De la liberté d’expression en général, et de deux écrivains franco-algériens en particulier
Alors que pour la première fois un prix Goncourt est attribué à un écrivain algérien, Houris de Kamel Daoud, ce dernier ainsi que son compatriote Boualem Sansal, également très connu en France, se retrouvent sous les feux de la justice algérienne.
Kamel Daoud est visé par des plaintes en Algérie, aux côtés de son épouse, pour « violation du secret médical », « diffamation des victimes du terrorisme » ou encore « violation de la loi sur la réconciliation nationale ». Plus grave encore, Boualem Sansal est accusé d’« atteinte à l’intégrité du territoire national » pour avoir mis en cause la frontière entre l’Algérie et le Maroc dans une interview au magazine français d’extrême droite Frontières, et risque la détention à perpétuité. Privé de son avocat français, il a vu sa demande de remise en liberté refusée le 11 décembre.
Je condamne sans ambiguïté ces procès politiques. Dans les lignes qui suivent, je montrerai en quoi ces procès sont une première, aboutissement d’un virage autoritaire qui est loin de caractériser uniquement l’Algérie. En miroir, cette affaire interroge aussi l’extension en France de l’hégémonie intellectuelle de la droite identitaire, dont Boualem Sansal et Kamel Daoud sont devenus, volens nolens, les héraults.
Je m’exprime ici en tant que sociologue de la littérature, spécialiste de l’Algérie, à laquelle j’ai consacré mon premier livre, Algérie. Les écrivains dans la décennie noire (CNRS ed, 2018). Mais c’est aussi en tant que citoyen que je m’exprime, choqué par l’arrestation de Boualem Sansal pour avoir fait usage de sa liberté d’expression, et inquiet de l’instrumentalisation de cette cause par la droite identitaire et l’extrême droite françaises. L’objectif ici est d’apporter de la nuance au débat, d’en montrer les enjeux en miroir.
Je ne suis pourtant pas naïf, et dénonce d’avance toute récupération de mes propos par les uns comme les autres : les nationalistes et islamistes algériens, qui ne voudront lire cet article que pour trouver à plus accabler encore ces deux écrivains ; la droite identitaire et l’extrême droite française, trop heureuse de pouvoir attaquer l’Algérie décolonisée, et de faire contre la gauche un hold-up sur la défense de la liberté d’expression.
L’aboutissement d’un virage autoritaire en Algérie
L’arrestation de Boualem Sansal est l’aboutissement du virage franchement autoritaire du régime algérien depuis le Hirak. Ce mouvement populaire de contestation du pouvoir entamé en 2019 avait été progressivement réprimé jusqu’en 2021 : des centaines de journalistes et militants ont été emprisonnés (certains pouvant être par ailleurs écrivains, comme le « poète du Hirak » Mohamed Tajadit), et certains le sont encore aujourd’hui malgré les récentes grâces accordées. Pour la première fois pourtant, avec l’arrestation de Sansal, c’est un écrivain reconnu à l’international qui est visé. Cela marque une étape supplémentaire dans ce virage autoritaire.
Depuis l’Indépendance, le contrôle et la répression de la liberté d’expression dépendent de l’extension de leur audience : typiquement, audiovisuel, journalisme, livre, et au sein du livre, non-fiction puis fiction, forment un continuum du plus au moins contrôlé. Contrairement à un certain discours héroïque à leur égard, les écrivains ne sont pas particulièrement « détestés » par le pouvoir algérien.
Depuis le milieu des années 1990, le contrôle du livre se faisait par des interdictions ponctuelles au niveau de l’importation (en particulier contre les livres salafistes) ; et, au niveau national, par une redistribution clientéliste de la rente d’hydrocarbure. Avec la chute des cours des hydrocarbures et l’instabilité politique liée au Hirak, le recours répressif a été toujours plus important (récemment contre les éditions Koukou ou Franz Fanon). Il y a peu, une commission de lecture a été mise en place au ministère de la Culture, par laquelle il faut désormais passer pour obtenir un ISBN. Le secteur du livre tout entier se retrouve donc sous le contrôle direct de la censure avant publication, une première depuis la fin du monopole d’État sur le livre à la fin des années 1980.
