Écologie

La fin de la pollution plastique, un choix politique

Géographe

Jusqu’au 1er décembre se tiennent, sous l’égide de l’ONU, les dernières négociations pour un traité international contraignant visant à mettre fin à la pollution plastique. Bien qu’elles soient pourries par les pays pétroliers et les industries occidentales, les discussions ouvertes ont ceci d’historique qu’elles ont définitivement ridiculisé toute stratégie excluant une réduction drastique de la production mondiale de plastique.

La prise de conscience de la pollution plastique a, paradoxalement, débuté loin des centres de production et de consommation. Ses prémices datent de 1972, avec l’observation par deux biologistes marins, Edward Carpenter et Kenneth Smith, d’une abondance de débris plastiques dans la mer des Sargasses. Il faudra attendre 2001 pour que l’océanographe Curtis Ebbesmeyer et l’activiste Charles Moore révèlent l’ampleur de l’accumulation des déchets plastiques dans le Pacifique Nord, une zone surnommée, par excès de langage, « septième continent » ou « continent de plastique ».

La Fondation Tara Océan, première fondation française dédiée à l’océan, a joué, pour sa part, dès 2010, un rôle pionnier dans la recherche sur la pollution plastique, notamment sur les microplastiques. Grâce à ses expéditions scientifiques, elle a collecté des données cruciales sur la présence et l’impact des plastiques dans les océans du monde entier.

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L’expédition Tara Oceans (2009-2013), initialement dédiée à l’étude du plancton, a permis de découvrir une nouvelle zone d’accumulation de débris plastiques dans l’océan Arctique, démontrant que la pollution plastique impacte les régions les plus reculées. L’expédition Tara Pacific (2016-2018), axée sur les récifs coralliens, a étudié le « continent de plastique » du Pacifique Nord, révélant qu’il s’agit en réalité d’une « soupe » de microplastiques. En Méditerranée, une des mers les plus polluées au monde, l’expédition Tara Méditerranée (2014) a permis de constituer une base de données en libre accès répertoriant soixante-quinze mille particules de plastique, permettant une meilleure compréhension de l’impact des microplastiques sur cet écosystème.

Les travaux de la Fondation Tara se sont étendus, en 2019, à la pollution plastique de neuf grands fleuves européens, mettant en évidence la présence généralisée, dans 100 % des échantillons collectés, de microplastiques dans les eaux douces, bien plus en amont que prévu, et soulignant la complexité des impacts sur les écosystèmes. Enfin, l’expédition Tara Europa (2023-2024) se concentre sur les littoraux européens et étudie l’impact de polluants chimiques, notamment ceux des additifs chimiques des plastiques, sur la biodiversité marine.

Les divers travaux ont révélé des impacts majeurs sur la biodiversité marine. Les macrodéchets plastiques causent, chaque année, la mort directe de plus d’un million d’oiseaux et de cent mille mammifères marins par ingestion ou enchevêtrement, sans parler des reptiles et poissons qui paient un tribut tout aussi lourd. En s’accumulant dans l’environnement, les déchets plastiques modifient les habitats marins et perturbent les écosystèmes.

Les microplastiques, c’est-à-dire les plastiques de moins de cinq millimètres issus de la fragmentation des macrodéchets ou de l’abandon dans l’environnement de plastiques vierges, ont des impacts plus pernicieux. Ils déséquilibrent les écosystèmes en transportant des espèces allochtones, favorisant certains organismes au détriment d’autres. Ils pénètrent, par ailleurs, facilement dans les chaînes alimentaires, perturbant la croissance de la faune et véhiculant des toxiques.

Les nanoplastiques (moins de cent nanomètres) sont, malgré une masse estimée dix fois plus importante que celle des microplastiques, encore peu étudiés. Mais, plus petits et plus biodisponibles pour les organismes vivants, ils peuvent interagir avec les membranes biologiques et pourraient transporter les polluants plus profondément encore, au cœur des cellules.

Parce que la recherche scientifique s’est longtemps concentrée sur les déchets présents dans les océans, les questions relatives à l’impact des plastiques sur les autres écosystèmes ont longtemps été omises. C’est pourtant bien l’ensemble de la biosphère (eaux douces, sols, atmosphère…) qui est affectée par la pollution plastique. En cause ? La submersion de nos quotidiens par une offre irraisonnée de produits plastiques qui a fait exploser la production mondiale. En croissance exponentielle, elle est passée de 2 millions de tonnes dans les années 1950 à 234 millions de tonnes en 2000 et 460 millions de tonnes en 2019. L’OCDE prévoit que cette production pourrait encore tripler d’ici 2060 si aucune mesure significative n’est prise.

