Société

Sans les quartiers, Bardella serait Premier ministre (réponse à Jean-Pierre Olivier de Sardan )

Enseignant, Militant de l'écologie populaire

La vision négative des cités qui domine dans l’imaginaire collectif français nous empêche de voir l’effervescence politique de ces territoires. Loin de n’être, comme le prétendent certains, que des zones de non-droit, les quartiers voient leurs habitants organiser, dans le vide laissé par l’État, une vie collective associative et militante riche. Encore faut-il aller sur le terrain pour s’en rendre compte.

Dans un article paru récemment dans les colonnes d’AOC, Jean-Pierre Olivier de Sardan établit avec une étrange certitude un lien de cause à effet entre la situation dégradée dans « les cités » et la montée en puissance électorale de l’extrême droite. Ce développement se nourrit d’un ensemble d’éléments contestables. Avec tout le respect qui se doit en ces circonstances, nous voulons revenir sur certains arguments avancés, en interrogeant plus largement la manière dont les quartiers populaires se trouvent de façon récurrente « embarqués » dans des débats dont les termes entretiennent des stigmates et idées fausses, quelle que soit d’ailleurs l’intention des prises de position considérées.

publicité

À ce titre, il semble bien que Jean-Pierre Olivier de Sardan entendait, dans son texte, défendre la nécessité d’une « politique publique d’envergure » en direction des quartiers populaires, en suggérant (et nous sommes d’accord avec ce point) que les difficultés rencontrées dans ces territoires donnent à voir une version « paroxystique » de l’effondrement des services publics et des conséquences sociales de ce processus. Ce constat a été étayé par de nombreuses études et rapports, dont le récent « plan banlieue », en 2018, coordonné par Jean-Louis Borloo, commandé puis jeté à la poubelle par Emmanuel Macron. L’idée d’un effort public en direction des quartiers est une véritable ligne de clivage, aujourd’hui, au sein du champ politique français : la ligne « dure » de la présidence Macron s’est ainsi confirmée au lendemain des émeutes de 2023 (l’angle répressif comme unique réponse aux événements), puis avec la suppression pure et simple du ministère de la Ville sous le gouvernement Barnier.

Sauf à considérer les politiques publiques comme des décisions autonomes et complètement décorrélées des luttes symboliques qui traversent le monde social, il paraît assez peu réaliste d’envisager (ou même d’encourager) un quelconque effort public bienveillant en direction des quartiers


[1] Pour une synthèse des travaux sur les quartiers populaires rendant compte de la complexité de cet objet en sciences sociales, voir Pierre Gilbert, Quartiers populaires. Défaire le mythe du ghetto, Amsterdam, 2024.

[2] Didier Fassin, « Exclusion, underclass, marginalidad. Figures contemporaines de la pauvreté urbaine en France, aux États-Unis et en Amérique latine », Revue française de sociologie, vol. 37, 1996/1, p. 37-75 — Sylvie Tissot, L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, Seuil, 2007 — Loïc Wacquant, Misère de l’ethnographie de la misère, Raisons d’agir, 2023.

[3] Ulysse Rabaté, Streetologie. Savoirs de la rue et culture politique, Le Commun, 2024.

[4] Nous reprenons ici l’expression de l’historien algérien Daho Djerbal.

[5] Julien Talpin et al., L’Épreuve de la discrimination. Enquête dans les quartiers populaires, Presses universitaires de France, 2021.

[6] Ulysse Rabaté, Politique, beurk, beurk. Les Quartiers populaires et la gauche : conflits, esquives, transmissions, Le Croquant, 2021.

[7] Voir notamment Samir Hadj Belgacem et Foued Nasri (dir.), La Marche de 1983. Des mémoires à l’histoire d’une mobilisation collective, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2018 ; Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat (dir.), Histoire politique des immigrations (post)coloniales (France, 1920-2008), Amsterdam, 2018 ; et Karim Taharount, « On est chez nous ». Histoire des tentatives d’organisation politique de l’immigration et des quartiers populaires (1981-1988), Solnitsata, 2017.

[8] Jean-Pierre Olivier de Sardan, La Rigueur du qualitatif. Les Contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique, Academia-Bruylant, 2008.

[9] Voir récemment Éric Fassin, Misère de l’anti-intellectualisme. Du procès en wokisme au chantage à l’antisémitisme, Textuel, 2024.

[10] Félicien Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite, Seuil, 2024.

Ulysse Rabaté

Enseignant, Président de l'association Quidam pour l'enseignement populaire, Ex-Conseiller municipal de Corbeil-Essonnes

Abdel Yassine

Militant de l'écologie populaire

Rayonnages

Société

Notes

[1] Pour une synthèse des travaux sur les quartiers populaires rendant compte de la complexité de cet objet en sciences sociales, voir Pierre Gilbert, Quartiers populaires. Défaire le mythe du ghetto, Amsterdam, 2024.

[2] Didier Fassin, « Exclusion, underclass, marginalidad. Figures contemporaines de la pauvreté urbaine en France, aux États-Unis et en Amérique latine », Revue française de sociologie, vol. 37, 1996/1, p. 37-75 — Sylvie Tissot, L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, Seuil, 2007 — Loïc Wacquant, Misère de l’ethnographie de la misère, Raisons d’agir, 2023.

[3] Ulysse Rabaté, Streetologie. Savoirs de la rue et culture politique, Le Commun, 2024.

[4] Nous reprenons ici l’expression de l’historien algérien Daho Djerbal.

[5] Julien Talpin et al., L’Épreuve de la discrimination. Enquête dans les quartiers populaires, Presses universitaires de France, 2021.

[6] Ulysse Rabaté, Politique, beurk, beurk. Les Quartiers populaires et la gauche : conflits, esquives, transmissions, Le Croquant, 2021.

[7] Voir notamment Samir Hadj Belgacem et Foued Nasri (dir.), La Marche de 1983. Des mémoires à l’histoire d’une mobilisation collective, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2018 ; Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat (dir.), Histoire politique des immigrations (post)coloniales (France, 1920-2008), Amsterdam, 2018 ; et Karim Taharount, « On est chez nous ». Histoire des tentatives d’organisation politique de l’immigration et des quartiers populaires (1981-1988), Solnitsata, 2017.

[8] Jean-Pierre Olivier de Sardan, La Rigueur du qualitatif. Les Contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique, Academia-Bruylant, 2008.

[9] Voir récemment Éric Fassin, Misère de l’anti-intellectualisme. Du procès en wokisme au chantage à l’antisémitisme, Textuel, 2024.

[10] Félicien Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite, Seuil, 2024.