aux empires qui s’emparent du globe. Ceux-ci ont pris acte de la fin des grands duels du XXe siècle, pour accepter qu’ils sont désormais plusieurs, à la fois complices et rivaux, s’arrangeant pour se partager le monde, entre États-Unis, Chine, Inde, Russie, tout en manipulant autrement le rapport Nord/Sud, si déséquilibré.

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La démocratie n’a pas gagné au change : tandis que chez eux, la plupart de ces pays ont désormais instauré un autoritarisme despotique, au mieux, et au pis une dictature violemment répressive, tout en organisant avec vigueur l’assimilation forcée de leurs minorités, entre eux ce mélange de rivalité complice et de tolérance intéressée permet le maintien de relations économiques, à la condition tout à fait respectée de ne plus se mêler des affaires intérieures de chacun. En ce sens, la relation de Trump à la Chine et à la Russie a été un résumé caricatural de ce nouvel impérialisme partagé.

À côté de cela, sans oublier les pays intermédiaires, qui, sans être non plus tous des modèles de démocratie, aimeraient rejoindre le club sans en avoir vraiment les moyens, en jouant plus ou moins habilement de la concurrence entre ces néo-empires, comme le maladroit Brésil, la maligne Turquie — un ancien empire, justement — ou l’Iran, pour sa zone d’influence chiite, il reste deux grands perdants, si l’on raisonne dans les mêmes termes : l’Europe, un continent de plus en plus inaudible sur la scène internationale malgré ses multiples richesses et sa riche diversité ; et les pays africains, de plus en plus dépendants, appauvris, condamnés à se donner tour à tour au plus puissant – on aimerait pouvoir dire au plus offrant, si ces cadeaux


Antoine Hennion

Sociologue, Chercheur au Centre de sociologie de l’innovation