Cette augmentation de la production a été et reste principalement tirée par les pays de l’OCDE, qui devraient consommer 238 kg de plastique par habitant en 2060, contre 77 kg pour les habitants des pays non membres de l’OCDE. Les secteurs de l’emballage, du bâtiment, des transports et du textile sont les principaux consommateurs de thermoplastiques, qui représentent 86 % du marché des plastiques. Cette progression de la production de plastique a d’ores et déjà généré plus de 6,9 milliards de tonnes de déchets plastiques depuis 2015 et provoque annuellement le déversement de 11 millions de tonnes dans les océans, 20 millions dans les eaux douces et 31 millions à terre !

Aujourd’hui, seuls 9 % des déchets plastiques sont réellement recyclés.

Pire, la production de plastique n’a pas pour unique conséquence la production de déchets. Les polymères, qui composent la base des plastiques, sont essentiellement issus de ressources pétrolières (99 %) et impliquent d’importantes ressources énergétiques pour leur production. Ainsi les plastiques contribuent-ils, selon l’OCDE, à près de 4 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Un chiffre qui devrait atteindre 15 % d’ici 2050 si rien n’est fait. Mais, à vrai dire, ces chiffres sont très sous-estimés car ils ne prennent en considération que les émissions de CO2 et non celles des autres gaz à effet de serre, ils omettent les émissions en fin de vie des plastiques (incinération, mise en décharge) et les conséquences de la dégradation des écosystèmes sur les cycles du carbone de la biosphère et l’hydrosphère.

Enfin, il faut évoquer la dimension toxique des plastiques. Certains, comme les plastiques styréniques (polystyrènes, ABS…), ceux basés sur la chimie des bisphénols (polycarbonates), du chlore (PVC…) ou du fluor (PFAS), font peser de graves risques sur l’environnement et la santé. À cela il faut ajouter les cocktails de molécules chimiques (antifeu, colorants, plastifiants…) qui permettent d’améliorer les performances techniques et définissent les plastiques que nous connaissons. Seize mille molécules ont déjà été identifiées, incluant ces additifs, mais aussi des produits non intentionnellement ajoutés, issus de la dégradation des plastiques ou de la contamination environnementale. Parmi ces seize mille molécules, seules cinq mille cinq cent quatre-vingt-dix-neuf sont connues… dont quatre mille deux cent dix-neuf pour leur caractère toxique ! Une évaluation qui ne comprend ni les effets cocktail ni les paramètres environnementaux susceptibles d’aggraver cette toxicité !

Ces enjeux climatiques et toxiques peinent à se frayer un chemin dans le débat public. Pourtant, la production massive de plastique engendre une multitude de problèmes pour l’environnement, impactant la santé globale et l’économie. Sur le plan sanitaire, la production, la consommation et l’élimination des plastiques sont impliquées dans l’accroissement de nombreuses maladies, notamment le diabète, l’endométriose, l’obésité, l’infertilité masculine et certains cancers. Les estimations, bien que très sous-estimées car basées sur les seules maladies professionnelles aux États-Unis, au Canada et en Europe, font état de dix-huit millions de personnes touchées par des maladies en lien direct avec… quatre des seize mille molécules chimiques identifiées dans les plastiques.

La pollution plastique a des effets économiques considérables et difficiles à appréhender dans leur globalité. Une étude internationale estime cependant ce coût à au moins cent quarante-huit milliards de dollars, sans prendre en compte la dégradation des biens communs non marchands ou les coûts santé des toxiques non évalués. Si les secteurs de la pêche et du tourisme sont particulièrement touchés par la présence de déchets plastiques, la pollution plastique a bien des conséquences financières sur l’ensemble de l’économie.

Aujourd’hui, seuls 9 % des déchets plastiques sont réellement recyclés, un taux qui ne devrait pas dépasser 12 % en 2060 (source : OCDE). La complexité des plastiques, la dégradation des propriétés de la matière après plusieurs cycles de recyclage et la présence de contaminants rendent le recyclage difficile et coûteux. Le recyclage chimique, souvent présenté comme une alternative prometteuse, n’en est qu’à ses débuts et pose de nombreuses questions quant à sa viabilité économique et sa plus-value environnementale. Il faut, enfin, souligner que le recyclage ne saurait en aucun cas résoudre les enjeux d’émissions carbone ou toxiques du plastique. Il ne s’agit pas de rejeter le recyclage, mais de souligner ses limites et son incapacité à traiter l’ensemble des enjeux dans une perspective de croissance de la production. C’est bien la réduction de la production qui apparaît donc comme une nécessité impérieuse, même si elle représente un défi majeur.

