Je n’ai rien vu à Bhopal
Bhopal, le 3 décembre 2024. Je suis ici pour écrire, pour écrire sur tout sauf la catastrophe. Je n’ai pas lu grand-chose de l’abondante production sur cette tragédie historique, je connais simplement les mots Union Carbide, Dow Chemical.

Comme Seveso, Tchernobyl, Fukushima, il y a des noms qui restent dans les mémoires.
Bhopal, ville du centre de l’Inde, ville à forte population musulmane, hindiphone, où les bureaux ouvrent à 11 h, où le soleil orange des matins tropicaux succède à la lune sur les lacs. Bhopal, dirigée pendant plus d’un siècle par les Begums, reines de mère en fille, soucieuses de développer l’administration, l’éducation et la culture dans l’ancien État princier.
Bhopal, indice de pollution aujourd’hui à 148 AQI, « mauvais pour les groupes sensibles », un indice trois fois moins élevé qu’à Delhi, la capitale, où l’air est « très mauvais pour la santé », huit fois plus qu’à Lyon, où, une fois n’est pas coutume, l’air est « bon ».
Aujourd’hui je ne peux pas rester dans ma chambre à écrire. Accueillie dans cette ville, je veux rendre hommage aux victimes, et voir de mes yeux comment on commémore les quarante ans du plus grave accident industriel du XXe siècle.
Dans un parc à la pelouse pelée, une tente accueille une estrade, des chaises en plastique rouge. Essais de micros, installation du public. Des femmes, surtout des femmes, certaines en burqa, les yeux cernés de khôl, des petits enfants, habillés comme des poupées – inutile d’être sociologue pour discerner la pauvreté.
Les discours s’enchaînent en tribune tandis que des activistes suspendent des photographies à l’intérieur d’un kiosque. Un grand-père avec barbe et turban serre la main de son petit-fils dans la sienne. Sans un mot, ils passent d’une photo à l’autre : le bébé dont seul le visage émerge de la terre, une main d’homme au-dessus de sa tête, comme une ultime caresse ; plus loin des dizaines de visages alignés, les yeux clos, au-dessus de leur numéro d’identification et une aut