50 km/h ? Inventons plutôt un nouveau périph’ !
Limiter à 50 km/h la vitesse sur le périphérique parisien pourrait ne pas être l’imposition d’un code de la route municipal, entraînant les polémiques politiques que l’on sait, mais la conséquence, avec un peu de perspective, de deux transformations de fond : celle des véhicules d’une part, déjà en cours, et celle des usages du périphérique et de son organisation spatiale et foncière d’autre part, autrement dit la manifestation d’un projet métropolitain. Ces deux déplacements du raisonnement peuvent guider la décision.
Un véhicule qui change
On ne s’interroge pas suffisamment sans doute sur la transformation du véhicule amené à circuler sur le périphérique à une échéance relativement rapprochée. Tout se passe comme si cette voie était condamnée à « supporter » les mêmes véhicules qui l’empruntent depuis cinquante ans.
Si les pollutions sonore et atmosphérique et la vitesse facteur d’accident et de mortalité sont bien les trois critères sur lesquels s’appuient opposants et partisans de la nouvelle limitation de vitesse sur le périphérique, qui bon gré mal gré obéit à la lente décroissance des vitesses autorisées dans le monde occidental, il y a nécessité à rappeler que les difficultés du périphérique sont liées à sa fréquentation par des véhicules thermiques, largement responsables des pollutions en cause.
On sait combien, au début du XXe siècle, l’abandon de la technologie du moteur électrique au profit du thermique a permis un gain de poids décisif dans ses performances en termes d’autonomie et d’augmentation de la vitesse, au détriment du silence des moteurs comme de leur moindre pollution. À l’heure du changement climatique et des demandes sociales en matière de santé publique comme de la recherche de qualité de vie urbaine et de la prise de conscience de la part des transports dans la décarbonation des énergies, les recherches et la production de véhicules électriques ont été relancées, à une échelle qui n’est plus confidentielle mais inscrite dans l’agenda européen. Mais face à ce qui n’est pas encore un pari totalement gagné, favoriser la fréquentation du périphérique par les véhicules électriques en leur donnant accès à la voie dédiée semble bien un complément autant sinon plus incontournable que la limitation de vitesse.
Il demeure que la voiture, telle qu’elle a été industrialisée depuis plus d’un siècle et à laquelle on n’aurait fait que substituer un moteur par un autre (l’entreprise d’Elon Musk, dont les voitures sont aujourd’hui les plus vendues dans le monde), n’est pas celle qui devrait, majoritairement, circuler sur le périphérique, justement.
Car s’il faut s’attacher encore aux arguments et aux études, 82 % des déplacements sur le périphérique parisien sont le fait d’« autosolistes », qui se rendent majoritairement au travail quotidiennement et dont le format de véhicule est pour le moins disproportionné par rapport à l’usage qu’ils en font, y compris pour les commuters (mais près de la moitié sont des Parisiens). Bien sûr, certains sont des artisans qui ont besoin d’un volume pour transporter leurs marchandises ou matériaux. Mais quelles études affineront ces statistiques afin de dissocier le cadre, l’employé ou le commerçant autosoliste et mettre en lumière l’inadéquation entre la taille, la lourdeur du véhicule, le service rendu et la proportion de véhicules concernés ?
Par ailleurs, il faut dissocier la voiture comme automobile du service qu’elle apporte, c’est-à-dire l’auto-mobilité, autrement dit le service du déplacement porte-à-porte. C’est ce qui a fait le succès de l’industrie de la voiture pendant tout le XXe siècle, davantage que l’affichage du statut social qu’elle apportait. (Aujourd’hui, quand l’image de la « voiture » s’estompe chez les jeunes générations, qui n’ont plus systématiquement le réflexe de passer leur permis de conduire dès 18 ans – comme c’était encore le cas il y a une ou deux décennies –, on peut légitimement imaginer la fabrication d’autres identifications au véhicule, davantage dépersonnalisé et plus en accord avec les valeurs de sobriété et de partage.)
50, 60 ou même 70 km/h, ce sera toujours trop lent pour les conducteurs qui ont en mains un véhicule trop puissant pour l’usage ou le service qu’ils en ont. Certes, la perte de six minutes de temps de transport, en passant de 70 à 50 km/h, n’est pas anodine dans le temps de travail d’une journée, mais pour l’autosoliste, le déplacement dans son véhicule personnel de porte-à-porte demeure plus efficace et confortable que tout autre mode de transport, évitant les « ruptures de charge » que constituent les changements de modes de transport. Par contre, autopartager (être au moins deux dans un véhicule) apparaît depuis plusieurs décennies comme une des solutions gagnantes dont on connaît les succès et les limites des expériences dans le monde. Ici encore, favoriser l’autopartage, sous toutes ses formes, par une voie dédiée s’avère une mesure évidente pour diminuer, même modestement, le trafic, la congestion, les nuisances.