Jusqu’ici, certains livres de Boualem Sansal avaient certes été interdits à l’importation lors de certaines éditions du Salon International du livre d’Alger (SILA), le grand rendez-vous littéraire algérien ; mais ils avaient ensuite été disponibles dans les librairies. On sait par ailleurs le caractère contre-productif des interdictions de livres, surtout à l’heure d’internet. Après avoir été encensé par le président Abdelaziz Bouteflika (au pouvoir de 1999 à 2019), Boualem Sansal avait été limogé de son poste de haut fonctionnaire au ministère de l’Industrie en 2003, pour ne pas avoir respecté son devoir de réserve. Cependant, il n’avait pas été fortement inquiété depuis, du fait de ses soutiens au sein du « pouvoir » algérien (qui est tout sauf homogène) et surtout de sa notoriété internationale. Il était la caution internationale du libéralisme de façade du pays.
Il faut comprendre que la liberté d’expression en Algérie évolue dans un espace fait de soupapes et d’épées de Damoclès. La critique du régime, véritable sport national, est tolérée tant qu’elle reste suffisamment vague. Des lois répressives existent (en particulier l’article 87-bis du code pénal), mais elles sont appliquées de manière incohérente ou arbitraire, créant une certaine auto-censure.
Les propos de Boualem Sansal sur la frontière entre l’Algérie et le Maroc constituent certes une ligne rouge, portant sur l’unité nationale. Mais d’autres de ses propos sur cette question ces vingt dernières années auraient pu passer également pour le franchissement d’une ligne rouge. De même l’article 46 de la Charte de paix et de réconciliation nationale[1], utilisé contre le livre de Kamel Daoud, et surtout contre lui-même dans le cadre de son procès largement orchestré, constitue une épée de Damoclès rarement appliquée, mais utilisée quand cela paraît opportun.
Intellectuels critiques dénonçant avec courage ce qu’ils nomment la dictature, Boualem Sansal et Kamel Daoud ne sont pourtant pas, ou plus, de virulents dissidents politiques en Algérie. Leur dénonciation de l’islamisme, présentée comme subversive en France, est assez consensuelle en Algérie, et n’écorne pas le récit du régime qui fait des islamistes les seuls responsables de la guerre civile des années 1990 : ils ne posent plus la question « Qui tue qui ? », qui mettait directement en cause l’institution militaire dans la guerre[2]. Autres lignes rouges possibles : Boualem Sansal a mis en sourdine son soutien au mouvement autonomiste berbériste, et Kamel Daoud a pris ses distances avec le mouvement du Hirak.
De manière d’ailleurs significative, Houris, roman sur la soi-disant amnésie de la guerre civile, se passe en 2018[3]. Non seulement l’auteur occulte toute la littérature produite sur la guerre civile ces vingt dernières années, se donnant une dimension héroïque à peu de frais[4] ; mais il occulte également le mouvement du Hirak qui commence en 2019 ; comme d’ailleurs il occulte les mouvements féministes de ce même Hirak, préférant faire parler de manière caricaturale une femme sans voix.
Quelle que soit l’intensité de leur dissidence, ou le nombre de lignes rouges franchies ou non, ce n’est que récemment qu’ils ont été véritablement inquiétés. Kamel Daoud dit avoir décidé de s’exiler en France il y a 18 mois, à la suite d’un « café » avec les services algériens de sécurité[5]. Et ce n’est qu’aujourd’hui que des procès politiques[6] sont intentés contre eux.
La réalité, comme on le sait, est que Boualem Sansal et Kamel Daoud sont des pions dans la revanche et la pression diplomatiques de l’Algérie contre la France, après la reconnaissance française de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. En interne également, ils deviennent des bouc-émissaires opportuns (« d’ingérence française », « sioniste[7]», etc.) pour tenter d’affermir un pouvoir isolé et peu légitime depuis le Hirak : pour une large partie de la population de ce pays décolonisé il y a soixante ans, mettre en cause l’intégrité territoriale ou encore la solidarité avec les Palestiniens relève en effet de la ligne rouge. Leur acquisition récente de la nationalité française, qui en d’autres temps aurait été une défense supplémentaire, les a désignés facilement comme cibles par l’opinion et la presse les plus nationalistes, meutes lâchées en Algérie et jusqu’en France contre ces deux hommes[8]. Pour autant, l’arrestation de Boualem Sansal reste généralement condamnée en Algérie.