Définir un taux de réduction s’avère un choix politique délicat. Car c’est bien d’un choix politique qu’il s’agit. Les scientifiques du Stockholm Resilience Center soulignent certes que les fuites de plastique dans l’environnement doivent, par nature, être réduites à zéro pour éviter les impacts que la biodiversité ne peut gérer. Ceux de Berkeley soulignent la nécessité de réduire de près de trois quarts la production pour tenir les objectifs des accords de Paris. Des chercheurs en santé demandent la suppression des toxiques et une approche basée sur le principe de précaution tandis que d’autres, en sciences économiques, soulignent que le coût de la non-réduction sera toujours supérieur à celui d’une réduction de moitié de la production.

Tous ces chiffres éclairent la voie à suivre mais ne constituent pas le cap. Le cap, lui, ne saurait être défini autrement que par la notion d’essentialité. Face à la gravité et la multiplicité des risques que font peser les plastiques, leurs usages doivent être limités à ceux considérés comme essentiels. Non pas essentiels à telle fonction ou à tel intérêt particulier, mais essentiels parce qu’ils sont non substituables par d’autres matériaux ou organisations pour répondre à un besoin fondamental, tel que défini par la déclaration sur les droits humains, incluant le droit à la santé et un environnement sain.

Les limites des régulations nationales ou régionales, face à un marché du plastique mondialisé, ont progressivement mis en lumière la nécessité d’une action globale et coordonnée. C’est ainsi qu’est née, après plus de dix ans de gestation, l’idée d’un traité international sur les pollutions plastiques. Portée par la Norvège et le Rwanda, cette ambition s’est concrétisée en mars 2022 par une résolution historique de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (UNEA). Elle donne mandat à la directrice exécutive du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) de convoquer un comité de négociation intergouvernemental pour élaborer « un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution par les plastiques, y compris dans le milieu marin, sur la base d’une approche globale, qui prenne en compte l’ensemble du cycle de vie du plastique ».

Cette « haute ambition » rassemble plus de soixante-dix États, des organisations de défense de l’environnement, des droits humains et des peuples autochtones, des droits des femmes ainsi que des représentants des travailleurs de la plasturgie et du secteur informel des déchets, sans oublier la coalition scientifique. Leur mobilisation a permis que la question de la réduction de la production ne soit plus taboue et qu’elle soit même sur la table des discussions. Le Pérou et le Rwanda ont ainsi, lors du dernier Comité international de négociation (INC-4), évoqué l’objectif de 40 % de réduction de la production d’ici 2040. Un chiffre à la fois ambitieux et bien insuffisant puisqu’il correspond environ à l’année de production 2015 et qu’il ne peut, donc, qu’être une étape transitoire vers une réduction plus drastique, d’autant qu’il devrait être accompagné de mesures de réduction de la toxicité des plastiques.

Face à cet attachement à respecter le mandat onusien, et en particulier le caractère « juridiquement contraignant » et le travail sur l’« ensemble du cycle de vie » du plastique, les États pétroliers ont mobilisé leurs forces. Arabie Saoudite, Iran et Russie en tête ont mené au cours des quatre premiers rounds de négociation une véritable stratégie de « pourrissement », cherchant à nier la pertinence et la légitimité du mandat, à gagner du temps et proposant des solutions fallacieuses. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ces intérêts ont largement leurs défenseurs dans nos pays et les groupes de pression représentant l’industrie pétrochimique déploient en permanence la même stratégie 3D – deny, distract, delay [nier, distraire, retarder – ndlr].

La cinquième et théoriquement dernière session des négociations pour aboutir à l’adoption du traité pour mettre fin à la pollution plastique a lieu du 25 novembre au 1er décembre 2024 à Busan (Corée du Sud). Cette réunion représente une opportunité unique de mettre en place un cadre global et contraignant pour lutter contre les pollutions plastiques. Il faut avouer que le travail restant à accomplir avant de parvenir à un texte est immense. Mais il ne faut pas en tirer de conclusions pessimistes. Car quel que soit le résultat de ce rendez-vous des négociateurs et observateurs à Busan, les discussions qui ont eu lieu autour du traité sont déjà un succès. Elles ont apporté un éclairage unique sur cette problématique, dévoilé les coûts cachés climatiques, sanitaires et économiques du plastique, souligné l’impérieuse nécessité de la réduction, fait s’effondrer l’image de marque d’un matériau bâtie cinq décennies durant par les lobbies industriels de la pétrochimie et définitivement ringardisé les stratégies de résolution de cette crise exclusivement basées sur des technologies de recyclage.


Henri Bourgeois-Costa

Géographe, Directeur des affaires publiques de la Fondation Tara Océan

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