Société

Le commun par l’usage, post-scriptum

Artiste, sociologue

Troublantes sont les trajectoires parallèles d’une œuvre et d’un lieu de vie et de travail artistique installé en territoire. Le projet de l’un est empêché, symptôme d’une volonté politique de neutraliser l’art ; l’autre, dans un tel climat, passe du symbolique à la réalité. Les élections ont montré des communes clivées, un être ensemble en sursis. Quid alors de la possibilité d’un commun par l’usage dans ces espaces fissurés ? et quid du rôle des artistes ?

En 2011, l’artiste Guillaume Robert propose This isn’t a poem, composé de deux ensembles d’œuvres. Le premier met en jeu, de manière plastique, visuelle et sensible, la question des dispositifs sécuritaires. Le second s’attache plus spécifiquement à ce que l’on connaît aujourd’hui comme l’affaire de Tarnac.

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Cette dernière débute le 11 novembre 2008 par l’arrestation à leur domicile de Julien Coupat, d’Yildune Lévy et de huit autres personnes et leur mise en accusation dans le cadre de l’enquête sur le sabotage coordonné de plusieurs lignes de TGV. Comme le rappelle une tribune publiée dans Le Monde le 2 février 2009, le premier tort de ce groupe de jeunes gens fut alors « de ne pas penser bien et de ne pas vivre comme tout le monde ». En témoigne, aux yeux des services de l’antiterrorisme français, la présence, dans leur bibliothèque respective, d’un certain nombre de livres « subversifs ». C’est également un livre, L’insurrection qui vient, publié en 2007 aux éditions La Fabrique, jugé « dangereux » par ces mêmes services et intégralement versé au dossier d’instruction, qui sera par la suite au cœur de l’affaire.

Prenant au sérieux le péril qui pèse alors sur les ouvrages de philosophie politique et de pensée critique, Guillaume Robert imagine de transformer les ruches des campagnes françaises en « caches insurrectionnelles », en lieux de repli, de refuge, en bibliothèques clandestines. Intitulée Prototype Dormant, la pièce est composée de plusieurs ruches fermées par de lourdes pierres et accompagnées d’un triptyque textuel ébauchant de manière lyrique le scénario à l’œuvre. Les ruches ne contenant pas plus d’abeilles que de livres menacés d’extinction, la proposition de l’artiste tient alors de la fiction, du possible, voire de la dystopie.

En 2024, la pièce est réactivée à l’occasion de l’exposition « Une clameur » que Guillaume Robert commissionne aux côtés de Max Bondu et de Bénédicte Le Pimpec, dans deux lieux patrimoniaux du Pays de Gex, Fort l’Écl


[1] Rachel Carlson, Printemps Silencieux (1962), Plon, 1963.

[2] Une convention sera finalement signée entre les deux parties le 24 mai 2024, soit un mois avant l’ouverture de l’exposition.

[3] Exit Terre brûlée 12 drapeaux (2024) de Guillaume Robert ; exit cinq tableaux de Jean-Xavier Renaud, François Hollande (2012) et Laurent 1, Laurent 2, Damien 1, Damien 2 (tous quatre de 2018) ; exit Jour de fête (2016) de Pascal Rivet.

[4] bermuda est un site d’ateliers artistiques mutualisés. Le projet a été fondé par les artistes Max Bondu, Mathilde Chénin et Guillaume Robert, par la commissaire d’exposition Bénédicte Le Pimpec et par l’ingénieur informatique Julien Griffit. bermuda a trois particularités dans le paysage de ce que la sociologue Isabelle Mayaud nomme les « lieux en commun des artistes ». D’abord, il a été autoconstruit par l’équipe fondatrice, avec un chantier de grande ampleur qui s’est étalé de décembre 2018 à janvier 2021. Géré sous les auspices d’une forme de propriété collective, il échappe, ensuite, à la tyrannie du temporaire, celle qui accable bon nombre d’initiatives collectives sur le sol métropolitain, qu’elles soient artistiques, culturelles, sociales ou citoyennes, leur imposant de se dé-terrester à intervalle régulier pour les besoins du marché immobilier spéculatif. Enfin, huit adultes et deux enfants habitent sur place de manière pérenne ; six autres y ont établi leur lieu de travail quotidien. En plus d’accueillir la vie domestique et l’activité professionnelle de ses membres permanents, bermuda œuvre, depuis 2021, à soutenir les artistes et leur travail en louant des espaces et outils de fabrication artistique à bas prix ; en cherchant des fonds pour inviter et rémunérer des artistes en résidence pour qu’iels puissent développer leur pratique ; en initiant des projets d’intervention artistique en milieu scolaire dans les petites communes du territoire ; en imaginant des projets de recherche par les moyens de l’art et des formats pédagogique

Mathilde Chénin

Artiste, sociologue, Cofondatrice de bermuda

Notes

[1] Rachel Carlson, Printemps Silencieux (1962), Plon, 1963.

[2] Une convention sera finalement signée entre les deux parties le 24 mai 2024, soit un mois avant l’ouverture de l’exposition.

[3] Exit Terre brûlée 12 drapeaux (2024) de Guillaume Robert ; exit cinq tableaux de Jean-Xavier Renaud, François Hollande (2012) et Laurent 1, Laurent 2, Damien 1, Damien 2 (tous quatre de 2018) ; exit Jour de fête (2016) de Pascal Rivet.

[4] bermuda est un site d’ateliers artistiques mutualisés. Le projet a été fondé par les artistes Max Bondu, Mathilde Chénin et Guillaume Robert, par la commissaire d’exposition Bénédicte Le Pimpec et par l’ingénieur informatique Julien Griffit. bermuda a trois particularités dans le paysage de ce que la sociologue Isabelle Mayaud nomme les « lieux en commun des artistes ». D’abord, il a été autoconstruit par l’équipe fondatrice, avec un chantier de grande ampleur qui s’est étalé de décembre 2018 à janvier 2021. Géré sous les auspices d’une forme de propriété collective, il échappe, ensuite, à la tyrannie du temporaire, celle qui accable bon nombre d’initiatives collectives sur le sol métropolitain, qu’elles soient artistiques, culturelles, sociales ou citoyennes, leur imposant de se dé-terrester à intervalle régulier pour les besoins du marché immobilier spéculatif. Enfin, huit adultes et deux enfants habitent sur place de manière pérenne ; six autres y ont établi leur lieu de travail quotidien. En plus d’accueillir la vie domestique et l’activité professionnelle de ses membres permanents, bermuda œuvre, depuis 2021, à soutenir les artistes et leur travail en louant des espaces et outils de fabrication artistique à bas prix ; en cherchant des fonds pour inviter et rémunérer des artistes en résidence pour qu’iels puissent développer leur pratique ; en initiant des projets d’intervention artistique en milieu scolaire dans les petites communes du territoire ; en imaginant des projets de recherche par les moyens de l’art et des formats pédagogique