Mais autre chose se joue ici. Ce ne sont pas seulement des intellectuels franco-algériens qui sont attaqués, mais également des écrivains reconnus au niveau international. Graduellement, de l’interdiction d’importation de Houris de Kamel Daoud à l’importation, à la non-invitation au SILA des Éditions Gallimard, symbole international de la littérature française, au procès intenté contre l’écrivain, jusqu’à, enfin, l’arrestation de Boualem Sansal, le pouvoir algérien n’hésite plus à montrer au monde son caractère autoritaire. Il était jusqu’ici plus rentable pour l’Algérie de laisser dire ces écrivains : il y a désormais une légitimité internationale à l’illibéralisme.
Ces affaires ne sont pas uniquement révélatrices de l’affiliation du pouvoir algérien à l’internationale illibérale. Elles le sont également de l’extension idéologique de la droite extrême en France.
Des écrivains algériens qui contribuent en France à la confusion des valeurs entre gauche et droite identitaire
Il n’y a, je crois, plus de doute sur l’affiliation politique, en France, de Boualem Sansal et de Kamel Daoud.
Tandis que Kamel Daoud s’est arrêté au Point, Boualem Sansal a largement débordé les limites du Figaro pour publier à Valeurs actuelles et Frontières. Leur assimilation caricaturale de l’islamisme, des immigrés, des jeunes de banlieues menant une guerre civilisationnelle contre la France, légitime les discours les plus haineux et islamophobes de la droite identitaire française, et un racisme soft plus largement partagé. Pourtant il y a dix ans, à l’époque où il m’avait reçu à Boumerdès avec la bonté et la générosité qu’on lui connait, Boualem Sansal se réclamait de la gauche libérale ; et aujourd’hui encore, Kamel Daoud n’hésite pas à se réclamer de la gauche arabe[9]. Cette contradiction entre leur position en Algérie et en France doit être éclairée, car elle contribue à la confusion des combats pour une partie de la gauche française.
Elle tient d’abord aux logiques du champ littéraire français. Malgré leur intégration croissante au marché du livre français (mesurée par exemple par le nombre de prix littéraires qui leur est attribué) les littératures francophones non françaises sont rarement considérées à égalité avec la littérature française. Tandis que la majeure partie des écrivains francophones non français publiant en France se contentent d’une réception limitée, compensée parfois par un succès en retour dans leur pays d’origine, certains écrivains peuvent être amenés à adapter leur littérature aux sujets, aux problématiques, ou aux manières françaises, pour percer sur le marché français ou pour s’y maintenir.
Une lecture plus proprement littéraire de ces littératures existe bien en France : mais à mesure que s’accroît leur audience, c’est une lecture documentaire ou politique qui domine, visant à « comprendre » la situation du pays d’origine. La politisation est donc l’une des voies de reconnaissance publique des écrivains francophones en France. Ces écrivains deviennent alors des « informateurs » (native informant) légitimes et crédibles pour la presse française, qui osent d’autant moins remettre en cause leur parole qu’ils se parent des atours de la dissidence. Au risque qu’on perde de vue l’universalité de leur littérature.
Toutefois présenter ces écrivains comme des acteurs cyniques, idée très en vogue chez leurs concurrents nationaux qui n’ont pas eu le même succès international, est réducteur. Contrairement aux écrivains traduits, les écrivains francophones non français publiés en France subissent ce que Bourdieu appellerait un malentendu structural : les mêmes mots ont un sens différent entre leur pays d’origine et la France[10]. C’est le cas en particulier pour leur engagement politique.
