Société

Le mari et les cinquante violeurs : sur le procès de Mazan

Sociologue du théâtre

Qualifié de « tournant historique », volontiers comparé au procès d’Aix de 1978, le procès dit « de Mazan » semble annoncer un changement, tant par sa couverture médiatique que par les propriétés de l’affaire, mettant en lumière des violeurs « ordinaires ». Mais il serait illusoire de se réjouir trop vite : la ligne de défense entendue au procès reste exemplaire d’une culture du viol bien ancrée, révélant le long chemin à parcourir pour qu’advienne une réelle transformation des représentations.

Le procès dit « de Mazan », parfois aussi appelé procès Pelicot du double nom de l’accusé principal Dominique Pelicot et de Gisèle Pelicot, son ex-épouse et victime des viols sous soumission chimique pour lequel il comparait avec cinquante co-accusés, concentre une forte attention médiatique. Il faut dire qu’il s’agit d’un procès particulièrement sordide mais aussi tout à fait paradoxal.

publicité

On veut y voir un « tournant historique », l’expression revient beaucoup dans la presse. Le parallèle est volontiers fait entre le procès de Mazan et le procès d’Aix de 1978[1], procès pour viols de deux jeunes touristes belges par trois hommes. D’abord, du fait de la médiatisation, permise par le même choix courageux fait par les plaignantes d’hier et celle d’aujourd’hui de demander la levée du huis clos, dans le but que la honte change de camp et que la mécanique du viol et la rhétorique des violeurs se retrouvent exposées en pleine lumière.

Le parallèle se fonde aussi sur un espoir : que, tout comme la stratégie gagnante de l’avocate des plaignantes Gisèle Halimi à l’époque, celle de Gisèle Pelicot et de ses conseils permette d’aboutir à son tour à un changement dans les mentalités et pourquoi pas dans le droit.

Gisèle Halimi et l’association Choisir avaient choisi de mettre en accusation la loi elle-même, aux côtés des trois hommes reconnus coupables et condamnés. Et c’est bel et bien suite à ce procès que fut obtenue dans la loi de 1980 la reconnaissance du viol comme un crime et non plus seulement un délit ; que fut établie sa définition, jusque-là manquante et en vigueur depuis, comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise » ; que le choix ou du refus du huis clos devint une prérogative de la plaignante dans les procès pour viol, l’argument de l’avocate étant que la publicité des débats opère comme un puissant « moyen de dissuasion », car « c’est une chose pour


[1] Philippe Bernard, « Du procès d’Aix à celui des viols de Mazan, le courage des victimes de refuser le huis clos transforme la justice en puissant instrument de débat public », Le Monde, 13 octobre 2024. ; Annick Cojean, « Du procès d’Aix, en 1978, à celui des viols de Mazan, « la honte a changé de camp », Le Monde, 18 octobre 2024.

[2] Chiffres disponibles dans le 1er état des lieux du sexisme, publié par le HCE le 17 janvier 2019.

[3] Virginie Despentes, King Kong Théorie, Paris, Grasset, 2006.

[4] Sources des citations : les comptes instagram Ovaire the rainbow ; Adelphitefrance ; Medusagorgone ; Cecile Cee ; Anna_margueritat ;  Preparez-vous pour la bagarre et les articles suivants : Lorraine de Foucher, « C’est sa femme, il fait ce qu’il veut avec. Comment Dominique P a livré son épouse qu’il droguait aux viols d’au moins 51 hommes », Le Monde, 20 juin 2023 ; Henri Seckel, « Au procès des viols de Mazan, les accusés plaident le viol sans intention de le commettre », Le Monde, 28 septembre 2024 ; Henri Seckel, « Procès des viols de Mazan. Le huis clos levé. Les accusés maintiennent leur version après le visionnage des vidéos, Le Monde, 5 octobre 2024 ; Pascale Robert-Diard, « Au procès des viols de Mazan, la déposition de deux « rescapés de l’histoire », Le Monde, 08 octobre 2024 ; Pascale Robert-Diard, « Au procès des viols de Mazan : C’est sa maison, sa chambre, son lit, sa femme. J’ai fait confiance à ce monsieur », Le Monde, 12 octobre 2024 ; Justine Chevalier, « Soit elle est morte, soit elle dort. Au procès des viols de Mazan, les justifications fantaisistes des accusés », BFMtv.com, 3 octobre 2024 ; Marion Dubreuil, « Viols de Mazan. « À l’époque, je ne savais pas ce que c’était le consentement », se défend un accusé, BFMtv.com, 25 septembre 2024.

[5] Si l’article 309 du code de procédure pénale dispose que « le président a la police de l’audience » et « rejette tout ce qui tendrait à compromettre leur dignité », l’article 306 stipule que « le huis clo

Bérénice Hamidi

Sociologue du théâtre, professeure en études théâtrales à l'Université Lyon 2 et membre de l'Institut Universitaire de France

Mots-clés

#metoo

Notes

[1] Philippe Bernard, « Du procès d’Aix à celui des viols de Mazan, le courage des victimes de refuser le huis clos transforme la justice en puissant instrument de débat public », Le Monde, 13 octobre 2024. ; Annick Cojean, « Du procès d’Aix, en 1978, à celui des viols de Mazan, « la honte a changé de camp », Le Monde, 18 octobre 2024.

[2] Chiffres disponibles dans le 1er état des lieux du sexisme, publié par le HCE le 17 janvier 2019.

[3] Virginie Despentes, King Kong Théorie, Paris, Grasset, 2006.

[4] Sources des citations : les comptes instagram Ovaire the rainbow ; Adelphitefrance ; Medusagorgone ; Cecile Cee ; Anna_margueritat ;  Preparez-vous pour la bagarre et les articles suivants : Lorraine de Foucher, « C’est sa femme, il fait ce qu’il veut avec. Comment Dominique P a livré son épouse qu’il droguait aux viols d’au moins 51 hommes », Le Monde, 20 juin 2023 ; Henri Seckel, « Au procès des viols de Mazan, les accusés plaident le viol sans intention de le commettre », Le Monde, 28 septembre 2024 ; Henri Seckel, « Procès des viols de Mazan. Le huis clos levé. Les accusés maintiennent leur version après le visionnage des vidéos, Le Monde, 5 octobre 2024 ; Pascale Robert-Diard, « Au procès des viols de Mazan, la déposition de deux « rescapés de l’histoire », Le Monde, 08 octobre 2024 ; Pascale Robert-Diard, « Au procès des viols de Mazan : C’est sa maison, sa chambre, son lit, sa femme. J’ai fait confiance à ce monsieur », Le Monde, 12 octobre 2024 ; Justine Chevalier, « Soit elle est morte, soit elle dort. Au procès des viols de Mazan, les justifications fantaisistes des accusés », BFMtv.com, 3 octobre 2024 ; Marion Dubreuil, « Viols de Mazan. « À l’époque, je ne savais pas ce que c’était le consentement », se défend un accusé, BFMtv.com, 25 septembre 2024.

[5] Si l’article 309 du code de procédure pénale dispose que « le président a la police de l’audience » et « rejette tout ce qui tendrait à compromettre leur dignité », l’article 306 stipule que « le huis clo