Écologie

L’extractivisme, des marges amazoniennes au militantisme anticapitaliste

Géo-historien

Créée pour décrire l’économie de cueillette constitutive des marges amazoniennes, la notion d’extractivisme a beaucoup évolué en un siècle : elle est devenue un mot-clef du militantisme, un condensé de critiques et d’impensés. Synonyme d’appropriation, d’exploitation… elle finit par ne plus dire ce qu’elle dénonce exactement et n’est plus appréciée que pour sa charge critique. Il est temps d’interroger les limites d’un concept à la dérive.

Le suffixe -isme, en français, revêt diverses significations. Il peut désigner un système de pensée, que ce soit le communisme ou le libéralisme, une religion, le christianisme comme le bouddhisme, une activité, comme le journalisme et l’alpinisme, un comportement, que ce soit l’égoïsme ou l’autisme, une situation, comme l’analphabétisme ou l’anachronisme… Cette présentation n’est pas exhaustive ; l’-isme est particulièrement labile.

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Néanmoins, d’un mot à l’autre, d’un contexte à l’autre, l’ambiguïté n’est pas de mise. À chaque fois, on en comprend le sens. Pourtant, lorsqu’on interroge la notion d’extractivisme, dont l’usage actuel va croissant, on peine un peu à en saisir la connotation. Faut-il y voir simplement une pratique, une économie qui serait fondée sur l’extraction ? Ou bien une pensée, une doctrine qui légitimerait l’industrie extractive, voire l’encouragerait ?

Le mot, rappelons-le, est originaire du Brésil : extrativismo en portugais. Son usage semble remonter à la fin des années 1930 – peut-être est-il antérieur. Il s’appliquait alors aux marges amazoniennes, là où on récoltait le caoutchouc (borracha), la gomme de Balata (balata), le baume d’Amazonie (copaíba), la noix du Brésil (castenha), la fève tonka (cumaru), diverses espèces de bois… C’était avant tout une économie de cueillette.

Le mot portugais dérive lui-même d’une catégorisation économique qui remonte au XIXe siècle, et plus précisément d’une proposition avancée en 1842 par Charles Dunoyer dans le Journal des économistes : « On a voulu aussi les assimiler à l’industrie agricole ; mais encore le moyen de confondre avec l’art de la culture celui de la pêche, de la chasse ou de l’exploitation des mines ? Toutes les industries de la classe dont il s’agit ici remplissent une fonction qui leur est propre, et qui se distingue nettement de celles accomplies par les trois autres grandes classes : elles extraient mécaniquement du sein des eaux, des bois, de l’air, de la terre, sans leur fai


[1] Charles Dunoyer, « Nouvelle nomenclature des arts qui agissent sur le monde matériel, suivie de Remarques sur la nature, l’influence et les moyens des industries extractives », Journal des économistes, vol. 3, 1842, p. 2.

[2] Cité dans Osório Nunes dans Introdução ao estudo da Amazônia brasileira, Rio de Janeiro: Imprensa Nacional, 1949, p. 17.

[3] Alfredo Kingo Oyama Homma, « Uma tentativa de interpretação teórica do extrativismo amazônico », Acta Amazonica, vol. 12, 1982/2, p. 252.

[4] Catherine Aubertin et Florence Pinton, « Extractivisme et développement régional », in La Forêt en jeu. L’extractivisme en Amazonie centrale (dir. Laure Emperaire), Paris : Orstom/Unesco, 1996, p. 147.

[5] Doris Buu-Sao, Le Capitalisme au village. Pétrole, État et luttes environnementales, Paris : Centre national de la recherche scientifique (CNRS), 2023.

[6] L’expression « extractivisme patrimonial » n’est pas employée par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy. Ils parlent seulement d’« extractions patrimoniales » (voir Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, 2018, p. 40).

[7] Anna Bednik, « La Grande frontière », Écologie & Politique, n° 59, p. 30.

[8] Ernst Friedrich, « Wesen und geographische Verbreitung der “Raubwirtschaft” », Dr. A. Petermanns Mitteilungen aus Justus Perthes’ geographischer Anstalt, vol. 50, 1904, p. 68-79.

[9] Franz Schrader, « Introduction », in Édouard Anthoine, Ferdinand Prudent et Franz Schrader, Atlas de géographie moderne, Paris : Hachette, 1889, n.p.

[10] PNUE, Global Resources Outlook 2024. Bend the Trend – Pathways to a Liveable Planet as Resources Use Spikes, International Resource Panel, 2024, p. 26.

Vincent Capdepuy

Géo-historien , Formateur académique en cartographie

Rayonnages

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Notes

[1] Charles Dunoyer, « Nouvelle nomenclature des arts qui agissent sur le monde matériel, suivie de Remarques sur la nature, l’influence et les moyens des industries extractives », Journal des économistes, vol. 3, 1842, p. 2.

[2] Cité dans Osório Nunes dans Introdução ao estudo da Amazônia brasileira, Rio de Janeiro: Imprensa Nacional, 1949, p. 17.

[3] Alfredo Kingo Oyama Homma, « Uma tentativa de interpretação teórica do extrativismo amazônico », Acta Amazonica, vol. 12, 1982/2, p. 252.

[4] Catherine Aubertin et Florence Pinton, « Extractivisme et développement régional », in La Forêt en jeu. L’extractivisme en Amazonie centrale (dir. Laure Emperaire), Paris : Orstom/Unesco, 1996, p. 147.

[5] Doris Buu-Sao, Le Capitalisme au village. Pétrole, État et luttes environnementales, Paris : Centre national de la recherche scientifique (CNRS), 2023.

[6] L’expression « extractivisme patrimonial » n’est pas employée par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy. Ils parlent seulement d’« extractions patrimoniales » (voir Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, 2018, p. 40).

[7] Anna Bednik, « La Grande frontière », Écologie & Politique, n° 59, p. 30.

[8] Ernst Friedrich, « Wesen und geographische Verbreitung der “Raubwirtschaft” », Dr. A. Petermanns Mitteilungen aus Justus Perthes’ geographischer Anstalt, vol. 50, 1904, p. 68-79.

[9] Franz Schrader, « Introduction », in Édouard Anthoine, Ferdinand Prudent et Franz Schrader, Atlas de géographie moderne, Paris : Hachette, 1889, n.p.

[10] PNUE, Global Resources Outlook 2024. Bend the Trend – Pathways to a Liveable Planet as Resources Use Spikes, International Resource Panel, 2024, p. 26.