Dans un contexte algérien où l’islam est religion d’État, la population très majoritairement musulmane, les conservateurs religieux très puissants politiquement et socialement, et alors que la mémoire du terrorisme islamiste est encore très vive, défendre la liberté d’expression, dans quelque langue que ce soit, la liberté religieuse, de mœurs, le droit des femmes à disposer de leur corps, constitue bien un engagement de la gauche libérale. Cette défense peut bien d’ailleurs se faire sur un mode caricatural, de même que les anticléricaux dans la France catholique ne s’embarrassaient pas de nuances.
En revanche dans un contexte français dans lequel l’islam est minoritaire et les musulmans minorisés, et où la force conservatrice et illibérale aux portes du pouvoir n’est pas l’islamisme mais une autre extrême droite, celle qui précisément instrumentalise les musulmans comme bouc-émissaires, ces discours ont un tout autre effet.
Les caricatures et les essentialisations (l’idée d’une société algérienne bloquée et caractérisée principalement par son rapport à l’islam, de femmes voilées-opprimées, ou encore l’assimilation terrorisme-islamisme-islam-banlieue) rencontrent par ailleurs un ensemble de représentations profondément ancrées dans un pays qui a eu besoin de tels types de raccourcis pour asseoir sa domination coloniale en Algérie et ailleurs. De même, la critique de l’historiographie nationaliste, par exemple l’hypermnésie officielle sur la guerre de libération, pratique subversive en Algérie, peut rencontrer en France les discours des revanchards de la décolonisation. La légitimité de l’écrivain est particulièrement remise en cause dans le cas où son discours ne s’appuie pas sur un véritable savoir historique, comme c’est le cas récemment pour Boualem Sansal[11].
Du fait de cette contradiction, et de la légitimité accordée a priori à des intellectuels venus d’un pays musulman, ces écrivains ont contribué et contribuent à la confusion des valeurs en France, et au glissement d’une partie de la gauche, a fortiori du centre, vers les thématiques de la droite identitaire.
Les écrivains francophones qui s’engagent sur ces problématiques ne se rendent pas tout de suite compte de ce décalage. Je crois que c’est autour de 2015 que Boualem Sansal et Kamel Daoud ont réalisé que, dans le contexte français, leurs soutiens et leur position politique s’ancraient à droite. Boualem Sansal fut d’abord décontenancé par le soutien enthousiaste à son livre 2084 par Michel Houellebecq, qu’il qualifie alors négativement d’« islamophobe ». Quant à Kamel Daoud, la prise de conscience intervint à la suite d’une tribune que j’avais cosignée, dénonçant ses propos essentialisants et violents contre les réfugiés syriens qu’il avait accusés, à tort, d’avoir agressé des femmes allemandes. Après avoir déclaré qu’en conséquence il renonçait au journalisme, il finit par accepter une chronique au Point. Une clarification avait eu lieu pour lui, comme probablement pour ceux qui avaient d’abord préféré attaquer notre tribune plutôt que la sienne (nous avions été même traités de « terroristes de la pensée »…).
Ces deux écrivains embrassent désormais leur instrumentalisation par la droite identitaire. Mais il faut dire aussi que c’est la droite qui les a accueillis, au fur et à mesure que la gauche les rejetait : comme si, en devenant français, ils devaient épouser les codes politiques de la droite, et se distinguer des mauvais Français que sont les Beurs. « J’ai le syndrome d’Apollinaire, je suis plus français que les Français », dit Kamel Daoud. Entre les chroniques au Quotidien d’Oran des années 2000, et les chroniques au Point dans les années 2010-20, il y a parfois une inversion complète des valeurs (par exemple sur la question palestinienne), comme s’il leur avait fallu s’adapter au mainstream français sur certaines questions.
Leur héroïsation en « Voltaires d’Alger » a des conséquences littéraires. La réception de Houris, salué de Manuel Valls à Marion Maréchal-Le Pen, est éloquente. Il est difficile de distinguer ici l’œuvre de l’écrivain. C’est un roman lourdement politique, engoncé dans des images convenues, opposant de manière caricaturale la femme tout à la fois opprimée et héroïque, et les imams violents. L’esprit de sérieux qui domine, même à propos de l’imam hirsute vivant en face de chez la coiffeuse, ou de la mosquée-boucherie El-Halal, vire au grotesque.