Ainsi, il y a lieu d’imaginer le devenir du périphérique à l’aune de la disparition des moteurs thermiques, programmée pour les années 2030 et déjà engagée. La transformation de l’industrie automobile se poursuit ; elle est mondiale, et toute réflexion sur le périphérique qui n’inclurait pas cette donnée est vouée à relancer les polémiques à chaque changement… de vitesse – jusqu’à ce qu’elles soient remplacées par celles sur le véhicule automate. Pour Paris et le Grand Paris, favoriser l’usage du périphérique par des véhicules légers (à la différence des SUV actuels) et dans des formes d’autopartage sont, à notre sens, des orientations plus positives qu’un slogan de limitation de vitesse.
Il ne faudrait pas penser que la polémique sur la réduction à 50 km/h est une affaire parisienne et limitée au périphérique, aussi exceptionnelle que soit son histoire. Elle se pose ou se posera dans toutes les villes, sur toutes les voies de circulation, c’est-à-dire pour toutes les « zones » urbanisées : parler avec un·e maire et ses élu·es de la réduction à 30, 20, 10, voire 5 km/h – oui ça existe, une hyper-zone de partage ! – est devenu une discussion incontournable, aussi polémique pour l’élu·e que de décider de la suppression de places de parking face à ses électeur·rices. Les critères de pollution sonore ou atmosphérique sont devenus les vrais outils de l’urbanisme, d’eux dépend la « qualité » de l’ambiance d’une ville, autant ou davantage que de celle des bâtiments.
Changer les usages : le périphérique osmotique
La transformation des usages du périphérique a été envisagée jusqu’à présent en lui adjoignant une voie dédiée à l’autopartage (taxis et transports publics) ou en supprimant ce qui le caractérise : une voie de liaison rapide. Or le problème majeur du périphérique parisien est à la fois de maintenir sa fluidité et de créer une accessibilité autre que celle des « portes ».
En effet, en dehors du centre commercial Auchan de la porte de Bagnolet, d’une station-service et d’une salle d’exposition porte de Champerret, la communication entre le périphérique et la ville ne s’établit jamais. Donc la transformation du périphérique est sans aucun doute moins liée, de nouveau, à une polémique politique sur l’efficacité ou non de la limitation à 50 km/h qu’à l’invention d’un nouveau type de périphérique. Il semble que nous ne disposions pas à ce jour d’une véritable typologie des autoroutes urbaines et des voies rapides à l’échelle des métropoles mondiales qui poserait cette question de la perméabilité, non pour dissoudre leur identité, mais plutôt pour la mettre en scène. Y prendrait place une toute autre cinématographie, transformant aussi bien la vision des automobilistes que le vécu des habitants de ses marges.
On pourrait voir qu’il existe un nombre important de solutions de mise en relation des villes avec leurs voies rapides, par-delà les systèmes autoroutiers traditionnels. C’est à partir du moment où on aura réinventé et multiplié les accès depuis le périphérique vers les opérations immobilières qui le jouxtent – et cela sans pour autant s’enfermer et revenir à la tradition du boulevard rebaptisé « urbain », avec des aménagements de ronds-points, trottoirs et feux rouges – que l’on pourra véritablement affirmer le changement de statut du périphérique, montrer une capacité à engendrer une nouvelle espérance et réaliser un réel projet de ville.
Actuellement, le périphérique est une voie de contournement dont l’efficacité se limite à la vitesse du trafic. Dépasser ces questions, c’est lui trouver des usages en propre, au sein de son identité urbanistique unique, le valorisant en tant que tel à la différence des solutions habituelles de couverture du périphérique. Ce ne serait plus un système à cacher ou à amadouer (« apaiser ») par des aménagements de voirie divers. Alors, une « écologie positive » se mettra en place, dans l’invention d’une nouvelle osmose urbaine. On viendra sur, ou plutôt « au » périphérique, pour autre chose que seulement circuler et contourner. Il est bien évident que, de fait, l’attractivité des activités du nouveau projet « métropolitain » lèvera la question de la vitesse des véhicules, amenés à ralentir, tout en maintenant la fluidité d’origine.
La question serait donc non pas de savoir s’il faut ou non passer à 50 km/h, mesure de fait accessoire, mais d’accompagner, d’accueillir les nouvelles mobilités, d’inciter à leur venue, mobilités qui participeront en tant que telles au système d’échanges et de pénétration entre la ville et son autoroute, devenue un périphérique osmotique.