Le grand écrivain, celui de Meursault contre-enquête, surgit pourtant à la fin du roman, dans le monologue de l’imam, séduisant et ambigu, dont on creuse l’histoire et les doubles troubles. Gageons que ce n’est pas pour ces quelques pages que Houris a obtenu le prix Goncourt. C’est respecter la dignité d’écrivain de Kamel Daoud que d’oser dire que ce n’est pas là un grand roman, plutôt que de juger les œuvres littéraires à l’aune du conformisme politique de leurs écrivains.
Pour avoir non seulement dénoncé l’emprisonnement de Boualem Sansal dans une émission de France 5, mais également rappelé son affiliation politique avec l’extrême droite française, notre collègue Nedjib Sidi Moussa a été la cible, pendant plusieurs jours, de l’empire médiatique Bolloré et au-delà, certains allant jusqu’à oser le traiter d’« égorgeur », avec un racisme à peine dissimulé. À travers lui, c’étaient aussi, explicitement, les « médias de service public » qui étaient une nouvelle fois attaqués.
Ce sont les mêmes qui, après avoir jeté le soupçon, violemment dénigré et intimidé, entendent donner des leçons de liberté d’expression. La liberté d’expression n’est pas la défense de la puissance d’expression, mais la défense d’une possibilité d’expression minoritaire. Combien sont-ils, parmi tous ces beaux noms qui subitement volent au secours de la liberté d’expression, qui auraient eu la cohérence d’une Annie Ernaux, pétitionnant tout à la fois en faveur du journaliste algérien dissident Ihsane El Kadi en 2022, et aujourd’hui en faveur de l’écrivain et intellectuel Boualem Sansal, qui représente en France ceux qu’elle dénonce le plus ?
Mais voilà, comme le dit Kamel Daoud, parce que Boualem Sansal est en prison (ou, de manière générale, parce qu’ils ont eu le courage et pris le risque de leurs opinions), ce serait une « honte » de tenir un discours nuancé : dire « Oui, mais » serait une manière de dire « Je suis lâche, mais savant ». Le courage serait-il donc synonyme de psittacisme, ou de silence ? Car c’est aussi cela qui se joue : l’anti-intellectualisme. Quelques écrivains « informateurs », triés sur le volet de la caricature, plutôt que des décennies de recherches sur les questions qu’ils traitent. Kamel Daoud dit qu’il est périlleux de dénoncer l’islamisme algérien en France, car c’est risquer de se faire taxer d’islamophobe[12].
Cette corde raide, nous marchons dessus également, nous qui, malgré notre souci de nuance, nous faisons traiter de lâches, de terroristes de la pensée, d’islamo-gauchistes, d’idiots utiles complices des islamistes ou du pouvoir algérien, quand nous critiquons des propos caricaturaux qui banalisent l’islamophobie.
Combien de temps faudrait-il attendre ? J’ai choisi quant à moi d’attendre le verdict sur la remise en liberté de Boualem Sansal, le 11 décembre. Mais c’est aujourd’hui, sur fond de pressions toujours accrues sur les libertés académiques et la liberté d’expression, que nous sommes appelés à nous taire, à nous ranger sans réserve derrière Le Point : c’est donc aujourd’hui qu’il nous faut nous exprimer. Le courage dont ces écrivains font preuve en Algérie ne doit pas se retourner contre notre liberté d’expression en France. Le danger dans lequel ils sont, en général et aujourd’hui en particulier, nous requiert, avec toute la nuance dont nous sommes capables. Mais face au hold-up de la droite sur la liberté d’expression, il faut savoir dire « Oui. Mais ».
Je condamne donc sans réserve les procès et emprisonnements politiques en Algérie, en l’occurrence contre Boualem Sansal et Kamel Daoud. Mais je n’en appelle pas moins à une clarification à gauche sur la réalité de l’engagement, en France, de ces intellectuels : ils doivent avoir la liberté de leurs opinions, mais leur « algérianité » ne doit pas en faire des interprètes des sociétés algérienne et française au-dessus de toute critique.